Traitement du dysfonctionnement meibomien par lumière pulsée et photo-biomodulation
La surface oculaire se place depuis quelques années sur le devant de la scène et suscite le développement d’outils de traitement, en particulier dans la sécheresse oculaire et le dysfonctionnement des glandes de Meibomius (DGM) qui sont des maladies liées. La sécheresse oculaire est une pathologie extrêmement fréquente, avec une prévalence allant de 5 à 50% selon les régions [1]. En France, elle représenterait jusqu’à 25% des consultations en ophtalmologie, entraînant du fait de sa chronicité et de son impact parfois majeur sur la qualité de vie une incidence socio-économique importante. Le DGM est la première cause de syndrome sec oculaire (SSO), générant un déficit de la couche lipidique du film lacrymal et une évaporation accrue des larmes.
Les principaux traitements de ces pathologies chroniques sont l’administration de collyres (notamment les larmes artificielles) et les soins des paupières. Ceux-ci doivent être réalisés à un rythme pluriquotidien pour une efficacité optimale, ce qui, pour les patients, est chronophage et contraignant et à l’origine dans le temps d’une mauvaise observance puis, à terme, d’un abandon fréquent des soins. Les avancées technologiques depuis plusieurs années ont permis et permettent aujourd’hui encore le développement de nouvelles plateformes. Toutefois, leur place dans la stratégie thérapeutique du SSO et du DGM est parfois floue, compte tenu de la grande multiplicité de ces dispositifs et de leurs technologies dont le mécanisme d’action n’est pas toujours élucidé. Par ailleurs, le coût souvent élevé de ces traitements, pour le patient (pas de remboursement par la Sécurité sociale) mais aussi pour le médecin, est un frein important à leur mise en œuvre.
À travers l’expérience d’une étude menée au CHU de Brest dans le service du Pr Béatrice Cochener, nous allons nous intéresser dans ce dossier à la plateforme Eye-Light®, développée par l’entreprise Espansione, qui combine 2 technologies : la lumière pulsée (Intense Pulsed Light), dont l’efficacité dans le DGM est largement documentée [2] et la photo-biomodulation, qui introduit un mécanisme d’action innovant pour les soins de la surface oculaire.
Lumière pulsée et photo-biomodulation
Lumière pulsée
Il s’agit d’une technologie visant à délivrer des impulsions de lumière intense, non cohérente, polychromatique, avec un large spectre de longueurs d’onde (de 500 à 1 200 nm). Les effets thérapeutiques se fondent sur le principe de la photothermolyse sélective et l’absorption de la lumière est d’ordre thermique et pigment-dépendante. Ce n’est pas un laser.
Le mécanisme d’action du traitement par IPL dans le dysfonctionnement meibomien n’est pas totalement élucidé mais plusieurs hypothèses physiopathogéniques lui sont attribuées, parmi lesquelles :
- un effet vasculaire prothrombotique en favorisant la destruction des vaisseaux sanguins anormaux, notamment les télangiectasies ;
- un effet anti-inflammatoire par modulation des molécules de l’inflammation ;
- un effet anti-infectieux par réduction de la charge microbienne ;
- un effet trophique stimulant la synthèse de collagène, favorisant la réparation tissulaire et inhibant le renouvellement épithélial du bord libre pour moins d’obstruction des glandes ;
- un effet neurotrope permettant la diminution des douleurs oculaires ;
- un effet anti-oxydant.
Ainsi la lumière pulsée semble agir par de multiples mécanismes sur le DGM, ceux-ci étant potentiellement intriqués, et outre son action thermique procurant un effet à court terme, d’autres voies, notamment anti-inflammatoires, semblent jouer un rôle important [3].
Photo-biomodulation
La thérapie par faible niveau de lumière (LLLT pour Low Light Level Therapy), ou photo-biomodulation, peut être définie par l’usage d’une lumière monochromatique de laser ou de diodes électroluminescentes, notamment dans le rouge ou le proche infrarouge, pour moduler une fonction biologique sans effet thermique. L’effet d’une telle action implique la conversion de l’énergie lumineuse en énergie métabolique, ce qui a pour conséquence la modulation du fonctionnement biologique des cellules.
Les mitochondries, qui permettent la production d’énergie et de facteurs métaboliques, et qui sont impliquées dans différents processus tels que la communication, la différenciation, l’apoptose et la régulation du cycle cellulaire, jouent un rôle central dans les mécanismes de la LLLT.
En effet, les diodes électroluminescentes agissent sur le système d’oxydoréduction (redox) mitochondrial, notamment par le biais de l’enzyme cytochrome C-oxydase qui a un rôle photo-accepteur dans le rouge et le proche infrarouge. En parallèle, le processus crée des molécules de signalisation telles que les dérivés réactifs de l’oxygène ou l’oxyde nitrique qui influent sur la transcription des gènes, et donc sur la réparation et la guérison cellulaire.
De ce fait, la LLLT a des effets durant l’exposition à la lumière tels que des changements redox des composants de la chaîne respiratoire, la production d’ATP et la génération de radicaux libres. Il y a également des incidences après l’exposition à la lumière qui se traduisent par une cascade de réactions biochimiques modifiant l’homéostasie cellulaire, la neurotransmission, l’expression de gènes et des fonctions enzymatiques.
Cette technique, en raison de son rôle sur les voies de signalisation cellulaire, influerait donc sur les défenses immunitaires, l’apoptose, mais aussi sur les médiateurs de l’inflammation.
Évaluation de l’efficacité du dispositif
Nous avons évalué 74 yeux de 37 patients au cours d’une étude prospective au CHU de Brest entre janvier 2019 et avril 2020. Chaque patient, après une consultation d’inclusion, a bénéficié de 3 séances de traitement avec la plateforme Eye-Light®, séances espacées de 14 jours avec une évaluation à 1 et 3 mois de la dernière séance. Aucun autre traitement, ni médicamenteux ni d’hygiène palpébrale, ne pouvait être introduit durant toute la durée de l’étude, le cas contraire excluait le patient de l’étude. La gratuité du traitement était la règle pour chaque patient.
Nous avons retrouvé une amélioration significative des scores (subjectifs) SPEED et OSDI à 1 et 3 mois (44,1 à l’inclusion vs 27,4 et 27,5 pour l’OSDI moyen respectivement à 1 et 3 mois, et 17,4 vs 11,5 et 11,6 pour le SPEED moyen). Les scores cliniques (objectifs) étaient améliorés de manière statistiquement significative : en effet, le TBUT (Tear Break-Up Time) était amélioré avec une augmentation de presque 1,5 point à 1 et 3 mois (TBUT moyen 3,1 à l’inclusion vs 4,5 et 4,6 respectivement à 1 et 3 mois), et le score d’Oxford était divisé par 3 à 1 mois (1,4 vs 0,3 et 0,2 à 1 et 3 mois). Ces résultats semblent en accord avec la littérature existante concernant ce dispositif [4,5].
Tolérance du soin
Des effets indésirables relativement bénins ont été notés, représentés essentiellement par des érythèmes cutanés posttraitement dans 30% des cas (11 patients sur 37), avec une réversibilité totale des symptômes dans les 2 heures suivant la fin du traitement. Un patient a rapporté une douleur modérée dans les suites de sa première séance d’Eye-Light®, ne motivant pas de consultation médicale et réversible dès le lendemain de la séance. Aucun patient n’a interrompu le protocole de soins du fait d’événements indésirables ou d’une gêne quelconque. Deux effets indésirables sévères ont été relevés, pour lesquels le protocole de soins a été stoppé et un traitement local et/ou général, mis en place. Ces 2 cas concernent l’apparition d’une kératite herpétique survenant chez 2 personnes après la deuxième séance d’Eye-Light® : un épisode chez un homme de 66 ans, aux antécédents de kératite herpétique (non initialement rapportés) et dont la dernière poussée avait eu lieu 28 mois plus tôt. Ce patient a présenté une kératite herpétique épithéliale dendritique d’évolution favorable sous traitement ; et un épisode chez un homme de 49 ans, sans antécédents d’herpès oculaire, qui a présenté une kératite herpétique stromale antérieure d’évolution favorable sous traitement.
Conclusion
Le dispositif médical Eye-Light® est une plateforme de traitement combinant la lumière pulsée (IPL) et la photo-biomodulation (LLLT), ciblant le syndrome sec oculaire et en particulier la dysfonction des glandes de Meibomius. Dans notre expérience, les résultats ont été très favorables, avec une amélioration significative du score OSDI et SPEED mais aussi des signes physiques. Ce traitement semble très bien toléré et nous n’avons pas rencontré de difficultés dans sa réalisation, ce qui devrait permettre de rendre cet acte délégable. L’hypothèse que nous émettons sur les résurgences herpétiques au décours du traitement par la plateforme Eye-Light® devra également être précisée et une contre-indication chez les patients aux antécédents d’herpès oculaire devra être posée si de nouveaux cas sont rapportés. Les mécanismes physio-pathogéniques devraient alors être précisés.
Références bibliographiques
[1] Stapleton F, Alves M, Bunya VY et al. TFOS DEWS II epidemiology report. Ocul Surf. 2017;15(3):334-65.
[2] Sambhi R-D S, Sambhi GDS, Mather R, Malvankar-Mehta MS. Intense pulsed light therapy with meibomian gland expression for dry eye disease. Can J Ophthalmol. 2020;55(3):189-98.
[3] Xue AL, Wang MTM, Ormonde SE, Craig JP. Randomised double-masked placebo-controlled trial of the cumulative treatment efficacy profile of intense pulsed light therapy for meibomian gland dysfunction. Ocul Surf. 2020;18(2):286-97.
[4] Stonecipher K, Abell TG, Chotiner B et al. Combined low level light therapy and intense pulsed light therapy for the treatment of meibomian gland dysfunction. Clin Ophthalmol. 2019;13:993-9.
[5] Pinto M. Étude de l’efficacité et tolérance du traitement combiné lumière pulsée (IPL) + photobiomodulation (LLLT) pour le traitement du dysfonctionnement meibomien. 2018.