Un cas d’infiltrat stérile périphérique post-Lasik
Nous rapportons le cas d’une patiente âgée de 36 ans sans antécédent médical, opérée d’un Lasik bilatéral et ayant développé un infiltrat stérile marginal post-Lasik.
Observation
Notre patiente a consulté dans notre service pour un avis de chirurgie réfractive. L’interrogatoire ne retrouvait pas d’arguments pour une pathologie auto-immune. L’examen préopératoire montrait une acuité visuelle (AV) de 4/10 P2 et 5/10 P2 sans correction, remontant à 12/10 P2 aux 2 yeux avec une correction de +0,75 (-1,75) 175° à l’œil droit et +1,00 (-1,75) 5° à l’œil gauche. L’examen à la lampe à fente ne révélait pas d’anomalie particulière des segments antérieur et postérieur, en dehors d’une blépharite et d’une sécheresse oculaire très importante. La topographie indiquait un astigmatisme régulier et une pachymétrie minimale de 530 µm aux 2 yeux. Un Lasik a été réalisé aux 2 yeux le même jour. Cependant, plusieurs lâchages de la succion se sont produits. Le reste de la procédure s’est déroulé sans anomalie.
À l’examen postopératoire du lendemain, la patiente se plaignait d’une gêne oculaire aux 2 yeux, avec une AV sans correction de 3/10 à droite et 10/10 à gauche. L’examen à la lampe à fente retrouvait une hémorragie sous-conjonctivale (figure 1) témoignant des reprises de succion. L’œil droit présentait des dépôts dans l’interface (figure 2) en dehors de l’axe visuel. L’œil gauche présentait un infiltrat arciforme (figure 3A) suivant les limites du capot de Lasik, sans défect épithélial en regard et s’étendant de part et d’autre de l’interface comme en témoigne l’OCT (figure 3B). Par ailleurs, on retrouvait une kératite lamellaire diffuse minime avec une chambre antérieure calme aux 2 yeux. Le diagnostic d’infiltrat inflammatoire stérile périphérique fut évoqué, et un traitement par dexaméthasone-tobramycine horaire a été débuté. La patiente a été revue régulièrement, avec une amélioration de l’infiltrat et de l’AV permettant la décroissance progressive du traitement.
L’examen à 1 mois postchirurgie retrouvait une AV de 5f/10 sans correction, remontant à 10/10 avec plan (-1,00) 55° à droite, et 10/10 sans correction à gauche. L’examen à la lampe à fente révélait les dépôts de l’interface à l’œil droit (figure 4), et une nette atténuation de l’infiltrat marginal (figure 5A) à l’œil gauche, comme en témoigne l’OCT (figure 5B).
Discussion
Les infiltrats stériles périphériques ou marginaux post-Lasik sont rares et sont peu rapportés dans la littérature [1-4]. Ils correspondent à une réaction inflammatoire localisée, non infectieuse. La physiopathologie reste incomplètement élucidée. Certains auteurs évoquent un mécanisme immunologique similaire à ceux des infiltrats catarrhaux, avec une réaction d’hypersensibilité à une toxine entraînant l’activation du complément et la production de cytokines pro-inflammatoires (IL-1 et TNF-α) [5]. Il en résulterait une migration de polynucléaires neutrophiles, monocytes et macrophages.
Devant l’apparition d’un infiltrat postchirurgie réfractive, il est important d’éliminer avant tout une kératite infectieuse. Le diagnostic différentiel entre un infiltrat stérile et un infiltrat infectieux peut-être difficile, et il ne faut pas hésiter à effectuer un prélèvement microbiologique et à traiter préventivement au moindre doute en attendant les résultats. Le suivi rapproché est impératif. Nous nous sommes orientés d’emblée vers un infiltrat stérile, avec un suivi quotidien, devant l’absence d’hyperhémie conjonctivale, de défects épithéliaux et d’œdème cornéen périlésionnels, de réaction inflammatoire en chambre antérieure, et la bonne évolution sous corticoïdes topiques.
Les infiltrats stériles périphériques répondent le plus souvent bien à la corticothérapie locale intensive. Cependant, il peut persister un astigmatisme plus ou moins irrégulier selon l’étendue de la cicatrice, occasionnant une baisse de l’AV sans correction. Plus rarement, une nécrose du capot peut survenir dans des cas extrêmes [6]. Une reprise chirurgicale est déconseillée si l’évolution sous traitement topique est positive, malgré un patient bien souvent insistant et mécontent d’une procédure dont il attendait beaucoup. Il est important de ne pas céder aux demandes pressantes du patient et d’attendre une stabilisation avant toute reprise chirurgicale. Le patient doit être prévenu du risque de récidive. Un traitement de la dysfonction des glandes de Meibomius par des soins des paupières et la prise de cyclines orales pourra être mis en place. On pourra également proposer des corticoïdes quelques jours avant l’opération, avec une intensification en postopératoire. On veillera à limiter les manipulations en peropératoire, notamment l’expression des glandes de Meibomius.
Chez notre patiente, plusieurs hypothèses peuvent être à l’origine de ce phénomène inflammatoire : d’une part les succions répétées ont favorisé l’expression de meibum, comme en témoignent les dépôts de l’interface de l’œil droit ; d’autre part l’utilisation d’un seul et même crochet permettant de soulever le capot aux 2 yeux qui aurait permis l’inoculation de molécules pro-inflammatoires (cytokines, toxines) de l’œil droit à l’œil gauche. Il est ainsi intéressant de noter la localisation marginale arciforme de l’infiltrat qui retrace parfaitement le trajet initial du crochet lors de l’étape de soulèvement du capot.
Conclusion
Le diagnostic différentiel avec une kératite infectieuse débutante peut être difficile, et un suivi rapproché est impératif afin de mettre en place le traitement le plus rapidement possible le cas échéant. Il ne faut pas hésiter à effectuer des prélèvements microbiologiques et à traiter en préventif. Le suivi quotidien est impératif car les infiltrats stériles répondent bien à la corticothérapie intensive, et l’aggravation doit faire redresser le diagnostic au plus vite.
Messages clés
• Les infiltrats stériles périphériques post-Lasik relèvent d’un mécanisme inflammatoire localisé et non infectieux.
• Le diagnostic différentiel avec une kératite infectieuse débutante est impératif.
• Prélever et traiter par des antibiotiques collyres au moindre doute.
• Dépister et traiter tout état inflammatoire (blépharite, dysfonction des glandes de Meibomius) en préopératoire.
• Les arguments en faveur d’un infiltrat stérile sont : absence de défect épithélial et d’œdème cornéen périlésionnels, absence de réaction de chambre antérieure et d’hyperhémie conjonctivale, et une bonne évolution sous corticoïdes.
Références bibliographiques
[1] Lahners WJ, Hardten DR, Lindstrom RL. Peripheral keratitis following laser in situ keratomileusis. J Refract Surg. 2003;19(6):671-5.
[2] Haw WW, Manche EE. Sterile peripheral keratitis following laser in situ keratomileusis. J Refract Surg. 1999;15(1):61-3.
[3] Ambrósio R Jr, Periman LM, Netto MV, Wilson SE. Bilateral marginal sterile infiltrates and diffuse lamellar keratitis after laser in situ keratomileusis. J Refract Surg. 2003;19(2):154-8.
[4] Singhal S, Sridhar MS, Garg P. Bilateral peripheral infiltrative keratitis after LASIK. J Refract Surg. 2005;21(4):402-4.
[5] Ambrósio R, Hallal R, Ramos I, Faria-Correia F. Marginal sterile corneal infiltrates after LASIK and corneal procedures. In: Alio JL, Azar DT, editors. Management of complications in refractive surgery. Cham: Springer International Publishing; 2018. p. 83-90.
[6] Jin H-Y, Yao K, Yang Y-B et al. Successful diagnosis and treatment of a single case of bilateral necrotizing keratitis following femtosecond-LASIK. Ocul Immunol Inflamm. 2016;24(2):231-6.