Vieillissement de l’endothélium cornéen : la cornea guttata / dystrophie de Fuchs est-elle la DMLA de la cornée ?

Le vieillissement de l’endothélium cornéen se manifeste principalement par une diminution de la densité cellulaire endothéliale et par la formation d’une cornea guttata. Ces deux anomalies peuvent être détectées à la lampe à fente ou bien en microscopie spéculaire. Dans la dystrophie de Fuchs, une prédisposition génétique favorise le développement de ces lésions qui peuvent aboutir à la formation d’un œdème cornéen nécessitant la réalisation d’une greffe endothéliale, notamment en cas de chirurgie de la cataracte réalisée sans ­précautions particulières.

 

 

La cellule endothéliale cornéenne présente une physio­logie particulière : elle ne se multiplie pas après la naissance. Nous venons au mode avec un capital cellulaire endothélial très important. La densité endothéliale diminue très rapidement pendant l’enfance, puis à un rythme lent (de l’ordre de 0,5% par an) chez l’adulte. À 90 ans, la densité endothéliale moyenne est comprise entre 2 000 et 2 500 cellules/mm2, ce qui est très supérieur au seuil de décompensation endothéliale qui est de ­l’ordre de 400 à 500 cellules/mm2. Parallèlement, la cellule endothéliale sécrète continuellement sa membrane basale, la membrane de Descemet. L’épaisseur de la Descemet augmente donc avec l’âge. En cas de lésion endothéliale, les cellules situées sur le bord de la lésion vont se dédifférencier et migrer pour recouvrir la zone de Descemet mise à nu. Les cellules en cours de migration perdent leur fonction de pompe. Elles la recouvrent lorsque la mosaïque cellulaire est rétablie et lorsque les cellules ont repris leur forme hexagonale.

L’absence de mitose dans l’endothélium cornéen est liée au blocage de la cellule endothéliale en phase G1 du cycle cellulaire (figure 1). Ce blocage est lié à une faible expression de certaines molécules du cycle (cycline B, CDKs) et à une forte expression de certains inhibiteurs des cycline-kinases. Si les capacités de prolifération après la naissance sont probablement inexistantes chez l’homme, il existe de fortes présomptions en faveur de la présence de progéniteurs des cellules endothéliales localisés en périphérie de la cornée.

Conséquences du vieillissement sur la morphologie cornéenne

En microscopie confocale, le vieillissement cornéen se traduit par la présence de stries dans le stroma postérieur, une opacification de la membrane de Descemet, une diminution de la densité cellulaire endothéliale, le développement d’une cornea guttata et, dans certains cas, par un aspect poivre et sel de l’endothélium [1].

Sénescence de l’endothélium cornéen

On constate une accumulation progressive de cellules endothéliales sénescentes ; cette accumulation est liée à des modifications hormonales et environnementales (ultraviolets, stress oxydatif) et à la modification de l’expres­sion de certains gènes. Les mécanismes de la sénescence cellulaire n’ont pas qu’un rôle négatif : celle-ci protège également contre le développement de cellules cancéreuses. À cet égard, l’endothélium cornéen est une couche cellulaire privilégiée. Aucune tumeur n’est connue à son niveau.

Dégénérescence endothéliale liée à l’âge

Elle peut se traduire par une diminution de la densité endothéliale qui devient proche du seuil de décompensation. L’aspect de la cornée en lampe à fente est strictement normal (figure 2). Si un examen de l’endothélium à la lampe à fente au fort grossissement ou en microscopie spéculaire n’est pas réalisé, le diagnostic de dégénérescence endothéliale n’est pas porté et une chirurgie de la cataracte faite sans précautions particulières peut aboutir à un œdème cornéen postopératoire. Il est donc important de toujours examiner l’endothélium cornéen avant toute chirurgie intraoculaire. L’examen en fente moyenne au fort grossissement (x 40) en conditions de réflexion spéculaire sur l’endothélium permet de différencier une cornée avec une densité normale d’une cornée avec une densité basse. Si l’on n’a pas l’habitude de cette technique d’examen, une microscopie spéculaire préopératoire est nécessaire.

La forme la plus courante de la dégénérescence endothéliale liée à l’âge est la cornea guttata (figure 2). Celle-ci est très fréquente. Plus de 70% des patients présentent des gouttes après l’âge de 40 ans. Les gouttes sont évaluées à la lampe à fente et en microscopie spéculaire. La cornea guttata peut être classée en 5 stades en fonction de la taille et de la confluence des gouttes. Il existe une relation forte entre la confluence des gouttes et l’œdème cornéen. Une cornea guttata n’est pas une indication de chirurgie combinée cataracte + greffe, mais elle impose des précautions particulières pendant la chirurgie de la cataracte (incision sclérale, phacoémulsification à distance de l’endothélium cornéen, viscoélastique dispersif).

Kératopathies bulleuses

On regroupe sous ce terme l’ensemble des œdèmes cornéens dont l’origine n’est pas génétique. Les principales causes sont la chirurgie de la cataracte, la vitrectomie et la chirurgie filtrante. Le risque de décompensation endothéliale postopératoire est largement majoré par la présence, avant l’intervention, d’une dégénérescence endothéliale liée à l’âge. L’œdème cornéen se traduit par une augmentation d’épaisseur cornéenne, des plis descemétiques, et un œdème épithélial bien visible après l’instillation de fluorescéine. L’OCT est très utile pour analyser l’œdème cornéen et le développement d’une fibrose qui peut siéger au niveau de la membrane de Descemet, dans le stroma antérieur sous l’épithélium ou, dans les cas évolués, dans toute l’épaisseur du stroma cornéen. Les stries stromales sont anormalement visibles en cas d’œdème cornéen.

Dystrophie de Fuchs

Il s’agit d’une pathologie à prédisposition génétique. On distingue des formes à début précoce, très rares, et des formes habituelles à début tardif. Plusieurs gènes sont incriminés dans la prédisposition génétique à cette pathologie. Parmi eux, le facteur de transcription TCF4 occupe une place déterminante. Une expansion du triplet CTG dans le gène de TCF4 a été retrouvé dans 70% des cas de dystrophie de Fuchs plus aux États-Unis [2]. Cette anomalie génétique est également associée à des pathologies neurodégénératives et à une plus grande sévérité de la dystrophie de Fuchs. La prédisposition génétique ne suffit pas à développer la dystrophie. Cliniquement, la majorité des dystrophies de Fuchs se présente sous une forme sporadique. Il existe une prédominance féminine très nette et le stress oxydatif joue un rôle important dans le développement de la maladie. C’est donc une pathologie cornéenne fortement liée au vieillissement.

La dystrophie de Fuchs se caractérise par des anomalies dans l’ultrastructure de la membrane de Descemet. La couche néonatale de la Descemet a une épaisseur diminuée. En arrière de celle-ci, on retrouve une couche périodique épaisse irrégulière formant les gouttes. Cette couche périodique peut être enfouie au sein d’une couche fibreuse postérieure. La cellule endothéliale dans la dystrophie de Fuchs présente des anomalies importantes : métaplasie fibroblastique ou épithéliale, apoptose cellulaire et altération des fonctions de barrière et de pompe [3].

Cliniquement, la dystrophie de Fuchs évolue lentement sur 10 à 20 ans. L’épaisseur cornéenne centrale augmente avec la sévérité de la maladie. On peut classer la pathologie en 3 stades :
- le stade 1 correspond à la cornea guttata asymptomatique. Seuls 4% des patients évolueront vers le stade 2, habituellement vers l’âge de 50-60 ans ;
- le stade 2 correspond à un œdème cornéen symptomatique ;
- au stade 3, l’œdème se complique d’une fibrose sous-épithéliale ; tardivement, une néovascularisation périphérique peut se développer. La dystrophie de Fuchs correspond aux stades 2 et 3.

Les examens d’imagerie sont utiles dans la dystrophie de Fuchs pour le diagnostic et pour poser l’indication thérapeutique. L’OCT montre l’augmentation de l’épaisseur cornéenne, l’augmentation de l’épaisseur descemétique, le caractère irrégulier et souvent multiple lamellaire de la membrane de Descemet, la présence d’un œdème épithélial et d’une fibrose sous-épithéliale, voire stromale (figure 3). La microscopie confocale permet de visualiser la cornea guttata même lorsque l’œdème stromal est important. Dans certains cas, assez rares, l’imagerie peut révéler la présence d’un kératocône associé à la dystrophie de Fuchs.

Traitement d’une défaillance endothéliale débutante

Les signes de l’œdème cornéen matinal (brouillard visuel, halos) peuvent être améliorés au début par un ­collyre osmotique (Ophtasiloxane®, ODM5®). Le recours à une greffe se justifie lorsque le brouillard matinal se ­prolonge et entraîne une baisse de vision patente, notamment en vision de près.

Techniques de greffe endothéliale

La greffe endothéliale est indiquée dans le cas d’un œdème cornéen sans fibrose stromale (figure 4). Il peut s’agir d’une DSAEK, d’une DSAEK ultrafine, d’une PDEK ou d’une DMEK. Ces techniques se différencient par l’épaisseur du greffon : environ 200 microns pour la DSAEK, 100 pour la DSAEK ultrafine, 30 pour la PDEK et 20 pour la DMEK. Les 2 techniques qui donnent les meilleurs résultats visuels, qui sont aussi les plus utilisées dans le monde, sont la DSAEK ultrafine et la DMEK. Sur le plan technique, la préparation du greffon est plus complexe pour la DSAEK ultrafine et la greffe elle-même est plus difficile pour la DMEK. La greffe est réalisée avec un ­injecteur dans les 2 cas. Un bon centrage du greffon est nécessaire pour obtenir un bon résultat visuel en cas de DSAEK ultrafine.

La greffe endothéliale a permis de diminuer la fréquence des rejets. Elle est réalisée à travers une incision de petite taille qui fragilise très peu le globe oculaire. Elle induit peu d’astigmatisme et beaucoup moins d’hypertonie oculaire et de glaucome que la greffe transfixiante. Elle permet une bonne récupération visuelle avec des résultats qui sont comparables pour la DSAEK ultrafine et la DMEK. Il y a donc plus d’indications à faire une greffe transfixiante, sauf en cas de fibrose stromale ou de chambre antérieure très étroite avec un angle fermé. Le ­greffon pour la greffe endothéliale peut être préparé par la banque de tissus. Cette pratique est couramment utilisée en Amérique du Nord, mais rarement en France. À l’avenir, des greffons préchargés seront probablement disponibles. La greffe de cellules endothéliales cultivées remplacera probablement bientôt la greffe endothéliale. Les premières greffes de cellules endothéliales cultivées ont été réalisées par l’équipe de Kinoshita au Japon. Les résultats à court terme montrent une excellente récupération visuelle et une bonne densité endothéliale ­postopératoire.

Traitement pharmacologique de la dysfonction endothéliale

Les inhibiteurs des rho-kinases favorisent la cicatrisation endothéliale en augmentant l’adhésion cellulaire et la prolifération, et en diminuant l’apoptose des cellules endothéliales. Leur effet a été démontré dans une courte série pilote. Ils permettent la régression d’un œdème cornéen central mais n’ont pas d’effet dans la kératopathie bulleuse.

Vers un traitement personnalisé de la dysfonction endothéliale

La découverte des gènes mutés dans la dystrophie de Fuchs laisse espérer à l’avenir le développement de thérapies géniques permettant éventuellement de corriger les anomalies endothéliales avant la survenue d’un œdème. Lorsque la dysfonction endothéliale ne touche que le centre de la cornée (dystrophie de Fuchs peu évoluée), les inhibiteurs des rho-kinases auront probablement une grande place. Actuellement, un traitement corticoïde ­faible (fluorométholone collyre) permet souvent d’améliorer l’œdème cornéen central. Un collyre hypertonique peut également être utilisé pour diminuer l’œdème cornéen. Un œdème cornéen plus étendu, mais encore modéré, devrait être une bonne indication à une thérapie cellulaire. Un œdème avancé est une bonne indication à une greffe endothéliale. Enfin, lorsque le stroma est fibrosé, la seule possibilité de restaurer une bonne vision est la greffe transfixiante.

Références bibliographiques

[1] Hillenaar T, van Cleynenbreugel H, Remeijer L. How normal is the transparent cornea? Effects of aging on corneal morphology. Ophthalmology. 2012;119(2):241-8.
[2] Riazuddin SA, McGlumphy EJ, Yeo WS et al. Replication of the TCF4 intronic variant in late-onset Fuchs corneal dystrophy and evidence of independence from the FCD2 locus. Invest Ophthalmol Vis Sci. 2011;52(5):2825-9.
[3] Borderie VM, Baudrimont M, Vallee A et al. Corneal endothelial cell apoptosis in patients with Fuchs’ dystrophy. Invest Ophthalmol Vis Sci. 2000;41(9):2501-5.

Auteurs

  • Vincent Borderie

    Ophtalmologiste

    CHNO des Quinze-Vingts, Sorbonne université, Paris

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