Un nouveau départ

Erwan L., âgé de 14 ans, actuellement en classe de 3e, est adressé par un ophtalmologiste pour une tentative d’adaptation en lentilles rigides dans un contexte de kératocône de stade 4 bilatéral. En cas d’échec d’adaptation ou de faible bénéfice visuel, une greffe de cornée va être .envisagée.

Erwan a consulté pour la .première fois en ophtalmologie quelques jours auparavant pour une baisse d’acuité visuelle profonde évoluant depuis plusieurs années. Il est adressé par un confrère ophtalmologiste pour une tentative d’adaptation en .lentilles rigides avant d’envisager une greffe de cornée. Il est en classe de 3e mais déscolarisé depuis plusieurs mois, handicapé par sa faible vision. Il se sait allergique au pollen mais n’en a jamais parlé avec son médecin traitant et aucune thérapeutique antiallergique n’est en place. Il se gratte très souvent les yeux depuis des années. Aucun antécédent familial particulier n’est à déplorer.

Observation

L’acuité visuelle est chiffrée à compte les doigts Parinaud P > 28 sans correction optique aux 2 yeux et remonte à 1/20 faible à droite et à gauche avec correction optique en lunettes. Aucune valeur de kératométrie n’est obtenue.
L’examen du segment antérieur retrouve aux 2 yeux des opacités cornéennes centrales sous-épithéliales, des stries de Vogt centrales, un anneau de Fleischer (figure 1). Il n’y a pas d’hydrops cornéen. Nous observons d’importantes papilles sous-palpébrales. Les déformations cornéennes sont plus importantes au niveau de l’œil droit (figure 2). La pachymétrie est chiffrée à 289 microns à droite, et 337 à gauche. Ces éléments nous font classer le kératocône en stade 4 sur la classification d’Amsler.
L’examen rétinien par fond d’œil et tomographie à cohérence optique est sans particularité. La topographie cornéenne n’est pas réalisable sur notre appareil. Le cross-linking cornéen est contre-indiqué du fait des opacités cornéennes et de la pachymétrie trop fine.
Une adaptation en lentilles rigides est proposée, avec d’emblée choix de lentilles sclérales en raison de la déformation importante de la cornée. Nous obtenons une acuité visuelle de 5/10 faible à droite avec une lentille LAO SPOT M5 EL = 0 RB = 0,6 P : +0,50, et 8/10 faible à gauche avec une lentille LAO SPOT M4 EL = 0 RB = 0 P : +0,75 (figure 3).
Une éducation thérapeutique est réalisée par l’infirmière de contactologie pour lui apprendre à manipuler et entretenir correctement ses nouvelles lentilles.
Erwan est rapidement autonome au niveau de la manipulation. Il est revu à plusieurs reprises en consultation de contrôle. Il porte initialement les lentilles 4 heures par jour pendant quelques jours, puis rapidement toute la journée avec une très bonne tolérance. L’acuité visuelle binoculaire remonte à 8/10 faible. Les lentilles définitives sont prescrites à 1 mois.
L’indication de greffe cornéenne n’est donc pas retenue du fait de l’augmentation de l’acuité visuelle.

Discussion
Le kératocône est une ectasie cornéenne progressive qui apparaît généralement dans la deuxième décennie de la vie mais qui peut parfois survenir plus tôt dans l’enfance [1]. Elle provoque une baisse de vision secondaire à l’apparition d’une myopie et d’un astigmatisme cornéen régulier et irrégulier, et parfois à l’existence d’opacités cornéennes [2]. La qualité de vie des patients atteints d’un kératocône est dégradée [2]. Les conséquences sur la vie quotidienne sont d’autant plus importantes que cette affection survient sur des patients en pleine activité scolaire, universitaire ou professionnelle [3]. Dans l’étude française IMPACT, 37,5% des élèves ont déclaré  avoir une scolarité perturbée à cause du kératocône [3].
Après une longue période de déscolarisation et de mise en retrait, Erwan a retrouvé confiance en lui grâce à l’adaptation en lentilles. Il a pu retourner à l’école, .passer son brevet des collèges et poursuivre ses études dans une école de paysage pour réaliser sa passion. De notre point de vue, nous le trouvions relativement timide et renfermé sur lui-même lors de la première consultation. À la fin de l’adaptation, il était souriant, il nous parlait volontiers de son retour à l’école, de son stage en cours, de ses projets de vie.

Conclusion
L’adaptation en lentilles rigides est un outil très .efficace pour faire remonter l’acuité visuelle et améliorer la qualité de vie de patients atteints d’un kératocône, y compris à un stade très avancé. Nous avons remarqué au décours de ce cas clinique tout le bénéfice psychologique et social de cette adaptation, notamment à travers le ressenti du patient lui-même et de son père, qui aura permis à ce jeune patient de prendre un nouveau départ.

Voici un extrait du ressenti du père du patient à l’annonce du diagnostic : « Lorsque nous avons appris qu’Erwan était atteint d’un kératocône et que sa vision était aussi basse, notre famille a reçu un grand coup. C’est arrivé très vite, nous avions remarqué qu’il se rapprochait pour lire et pour regarder la télévision, mais nous n’imaginions pas que sa vision était si basse, il ne se plaignait pas. En tant que papa, je suis pour ainsi dire “tombé du grenier à la cave”. Je n’en dormais plus, car il a 14 ans, il est très jeune, il a encore toute la vie devant lui. Nous étions très inquiets et nous avons passé des heures sur Internet en attendant le rendez-vous de contactologie pour essayer de savoir s’il pouvait récupérer quelque chose. »

Erwan insiste quant à lui sur son adaptation et les .sentiments qui l’ont traversé : « J’avais peur de ne pas réussir à manipuler seul les lentilles car bientôt je vais partir en internat et cela me stressait beaucoup. Cependant l’apprentissage a été assez facile pour moi avec les conseils d’adaptation qui m’ont été donnés. Je suis rapidement devenu autonome. J’ai pu retourner à l’école, refaire du sport, ça a véritablement changé ma vie. J’ai l’impression que ma vue n’est plus un obstacle à mes projets »

Références bibliographiques
[1] Olivares Jiménez JL, Guerrero Jurado JC, Bermudez Rodriguez FJ, Serrano Laborda D. Keratoconus: age of onset and natural history. Optom Vis Sci. 1997;74(3):147‑51.
[2] Ferdi AC, Nguyen V, Gore DM et al. Keratoconus natural progression: a systematic review and meta-analysis of 11 529 eyes. Ophthalmology. 2019;126(7):935‑45.
[3] Saunier V. Évaluation de la qualité de vie et de la dépendance des patients porteurs d’un kératocône: l’étude IMPACT. DUMAS. 2018;60.

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