Usage des antimitotiques pour la photokératectomie réfractive

Plusieurs solutions sont proposées aux patients qui ne souhaitent plus porter de lunettes. Parmi elles, la photokératectomie réfractive (PKR), technique opératoire sûre et rapide qui présente cependant certains points faibles, dont le principal, le haze. Actuellement, le traitement de choix pour y remédier reste la mitomycine C.

Le principal point faible de la PKR est le haze, dont l’étiologie reste à préciser : activation et multiplication des myofibroblastes, augmentation de la réflectivité des kératocytes activés, synthèse de collagène de type IV, dépôts irréguliers dans la matrice extracellulaire stromale, fibrose sous-épithéliale.
Plusieurs traitements ont été testés afin de le réduire ou de le supprimer mais à ce jour, seule la mitomycine C (MMC) est d’utilisation courante. Les autres (vorinostat, acide hydroxamique subéroylanilide SAHA, vatanalib, PRM-151, trichostatine, bévacizumab et rapamycine, plasma riche en facteurs de croissance), malgré des résultats intéressants, sont restés au stade expérimental, donnant lieu à un très faible nombre de publications. Les corticoïdes topiques en application prolongée représentent une source de complications potentielles connues.

Mitomycine C

La MMC est un antibiotique de la famille des fluoroquinolones. Son très faible poids moléculaire (334 Da) lui permet de migrer très rapidement à travers les tissus. Décrite pour la première fois en 1956, elle a été utilisée en ophtalmologie dès 1963 dans le cadre du traitement du ptérygion, puis en 1990 comme adjuvant à la trabéculectomie et dès 1991 pour la PKR.
Son action se fait par alkylation des 2 brins d’ADN : comme ils ne peuvent plus se séparer, la division cellulaire s’arrête, les kératocytes ne se transforment plus en myofibroblastes et certains meurent par apoptose. La MMC agit surtout sur les cellules à division rapide, ce qui ne doit pas laisser perdre de vue ses effets éventuels sur les cellules qui ne se multiplient pas (les cellules endothéliales).
L’effet antiprolifératif et cytotoxique est temps- et dose-dépendant : la dose inhibitrice pour les kératocytes (ID 50) est de 0,0048 mg/ml, alors que la dose létale (LD 50) est de 0,28 mg/ml, c’est-à-dire presque 60 fois plus importante.
Sa pharmacocinétique, lorsqu’elle est appliquée sur la cornée, montre une concentration maximale dans le stroma 1 heure après l’application. Le passage dans l’humeur aqueuse se fait même si la concentration est très faible (0,005%) et le temps d’application court (15 se condes). La concentration maximale est atteinte à la première heure et diminue à partir de la troisième. La concentration augmente avec la concentration de la solution utilisée, le temps de l’application et l’importance de la correction optique.
Les indications de la MMC sont la myopie supérieure à 4 D (6 pour certains) ou une ablation supérieure à 50 (ou 75) microns. Les valeurs ne sont pas établies pour l’hyper métropie, mais elle y est indiquée. Malgré ces données, de nombreux chirurgiens l’utilisent de façon systématique car des hazes majeurs et prolongés peuvent survenir après le traitement des petites myopies (2 D, par exemple).
Le protocole actuel prévoit une concentration de 0,02%. Il n’y a pas de nomogramme pour le temps d’application (il varie dans les publications entre 5 secondes et 2 minutes), mais la plupart des équipes ne dépassent plus les 30 secondes. Le lavage au BSS est systématique.

MMC et endothélium

Seules 2 études ont rapporté une perte endothéliale [1,2]. Toutefois, le suivi a été de courte durée (respectivement 6 et 3 mois), alors qu’il faut 1 an pour que les cellules endothéliales se redistribuent. De plus, celle de Morales comportait peu de patients et les déviations standard étaient trop importantes ; celle de Nassiri comportait 76 yeux et la diminution de la densité endothéliale à 3 mois n’était que de 0,47% (2 740 en préopératoire, 2 727 au troisième mois). Ces 2 auteurs ont publié une étude prospective comportant 88 yeux et ne montrant pas de changements au troisième mois, ni de densité, ni de forme.
Les autres articles, beaucoup plus nombreux et avec des suivis souvent plus importants, ne révèlent pas d’altération de la densité des cellules endothéliales (ni des autres paramètres de suivi).
L’étude la plus longue concerne l’application de MMC pendant la chirurgie du ptérygion : le suivi de 10 ans n’a pas permis de mettre en évidence une diminution de la densité des cellules endothéliales [3]. Même constat pour une étude comportant un suivi de 5 ans après une PKR pour myopie forte [4].
Les autres études, avec un suivi plus court (entre 1 et 2 ans), vont dans le même sens. Les études publiées ayant pris en compte la morphologie des cellules endothéliales n’ont pas rapporté de changements non plus.
Aucun cas d’œdème cornéen postopératoire n’a été publié chez l’humain, ni de décompensation endothéliale après PKR + MMC.

Conclusion

Tous ces faits (utilisation de la MMC pour la PKR depuis 30 ans, absence de décompensation endothéliale publiée, articles comportant des suivis de longue durée – 5 ou 10 ans – et ne montrant pas de dommages endothéliaux, présence uniquement de 2 études, critiquables, allant dans le sens contraire) plaident pour une innocuité de la MMC par rapport à l’endothélium cornéen.
Toutefois, elle doit être utilisé avec prudence, à la concentration requise et avec un temps d’exposition inférieur à 30 secondes.

Références bibliographiques
[1] Nassiri N, Farahangiz S, Rahnavardi M et al. Corneal endothelial cell injury induced by mitomycin-C in photorefractive keratectomy: nonrandomized controlled trial. J Cataract Refract Surg. 2008;34(6): 902-8.
[2] Morales AJ, Zadok S, Mora-Retana R et al. Intraoperative mitomycin and corneal endothelium after photorefractive keratectomy. Am J Ophthalmol. 2006;142(3):400-4.
[3] Young AL, Ho M, Jhanji V, Cheng LL. Ten years results of a randomized controlled trial comparing 0.02% mitomycin C and limbal conjunctival autograft in pterygium surgery. Ophthalmology. 2013;120(12):2390-5.
[4] Gambato C, Miotto S, Cortese M et al. Mitomycin C-assisted photorefractive keratectomy in high myopia: a long-term safety study. Cornea. 2011;30(6):641-5.
Pour en savoir plus
Chang YM, Liang CM, Weng TH et al. Mitomycin C for the prevention of corneal haze in photorefractive keratectomy: a meta-analysis and trial sequential analysis. Acta Ophtalmol. 2020;doi: 10.1111/aos. 14704.
Teus MA, de Benito-LLopis B, Alió JL. Mitomycin C in corneal refractive surgery. Surv Ophthalmol. 2009;54(4):487-502.
Majmudar PA, Schallhorn SC, Cason JB et al. Mitomycin C in corneal surface excimer laser ablation techniques: a report by the American Academy of Ophthalmology. Ophthalmology. 2015;122(6): 1085-95.
Roh DS, Funderburgh JL. Impact on the corneal endothelium of mitomycin C during photorefractive keratectomy. J Refract Surg. 2009;25(10):894-7.

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