Un fond d’œil sous pression…
M. D., âgé de 30 ans, se présente aux urgences pour des céphalées intenses et un flou visuel. Le bilan initial retrouve une insuffisance rénale aiguë et des signes échographiques de cardiopathie, mais surtout une hypertension artérielle à 230/110 mmHg.
Observation
Le patient est adressé en consultation d’ophtalmologie pour explorer sa plainte visuelle. Dans ses antécédents, il rapporte seulement une amblyopie de l’œil gauche connue depuis l’enfance.
L’examen retrouve une acuité visuelle heureusement conservée à droite à 10/10 P2 et à 6/10 P2 à gauche. L’examen du segment antérieur est sans particularité.
Le fond d’œil (figure 1) montre un œdème papillaire bilatéral, un rétrécissement diffus du calibre des vaisseaux rétiniens, des hémorragies rétiniennes en flammèches, en taches, de nombreux nodules cotonneux ainsi que des exsudats secs. L’OCT maculaire observe des lésions hyperréflectives évocatrices d’exsudats intrarétiniens (figure 2A). L’examen confirme également la présence d’épaississements hyperréflectifs de la rétine interne (figure 2B) typiques des nodules cotonneux.
L’angiographie à la fluorescéine (figure 3) montre de nombreuses zones de non-perfusion au niveau du pôle postérieur ainsi qu’une diffusion papillaire bilatérale. On note également la présence de petites lésions punctiformes hypofluorescentes.
L’angiographie au vert d’indocyanine (figure 4) indique que ces lésions sont également hypocyanescentes, et donc évocatrices de taches d’Elschnig, liées à des zones d’ischémie choroïdienne.
Le diagnostic final retenu pour ce patient est celui d’une rétinopathie hypertensive bilatérale de grade 3 dans un contexte d’hypertension artérielle (HTA) maligne avec atteinte rénale, cardiaque et ophtalmologique.
Le traitement ophtalmologique et général repose sur un équilibre tensionnel ainsi qu’un bilan étiologique d’HTA. Ce bilan révélera la présence d’un hyperaldostéronisme primaire en rapport avec un adénome surrénalien.
Discussion
La rétinopathie hypertensive est définie par l’ensemble des atteintes vasculaires liées à l’HTA et/ou à l’athérosclérose. Sa prévalence est estimée entre 3 et 14% chez les patients âgés de plus de 40 ans [1] et dépasse les 65% chez les sujets hypertendus [2]. Cette pathologie se caractérise par des lésions vasculaires rétiniennes, liées en partie à la réponse du réseau vasculaire rétinien à la hausse brutale de la pression intra-artérielle. Cette hypertension brutale entraîne une vasoconstriction active des artérioles, et donc un rétrécissement vasculaire diffus au fond d’œil. Dans les stades plus avancés, on retrouve des occlusions artériolaires responsables de l’apparition de nodules cotonneux. La rupture de la barrière hématorétinienne provoque les exsudats et l’œdème papillaire.
Cette rétinopathie est associée à une atteinte choroïdienne caractérisée par une fuite capillaire à ce niveau, liée à une augmentation brutale du flux transcapillaire. Les taches d’Elschnig souvent décrites sont liées à des zones circonscrites d’ischémie choroïdienne.
De nombreuses complications peuvent être associées, comme les macroanévrysmes artériels, les occlusions vasculaires ou les œdèmes maculaires. Si ces dernières peuvent influer sur la fonction visuelle, les complications générales de l’hypertension peuvent mettre en jeu le pronostic vital. Des associations statistiquement significatives ont été décrites entre la rétinopathie hypertensive et le risque d’accident vasculaire cérébral [3], les lésions de la substance blanche [4], ainsi que la cardiopathie ischémiques [5].
Le traitement est avant tout étiologique, avec un équilibre tensionnel et le traitement des facteurs favorisants associés, tel le diabète. Certaines complications comme les macroanévrysmes peuvent être accessibles à un traitement local par laser focal, de même que les zones étendues de non-perfusion peuvent constituer une indication de photocoagulation.
Conclusion
La rétinopathie hypertensive est une pathologie fréquente et grave. Le dépistage des signes d’HTA au fond d’œil est important car l’évaluation vasculaire rétinienne peut constituer un reflet de l’état vasculaire cérébral. Certains systèmes de dépistages automatisés [6] de rétinopathie hypertensive sont en cours d’évaluation et pourraient permettre une évaluation à plus large échelle des atteintes hypertensives rétiniennes en population générale.
Références bibliographiques
[1] Chobanian AV, Bakris GL, Black HR et al. The seventh report of the joint national committee on prevention, detection, evaluation, and treatment of high blood pressure: the JNC 7 report. JAMA. 2003;289(19):2560-72.
[2] Erden S, Bicakci E. Hypertensive retinopathy: incidence, risk factors, and comorbidities. Clin Exp Hypertens. 2012;34(6):397-401.
[3] Harazny JM, Ritt M, Baleanu D et al. Increased wall:lumen ratio of retinal arterioles in male patients with a history of a cerebrovascular event. Hypertension. 2007;50(4):623-9.
[4] Wong TY, Klein R, Couper DJ et al. Retinal microvascular abnormalities and incident stroke: the atherosclerosis risk in communities study. Lancet. 2001;358(9288):1134-40.
[5] Wong MD, Shapiro MF, Boscardin WJ, Ettner SL. Contribution of major diseases to disparities in mortality. N Engl J Med. 2002;347(20):1585-92.
[6] Akbar S, Akram MU, Sharif M et al. Decision support system for detection of hypertensive retinopathy using arteriovenous ratio. Artif Intell Med. 2018;90:15-24.