Uvéite : histoire de corticoïdes
Les uvéites restent des maladies rares mais représentent encore la troisième cause de cécité mondiale, principalement par œdème maculaire chronique. Les corticoïdes demeurent le traitement de choix des uvéites non infectieuses, en phase aigüe ou en traitement de fond. L’arsenal thérapeutique disponible comprend différentes molécules avec des voies d’administration multiples et complémentaires.

Utilisations des corticoïdes en uvéite
Les corticoïdes utilisés dans les uvéites sont : la dexaméthasone (DXM), la triamcinolone (Triam), la prednisone et la prednisolone. Ces molécules ont chacune des effets minéralocorticoïde et anti-inflammatoire d’intensité différente (tableau I).
En ophtalmologie, les corticoïdes sont administrables selon différentes voies : topique, locorégionale et systémique (tableau II).
La DXM, disponible en traitement locorégional, offre l’effet anti-inflammatoire le plus fort avec une large gamme de voies d’administration : topique, sous-conjonctivale et intravitréenne. Sa diffusion intra-oculaire est excellente mais présente une élimination rapide nécessitant la répétition des traitements. En 2011, l’arsenal thérapeutique s’est enrichi d’un système permettant une libération intravitréenne prolongée de DXM sur plusieurs mois, avec l’obtention d’AMM de l’implant Ozurdex® pour le traitement des uvéites non infectieuses [1].
La triamcinolone (corticoïde retard) est utilisée hors AMM pour le traitement des uvéites [2-4]. La voie intravitréenne a été abandonnée depuis l’arrivée de l’Ozurdex mais elle reste toujours utilisée en injections péri-oculaire avec un effet prolongé sur plusieurs semaines. La limite reste une diffusion intra-oculaire variable d’un patient à l’autre.
Des études [2,3,5,6] ont étudié la diffusion des corticoïdes dans les différents segments oculaires, en fonction de la voie d’administration choisie (tableau III).
La DXM en voie topique (collyre et pommade) permet une bonne imprégnation du segment antérieur mais n’a quasiment aucun intérêt pour les atteintes postérieures. Son inconvénient reste l’élimination rapide nécessitant des instillations répétées.
Les voies sous-conjonctivale et sous-ténonienne donnent des pics de concentration en chambre antérieure supérieurs à la voie topique mais avec une élimination plus ou moins rapide selon le corticoïde utilisé. Cette voie reste une alternative intéressante à forme per os en cas d’atteinte vitréenne ou postérieure, permettant d’éviter les effets systémiques des corticoïdes per os.
Enfin, le traitement systémique (per os ou intraveineux) permet une imprégnation rapide de l’ensemble de l’œil et reste particulièrement intéressant en cas d’atteinte du segment postérieur. Il permet également de traiter les formes bilatérales et une maladie systémique associée. Le problème de cette voie reste les effets systémiques importants si le traitement doit se prolonger sur plusieurs semaines (tableau IV).
Il est donc primordial de garder à l’esprit ces différents éléments afin de choisir au cours de l’évolution d’une uvéite le bon traitement corticoïdes avec la bonne voie d’administration selon l’intensité, la topographie de l’inflammation oculaire et les effets secondaires attendus.
Cas clinique
Le cas clinique présenté ici illustre l’histoire sur 20 ans de la prise en charge d’une choriorétinopathie de Birdshot (BCR) avec l’utilisation des corticoïdes selon des modalités différentes en fonction de l’évolution de la maladie.
La BCR est une maladie rare qui représente 6% des uvéites postérieures. C’est une inflammation purement limitée à l’œil sans atteinte systémique associée. Elle se présente sous la forme d’une uvéite postérieure granulomateuse dont l’atteinte est bilatérale et souvent asymétrique. C’est une uvéite chronique dont l’évolution est longue, sur plusieurs décades, avec alternance de phases de poussée inflammatoire et de phases de quiescence de la maladie. Le pronostic est très variable avec certaines formes peu inflammatoires qui s’éteignent avec le temps et d’autres plus agressives cécitantes qui évoluent vers une atrophie rétinienne importante.
Début de la maladie 2000
Les premiers symptômes de notre patient ont débuté en 2000, à l’âge de 31 ans, par des myodésopsies prédominantes à droite associées à une baisse de vision modérée de l’œil droit.
Diagnostic clinique
La présentation clinique inaugurale associait les lésions rétiniennes typiques de BCR à une hyalite accompagnée de papillite. L’atteinte était bilatérale mais prédominante à droite. Le segment antérieur était peu inflammatoire sans synéchies postérieures.
Les images de l’angiographie à la fluorescéine et à l’indocyanine étaient évocatrices et retrouvaient des taches rétiniennes hypocyanescentes, une vascularite veineuse, une papillite, un œdème maculaire et un effet masque de la hyalite.
Un bilan biologique complet et un scanner thoracique ont permis d’écarter les principaux diagnostics différentiels d’uvéite granulomateuse postérieure. Le patient était HLA A29.
Le traitement sur 20 ans (figure 1)
Traitement systémique de 2000 à 2012
Devant l’atteinte postérieure bilatérale inaugurale, un traitement systémique a été proposé d’abord par prednisone entre 2000 et 2006 puis par ciclosporine A de 2006 à 2012.
Le changement de traitement systémique était motivé par une mauvaise tolérance des corticoïdes per os (prise de poids, HTA) et récidive de la BCR à une dose palier de corticoïdes.
Sous ciclosporine A, nous avons obtenu un bon contrôle de la maladie pendant plusieurs années, mais avec des effets secondaires notables (HTA, détérioration de la fonction rénale et épisodes infectieux à répétition ORL et pulmonaires). Nous avons tenté de baisser la posologie de la ciclosporine pour limiter les effets secondaires mais la BCR a récidivé.
Traitement locorégional de 2012 à ce jour
Après 12 ans d’évolution de sa maladie sous traitement systémique, les rechutes inflammatoires se limitaient à l’œil droit sous forme d’œdème maculaire minime ou de papillite avec baisse d’acuité visuelle modérée.
Devant les effets secondaires systémiques importants rencontrés, la forme peu agressive de la BCR et les poussées inflammatoires unilatérales, nous avons décidé de passer à un traitement locorégional par injections sous-ténoniennes de triamcinolone dans un premier temps puis injection intravitréenne d’Ozurdex.
Entre février 2012 et juin 2014, le patient reçoit 7 injections sous-ténoniennes de triamcinolone à droites. Les injections étaient réalisées si une rechute, même minime, de l’œdème maculaire, de la hyalite ou de la papillite était identifiée.
La réponse de l’uvéite aux injections était bonne. La tension oculaire est restée normale mais une cataracte sous capsulaire droite est apparue progressivement et une chirurgie a été réalisée en juin 2014, en encadrant le geste opératoire d’une corticothérapie générale courte sur 1 mois.
Entre août 2014 et octobre 2016, le patient n’a plus présenté de rechute inflammatoire et une simple surveillance clinique fut réalisée.
En octobre 2016, une nouvelle rechute avec baisse de vision survient sous forme d’un œdème maculaire et de papillite de l’œil droit nécessitant la reprise d’un traitement. Le patient venait de faire une diverticulose colique aussi il a été décidé de privilégier la voie locorégionale. Le patient étant pseudophaque depuis 2014, une injection d’Ozurdex a été faite en janvier 2017. Le traitement fut bien toléré et rapidement efficace avec disparition de l’œdème maculaire et de la papillite (figure 2).
On note l’absence de rechute inflammatoire de la BCR pendant 18 mois.
Depuis août 2018, il a bénéficié de 2 autres injections sous-ténoniennes de l’œil droit pour des rechutes minimes (hyalite ou micro-œdème maculaire) sans baisse de vision.
Conclusion
Les corticoïdes restent le traitement de première intention dans les uvéites non infectieuses.
De multiples voies d’administration s’offrent à nous : voie topique, locorégionale ou systémique.
En raison d’effets secondaires systémiques non négligeables, il faut savoir utiliser les traitements topiques ou locorégionaux en les choisissant de façon pertinente selon la topographie de l’inflammation et en les combinant pour augmenter leur efficacité. Les effets secondaires de ces traitements corticoïdes locorégionaux (hypertonie oculaire, cataracte) sont connus et doivent être dépistés et pris en charge.
Les traitements systémiques corticoïdes gardent toute leur place en traitement d’attaque en cas d’uvéite avec atteinte postérieure, d’uvéite bilatérale et/ou s’il existe une maladie systémique associée. Cette voie thérapeutique très efficace reste pourvoyeuse, au long cours, de multiples effets secondaires systémiques. Il conviendra de réaliser rapidement une épargne cortisonique en proposant notamment des traitements corticoïdes locorégionaux adjuvants.
Références bibliographiques
[1] Lowder C et al. ; Ozurdex HURON study Group. Dexamethasone intravitreal implant for noninfectious intermediate or posterior uveitis. Arch Ophthalmol. 2011;129(5):545-53. Epub 2011 Jan 10.
[2] Thomas ER et al. Intravitreal triamcinolone acetonide concentration after subtenon injection. Am J Ophthalmol. 2006;142(5):860-1.
[3] Choudhry S et al. Intravitreal and posterior subtenon triamcinolone acetonide in idiopathic bilateral uveitic macular oedema. Clin Exp Ophthalmol. 2007; 35(8):713-8.
[4] Thorne JE et al. Periocular Triamcinolone vs intravitreal Triamcinolone vs Intravitreal Dexamethasone Implant for the Treatement of Uveitic Macular Edema. Ophtalmology. 2019;126(2): 283-95. Epub 2018 Sep 27.
[5] Behar-Cohen FF et al. Methylprednisolone concentrations in the vitreous and serum after pulse therapy. Retina. 2001;21(1):48-53.
[6] Weijtens O et al. Dexamethasone concentration in the subretinal fluid after subconjonctival injection, a peribulbar injection, or an oral dose. Ophthalmology 2000;107(10):1932-8.