Un nouveau départ, pour une nouvelle vue !
Le patient est un homme de 73 ans porteur d’un kératocône bilatéral. Il est adressé par son chirurgien afin de savoir si l’on peut optimiser son acuité visuelle en lentilles.
Observation
Le patient présente un kératocône bilatéral sévère de stade 4 (figures 1 et 2), associé à une fibrose stromale au sommet du cône au niveau des 2 yeux (figure 3). Après plus de 5 ans sans suivi ophtalmologique, il revient en consultation pour une évaluation complète. Avant d’envisager une greffe cornéenne bilatérale, il faut évaluer son potentiel de récupération visuelle, en optimisant son équipement en lentilles rigides. Son acuité visuelle (AV) sans lentilles fluctue autour de 3/10 à droite et 2/10 à gauche. Le patient est restreint pour la conduite automobile, son AV étant non conforme à la légalité – supérieure ou égale à 5/10 en vision binoculaire pour la conduite d’un véhicule léger à usage privé.

Voici son ancien équipement en LRPG :
- œil droit : lentille Menicon Rose K2 - Matériau Z (diamètre : 8,70 mm ; R0 : 6,00 mm ; puissance sphérique : -4,25 D) ;
- œil gauche : lentille Menicon Rose K2 - Matériau Z (diamètre : 8,70 mm ; R0 : 5,90 mm ; puissance sphérique : -6,00 D).
L’interrogatoire révèle que le patient utilise de l’eau courante pour nettoyer ses lentilles. Il n’effectue jamais de déprotéinisation et l’entretien de son boîtier est défectueux. Il lui arrive même d’intervertir le sens de ses LRPG pour majorer son confort. Le port des lentilles est irrégulier et non quotidien. Cependant, à la suite d’un changement de mode de vie, le patient est de nouveau motivé pour reprendre un suivi ophtalmologique.
Prise en charge contactologique
Pour ce patient, l’adaptation en LRPG se fonde sur les données topographiques car celles d’auto-kérato-réfractomètre sont impossibles à acquérir.
Le choix s’est porté sur les lentilles suivantes :
- œil droit : LCS-AirKone (diamètre : 8,60 mm ; R0 : 5,40 mm ; edge lift : +0,5 ; puissance sphérique : -10,50 D) ;
- œil gauche : LCS-AirKone (diamètre : 8,50 mm ; R0 : 4,80 mm ; edge lift : 0 ; puissance sphérique : -21,00 D).
L’AV est alors de 4/10 OD et 2,5/10 OG. Le patient est satisfait de sa qualité visuelle. Cependant, la conduite lui est toujours contre-indiquée. Seule une greffe cornéenne permettrait une réhabilitation visuelle suffisante pour la pratique automobile.
Lors de la consultation de contrôle, après plusieurs heures de port, le R0 de la lentille droite est resserré à 5,20 mm car il est retrouvé de fines érosions au sommet du cône (figure 4A). Au niveau de l’œil gauche, il est décidé d’augmenter le dégagement périphérique avec un edge lift à +0,5 afin de permettre une meilleure mobilité de la lentille (figure 4B).
Le patient a également bénéficié d’un processus d’éducation thérapeutique. Tout d’abord, un rappel des procédures d’hygiène et des produits d’entretien a été prodigué. Pour plus de facilité et une meilleure compliance, un produit d’entretien multifonction avec une valence déprotéinisante a été prescrit (Bausch et Lomb-Boston Simplus). Le patient a également participé à un atelier pratique de manipulation des LRPG.
Discussion
La volonté et la motivation des patients sont des éléments clés de l’adaptation en LRPG. L’adhésion du patient aux soins nous a permis de réaliser une adaptation optimale et personnalisée au vu du contexte et du caractère sévère de son kératocône bilatéral.
La réhabilitation visuelle du kératocône dépend de son stade. Au stade débutant, des corrections optiques et des lentilles souples peuvent être envisagées. L’utilisation des lentilles rigides reste cependant la modalité de première ligne. Il peut s’agir de LRPG à géométrie spécifique, de lentilles hybrides, de verres scléraux ou même d’une technique combinée de type piggy-back. Si l’amélioration de l’AV est insuffisante, des techniques chirurgicales peuvent être envisagées en fonction de la clarté cornéenne : anneaux intracornéens, greffe cornéenne.
Conclusion
Le kératocône est une maladie cornéenne ectasiante non inflammatoire. Son incidence annuelle est estimée entre 50 et 230 pour 100 000 habitants. Des facteurs environnementaux comme les allergies et les frottements oculaires entrent en jeu dans l’évolutivité de la pathologie. La prise en charge consiste à stopper l’évolutivité de la pathologie, mais également à proposer une réhabilitation visuelle. La contactologie fait partie intégrante de ce processus.
Lors du port de lentilles de contact, il est toujours important d’interroger les patients sur leurs habitudes de port et de manipulation. Les règles d’hygiène et d’entretien doivent être rappelées et expliquées le plus souvent possible au patient.
Pour en savoir plus
Fournié P, Touboul D, Arné JL et al. Kératocône. J Fr Ophtalmol. 2013;36(7):618-26.
Lim L, Lim EW. Current perspectives in the management of keratoconus with contact lenses. Eye (Lond). 2020;34(12):2175-96.
Ortiz-Toquero S, Rodriguez G, Martin R. Clinical guidelines for the management of keratoconus patients with gas permeable contact lenses based on expert consensus and available evidence. Curr Opin Ophthalmol. 2021;32(Suppl 2):S1-S11.