Glaucome et neuroprotection : quelles preuves ?
Quelle place dans le traitement ?

Symposium réalisé avec le soutien institutionnel du laboratoire Densmore

Symposium. La neuropathie glaucomateuse conditionnée par des facteurs non pressionnels

À travers un ensemble de travaux scientifiques et de cas cliniques, Pr Florent Aptel, Pr André Mermoud et le Dr Hélène Bresson-Dumont ont décrypté les mécanismes des glaucomes, de l’apoptose à la neurodégénérescence des cellules ganglionnaires rétiniennes. Le but était d’illustrer l’intéret et les indications potentielles de la neuroprotection dans ces pathologies.  

De l’apoptose à la neuroprotection
L’accélération de l’apoptose physiologique des cellules ganglionnaires rétiniennes qui composent le nerf optique détermine la neuropathie optique glaucomateuse, avec excavation papillaire, altération du champ visuel (CV) et retentissement fonctionnel. De grandes études ont montré que l’élévation de la pression intraoculaire (PIO) augmente le risque de glaucome. Bien que contrôler la PIO diminue le risque d’apparition et de progression de la maladie, une dégradation significative se poursuit chez certains patients (OHTS [1], EMGT [2], UKGTS [3]). Cela montre le rôle probable de facteurs non pressionnels tels que l’âge, les antécédents familiaux, l’ethnie, la myopie et, de façon plus controversée, une cornée fine, l’hypertension artérielle (HTA), un diabète, l’apnée du sommeil, la migraine ou la consommation de tabac. Selon d’autres études, plus un glaucome est évolué, plus le risque de progression rapide augmente malgré une stabilisation thérapeutique de la PIO.
Une perte de 0,8 à 1 dB par an constitue un seuil qui distingue une évolution lente d’une évolution rapide.
La neurodégénérescence traduit la mort, au cours du temps, des cellules ganglionnaires rétiniennes ou de neurones. Des travaux expérimentaux montrent que les mêmes mécanismes cellulaires et moléculaires sont impliqués dans d’autres processus neurodégénératifs que les glaucomes, comme les maladies d’Alzheimer et de Parkinson. L’apoptose est une mort programmée induite par l’excitotoxicité du glutamate. Le glutamate est un neurotransmetteur normal qui induit un afflux de calcium dans les cellules, puis une cascade d’événements dans le cytoplasme et le noyau. Les cellules mortes libèrent du calcium qui propage l’apoptose de proche en proche. Le récepteur NMDA au glutamate est le site d’action de différentes molécules neuroprotectrices, dont la mémantine : en agissant comme antagoniste au niveau de ce récepteur, la mémantine bloque la voie de l’excitotoxicité. Dans les glaucomes, l’hypertonie oculaire induirait l’apoptose des premières cellules, qui libèreraient des facteurs cytotoxiques, alimentant ainsi le cercle vicieux. La patho­­logie pourrait donc continuer à évoluer de façon autonome, en dépit d’une normali­­sation de la PIO. Différentes études et modèles expérimentaux montrent les effets toxiques du glutamate, dont le blocage diminue l’apoptose des cellules rétiniennes.
Chaque mécanisme impliqué dans l’apoptose des cellules ganglionnaires constitue une cible potentielle de traitement neuro-protecteur. En particulier, l’effet de la citicoline, phospholipide des membranes plasmatiques et neurotransmetteur, a été évalué expérimentalement : elle ralentit cette apoptose sur des modèles animaux. La citicoline diminue l’effet cytotoxique du glutamate, agit comme anti-inflammatoire, stabilise les membranes plasmatiques et améliore le fonctionnement des mitochondries.
Contrôler la PIO est fondamental et constitue le traitement actuel de base. Néanmoins il n’empêche pas certains glaucomes d’évoluer, illustrant ainsi l’implication de facteurs non pressionnels. Différentes molécules, telles que la citicoline, sont susceptibles de ralentir l’apoptose en agissant sur les voies cellulaires de la neurodégénérescence. Elles méritent donc d’être évaluées dans ces indications.

La citicoline offre des perspectives thérapeutiques
La citicoline peut intervenir dans la cascade d’événements qui conduit à l’apoptose des cellules ganglionnaires du nerf optique. Principalement utilisée comme antioxydant, la citicoline est disponible sous différentes formes, dans plusieurs pays.
Douze études majeures ont été publiées entre 1989 et 2020, notamment par Vincenzo Parisi et al. et Lanza et al. La première suggérait que la citicoline pouvait améliorer le CV de certains glaucomateux. Les suivantes, expérimentales ou cliniques, se sont intéressées à l’effet de la citicoline : sur l’apoptose des cellules ganglionnaires de rongeurs soumises à un stress, sur le contenu en dopamine de neurones de lapin et chez l’Homme sur le CV, l’OCT et la réponse de l’ERG-Pattern.
En 2020, un essai clinique, randomisé contrôlé versus placebo (38 patients), visant à déterminer si la citicoline collyre (40 patients) pouvait prévenir la progression glaucomateuse, a été publié. Des effets positifs ont été observés sur le CV 10-2, dans le groupe traité, pendant la majeure partie de l’étude.
En OCT, la couche des fibres nerveuses, stable dans le groupe traité, s’est significativement dégradée dans le groupe placebo dès le 12e mois (suivi 36 mois). Les auteurs ne rapportent pas plus d’effets indésirables sous citicoline que sous placebo [4].
La citicoline possède d’autres applications potentielles (AVC, rétinopathie diabétique, douleurs après chirurgie réfractive). En tant que neuroprotecteur, la citicoline contribue à préserver la fonction visuelle et les fibres nerveuses des patients glaucomateux, comme démontré dans l’étude Lanza et al. Cependant, ces travaux  bien qu’intéressants mériteraient d’être renforcés.

Identifier les glaucomes dont le potentiel évolutif est le plus important
Les glaucomes, deuxième cause de cécité au monde après la cataracte, et première cause de cécité irréversible, sont des neuropathies optiques chroniques progressives et hétérogènes. Ils résultent de la combinaison de différents facteurs, oculaires, vasculaires, génétiques, environnementaux. En 2020, on dénombrait 80 millions de glaucomateux, dont 1 million en France. Il s’agit d’un problème de santé publique qui va croissant.
Tous les glaucomes ne se ressemblent pas : certains sont relativement stables et d’autres très évolutifs, parfois malgré des traitements. C’est pourquoi la pression cible diffère pour chaque glaucome : afin de la définir, différents critères sont pris en compte, parmi lesquels l’espérance de vie. Les glaucomes juvéniles, du myope, pigmentaires, vaso-spastiques, secondaires (traumatique, malformatif, cortisonique) ou à angle fermé, font partie des formes dont le potentiel évolutif est le plus important. Dans ces situations, le traitement doit d’emblée être très efficace.
Qui doit bénéficier d’une neuroprotection ? Il ne s’agit pas de traiter par excès, mais de cibler les indications, sans attendre le stade irréversible. Sachant que, plus le glaucome est évolué au moment du diagnostic, plus il est difficile d’en ralentir l’évolution. Dans les glaucomes très évolués, les modifications des fibres visuelles deviennent imperceptibles en OCT : on parle d’« effet plancher ». Il faut donc se fonder sur l’analyse des CV.
En cas de glaucome évolutif, outre la réduction de la PIO, le traitement des facteurs de risques neurovasculaires et un suivi rapproché, l’intérêt de la neuroprotection est réel. Pour identifier une forme évolutive, les CV (dont le FDT Matrix qui détecte les déficits de façon précoce) doivent être répétés au moins tous les six mois. À titre d’exemples, les glaucomes vaso-spastiques de la femme jeune induisent une encoche du bord neurorétinien assez caractéristique, responsable d’un scotome paracentral très péjoratif, d’autant qu’il dessine une « pince de crabe » (déficit supérieur et inférieur). Dans ces cas, le CV maculaire, essentiel, peut révéler une atteinte importante, proche du point de fixation, et méconnue par le 24-2 standard. Autre exemple, le glaucome du myope dont la prévallence augmente avec l’importance de la myopie et la longueur axiale. Il se déclare plus tôt et pour des PIO plus faibles, est lui aussi potentiellement évolutif. Les retards de diagnostic sont fréquents car l’interprétation du fond d’œil, du CV et de l’OCT sont délicates (atrophie péri-papillaire, élargissement de la tâche aveugle, déficit diffus). Enfin, si le risque de cécité est réel chez le myope fort (progressions très difficiles à stabiliser…), c’est aussi le cas des glaucomes scléreux liés à l’âge, qui associent souvent DMLA et hypo-perfusion chez des patients poly-­vasculaires.

Il est capital de bien identifier le type de glaucome, ses facteurs de risques et surtout son potentiel évolutif. S’il est élevé, cela justifie de prescrire d’emblée un traitement efficace, de fixer une PIO cible basse et de penser à la neuroprotection précoce. Il s’agit d’éviter une escalade thérapeutique qui serait délétère pour la conjonctive et pourrait compromettre les résultats de la chirurgie, dans certains cas nécessaire. 

[1] OHTS – Ocular Hypertension Treatment Study ; [2] EMGT – Early Manifest Glaucoma Trial ; [3] UKGTS – United Kingdom Glaucoma Treatment Study ; [4] J Glaucoma. 2020 Jul; 29(7):513-20.

Étude LANZA et al., 2019 [1]
Objectif
Évaluation de l’effet neuroprotecteur de la citicoline administrée par voie orale en cas de GPAO évolutif avec une PIO bien contrôlée.
Méthodologie
Étude prospective randomisée vs groupe contrôle sur 2 ans.
Les sujets inclus présentaient une évolution de la déviation moyenne (MD) du champ visuel de -1 à 1,5 dB/an les 2 années précédant l’inclusion avec une PIO < 18 mmHg sous traitement hypotonisant. 60 sujets ont été randomisés en 2 groupes :
1/ 500 mg de citicoline par jour pendant 4 mois suivi de 2 mois sans traitement, avec répétition du cycle
2/ groupe contrôle non traité

Résultats
Champ Visuel : Réduction significative de la progression du glaucome dans le groupe traité par citicoline vs groupe contrôle dès le 18e mois (figure 1).
OCT : Épaisseur de la couche des fibres optiques significativement plus importante dans le groupe traité par citicoline vs groupe contrôle dès le 12e mois ­(figure 2).

[1] Lanza M et al. Morphological and Functional Evaluation of Oral Citicoline Therapy in Chronic Open-Angle Glaucoma Patients: A Pilot Study With a 2-Year Follow-Up. Front Pharmacol. 2019 Sep 26;10:1117.

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