Un tableau atypique de drusen papillaires : un train peut en cacher un autre

Nous présentons le cas d’une femme âgée de 55 ans qui a consulté à la Fondation ophtalmologique Adolphe de Rothschild pour une baisse d’acuité visuelle bilatérale, d’évolution progressive depuis 2 ans. L’hypothèse d’une neuropathie optique chronique sévère secondaire aux drusen de la papille a été évoquée initialement, mais rapidement remise en question en raison de la sévérité de la baisse visuelle. Au total, il s’agit d’une femme chez qui la présence de drusen du nerf optique connus a retardé le diagnostic d’un syndrome chiasmatique compressif lié à un méningiome du jugum.

L’examen initial objectivait la baisse d’acuité visuelle (AV) à 6,3/10 Parinaud 2 à droite, contre « voit bouger la main » à gauche, avec un déficit pupillaire afférent relatif gauche. L’étude du segment antérieur retrouvait une cataracte bilatérale. L’examen du fond d’œil mettait en évidence une pâleur papillaire bilatérale prédominante à gauche, associée à des drusen papillaires bilatéraux calcifiés (figures 1A et B). Sur le champ visuel, il existait un rétrécissement concentrique sévère à droite et l’examen était non réalisable à gauche. La tomographie par cohérence optique (OCT) maculaire retrouvait des images hyporéflectives bilatérales kystiques au sein de la couche nucléaire interne, en inter-papillomaculaire à droite, et plus étendues à gauche (figures 2A et B). Sur l’OCT papillaire, on visualisait une altération bilatérale diffuse de la couche des fibres optiques et des images hyporéflectives, avec une bordure hyperréflective correspondant aux drusen papillaires (figures 3A et B, flèches). Les clichés en autofluorescence mettaient en évidence ces drusen sous la forme de lésions arrondies hyper-autofluorescentes (figures 4A et B).

L’imagerie cérébrale et orbitaire par résonance magnétique a permis la découverte d’un volumineux méningiome du jugum à l’origine d’un effet de masse sur les voies visuelles antérieures, et d’une importante souffrance du nerf optique gauche (figure 5A : coronal T2 ; astérisque : méningiome ; figure 5B : coronal T2 ; flèche : hypersignal du nerf optique gauche). Une prise en charge neurochirurgicale a été réalisée mais n’a malheureusement pas permis d’empêcher la dégradation visuelle. Deux ans plus tard, l’AV est à 2,5/10 Parinaud 10 à droite, et réduite à une absence de perception lumineuse à gauche. Le champ visuel droit retrouve un déficit hémianopsique droit séquellaire de la compression chiasmatique (figure 6). 

Discussion

Les drusen du nerf optique sont des dépôts hyalins arrondis siégeant au niveau de la papille, bilatéraux dans 75% des cas, avec une prévalence estimée entre 3 et 20‰. Ils sont supposés survenir chez des patients génétiquement prédisposés et seraient la conséquence d’une altération du transport axoplasmique favorisée par un canal scléral de petite taille. Il semble qu’ils soient initialement enfouis et qu’ils s’externalisent, se calcifient et augmentent progressivement de volume au cours de la vie, ce qui rend leur diagnostic plus aisé à l’âge adulte que chez les enfants. Les drusen du nerf optique constituent l’une des 4 causes de faux œdème papillaire avec les fibres à myéline, les petites papilles des hypermétropes et les pseudo-œdèmes avec hyperémie retrouvés dans les neuropathies optiques héréditaires de Leber. L’angiographie rétinienne à la fluorescéine est l’examen de référence pour poser le diagnostic de faux œdème caractérisé par une simple imprégnation sans diffusion. Dans le cas de drusen non visibles au fond d’œil, il faudra s’aider d’une approche d’imagerie multimodale :
- l’OCT papillaire en coupes (et en particulier le mode EDI) peut objectiver les drusen sous la forme d’images annulaires hyporéflectives entourées d’une bordure hyperréflective situées en avant de la lame criblée. Ces images ne doivent pas être confondues avec les PHOMS (Peripapillary Hyperreflective Ovoid Mass-like Structures) qui sont des lésions arrondies hyperréflectives localisées aux bords papillaires (figure 7) [1] ;
- les clichés en autofluorescence peuvent mettre en évidence les drusen périphériques grâce à leur caractère hyper-autofluorescent ;
- l’échographie oculaire de type B permet de visualiser des drusen profonds qui se présentent alors comme des lésions ovoïdes hyperéchogènes, avec un cône d’ombre postérieur au niveau de la tête du nerf optique ;
- le scanner orbitaire injecté révélera uniquement les drusen calcifiés et sa normalité ne permet pas d’infirmer le diagnostic.

Il est important de poser le diagnostic de drusen du fait de la confusion possible avec un œdème papillaire vrai et des ­complications potentielles qui nécessitent l’information du patient et une surveillance régulière. L’atteinte campimétrique périphérique évolue de manière progressive et peut aller jusqu’à un champ visuel tubulaire du fait de la neuropathie optique compressive [2]. D’autres complications ont également été ­rapportées : neuropathie optique ischémique antérieure aiguë, hémorragies péripapillaires, néovascularisation choroïdienne. Dans le cas présent, l’importante baisse d’AV à gauche ainsi que la sévérité de la neuropathie optique chronique associée à de nombreux kystes intrarétiniens de la nucléaire interne nous ont amenés à suspecter une autre étiologie, car l’AV est dans la grande majorité des cas préservée chez les patients présentant des drusen du nerf optique. De manière plus générale, les atteintes visuelles sévères secondaires à ces drusen sont rares et doivent faire rechercher un diagnostic différentiel par une imagerie cérébrale et orbitaire. À ce jour, aucune thérapeutique ne permet de retarder l’évolution ou de prévenir les complications. Un suivi annuel est recommandé avec l’examen du fond d’œil aidé des rétinographies comparatives, le champ visuel automatisé des 30 degrés centraux ou de Goldmann en cas de déficit profond, et l’OCT. On pourra proposer des aides optiques, une rééducation basse vision et une prise en charge sociale pour préserver la qualité de vie du patient et maintenir son insertion scolaire et/ou socioprofessionnelle.

À retenir
• Les drusen des nerfs optiques sont toujours loca­lisés dans la portion prélaminaire du nerf optique.
• Ils sont toujours hyporéflectifs, avec parfois une couronne hyperréflective à l’OCT, à ne pas confondre avec les PHOMS.
• Une baisse d’AV profonde en présence de drusen du nerf optique doit faire rechercher un diagnostic ­différentiel.

Références bibliographiques
[1] Malmqvist L, Bursztyn L, Costello F et al. The optic disc drusen studies consortium recommendations for diagnosis of optic disc drusen using optical coherence tomography. J Neuroophthalmol. 2018;38(3):299-307.
[2] Traber GL, Weber KP, Sabah M et al. Enhanced depth imaging optical coherence tomography of optic nerve head drusen: a comparison of cases with and without visual field loss. Ophthalmology. 2017;124(1):66-73.

Auteurs

  • Raoul Kanav Khanna

    Interne en ophtalmologie

    Fondation Ophtalmologique Adolphe de Rothschild, Paris

  • Manon Philibert

    Neurologue - Neuro-ophtalmologue

    Service du Dr Vignal-Clermont, Fondation Ophtalmologique Adolphe de Rothschild, Paris

  • Catherine Vignal-Clermont

    Ophtalmologiste

    Service urgences, neuro-ophtalmologie, Fondation ophtalmologique A. de Rothschild, Paris ; Service du Pr José Alain Sahel, CHNO des Quinze-Vingts, Paris

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