Dix ans d’engagement en rétine médicale : où en est-on ?
Symposium Allergan

Les experts se prononcent

Une décennie après le lancement de l’implant de dexaméthasone, ­Ozurdex®, des experts français ont été consultés afin d’établir un consensus sur son utilisation, tant en termes d’indications que de suivi, de tolérance et de qualité de vie des patients. Ce travail devrait prochainement faire l’objet d’une publication (article soumis). 

Revue d’un consensus d’experts français, la méthode Delphi
Laurent Kodjikian a détaillé la méthodologie retenue, de type Delphi, qui repose sur un vote systématique interactif à partir d’un ensemble de propositions. Le comité de pilotage était composé de 7 experts et le groupe de cotation de 39 rétinologues parmi les 87 spécialistes initialement sollicités. Afin de garantir l’indépendance des deux groupes, le comité de pilotage n’a participé ni au vote ni au groupe de cotation. Comme c’est en général l’usage, deux tours ont été organisés. En effet, lors du premier tour, les votants, anonymes, expliquent leurs réponses. Ainsi les assertions du deuxième tour peuvent être modulées pour tendre vers un consensus plus global. Sur une échelle visuelle analogique de Likert, les participants cotent de 1 à 3 pour exprimer un désaccord relatif, de 4 à 6 pour une réponse neutre et de 7 à 9 s’ils sont plutôt ou tout à fait d’accord avec la proposition. L’Italie, l’Allemagne et l’Espagne ont déjà mené le même type de travail, avec cependant des critères différents. La France, qui a exigé un niveau de consensus élevé, s’est inspirée de la littérature et des travaux en oncologie, qui reposent sur des règles internationales strictes. Différents types d’études et cas cliniques à l’appui, les résultats de cette consultation ont été dévoilés, assertion par assertion.

L’implant de corticostéroïde pour quel patient ? Les indications en questions
D’après la communication de Marie-Noëlle Delyfer
Aux questions qui leurs ont été soumises en termes d’indications, les 39 experts ont validé le fait que l’inflammation constitue un facteur clé dans le développement de l’œdème maculaire diabétique (OMD), tant à la phase aigue que chronique, et joue un rôle central dans la physio-­pathogénie de la rétinopathie diabétique (RD). Différentes voies sont impliquées qui toutes activent les cellules gliales.
Largement validée également, la présence, dans l’œil, de multiples marqueurs biologiques de l’inflammation (cytokines, dont le VEGF…) qui participent à la physio-pathogénie de l’OMD, précèdent les signes cliniques et contre lesquels il faut donc lutter. Les propriétés à la fois anti-angiogéniques et anti-inflammatoires de l’implant de dexaméthasone expliquent qu’il puisse être efficace chez des patients résistant aux anti-VEGF.
L’induction rapide, par cet implant, d’une réponse anatomique de bonne qualité chez nombre de patients naïfs a, elle aussi, été confirmée.
Le Delphi a conforté les affirmations selon lesquelles, d’une part, la vitrectomie ne pénalise pas l’activité thérapeutique, anatomique ou fonctionnelle, de la molécule, et d’autre part, l’implant offre une alternative intéressante pour traiter l’OMD de personnes qui se déplacent difficilement, sans perte de chance comparée à des anti-VEGF.
En cas d’antécédents cardiovasculaires, la question fréquente des répercussions systémiques des anti-VEGF administrés par injections intra-vitréennes (IVT) reste controversée. Les rétinologues confirment en revanche l’absence de contre-indication d’Ozurdex®, que le principe de précaution incite donc à utiliser.
Autre point : opter pour cet implant chez des patients naïfs pseudophakes paraît idéal, puisqu’ils ne sont plus exposés au risque de cataracte, effet indésirable majeur de ce traitement. Dans le domaine, là encore, de la chirurgie du cristallin, il paraît intéressant de proposer l’implant de dexaméthasone pour éviter l’inflammation postopératoire, elle-même source d’OMD. Bien qu’ils ne soient pas unanimes pour considérer que l’OCT permettrait de visualiser des marqueurs de l’inflammation, la majorité des spécialistes, sur la base de comparaisons avec des anti-VEGF en termes notamment de rapidité d’action, se sont pourtant prononcés en faveur de l’implant de dexaméthasone pour résorber les exsudats secs, les points hyper-réflectifs et réduire le décollement séreux rétinien (DSR). Il est cependant précisé que l’association fréquente de ce dernier aux OMD n’est pas nécessairement péjorative pour l’acuité visuelle finale. Le groupe n’a pas non plus validé l’intérêt du profil OCT pour choisir le traitement.
Enfin, une dernière assertion a été validée : si la seule thérapeutique pour la périphérie rétinienne reste bien sûr le laser, celui-ci peut aggraver ou déclencher un OMD. Il peut donc être utile de lui associer un implant, afin d’en freiner la progression.
En bref, l’implant de dexaméthasone s’adresse aux patients dont la baisse d’acuité visuelle est significative, dès 7/10, qui sont peu disponibles, déjà ou prochainement pseudophakes, et en cas de risque cardiovasculaire éventuel. Surtout, la présence d’un DSR, de points hyper-réflectifs ou encore d’exsudats en OCT, doit le faire envisager comme un traitement de première ligne.

Garder la main sur le suivi ; pour une efficacité maximale
D’après la communication de Frédéric Matonti
Plusieurs assertions de la démarche Delphi liées au suivi des patients ont suscité un consensus clair. Notamment : « quand réinjecter ? » À l’ère de l’OCT, la majorité des experts a estimé qu’il ne faut plus attendre de baisse franche de l’acuité visuelle, mais traiter dès que des modifications structurelles apparaissent. En effet, les récidives exsudatives précèdent d’environ 15 jours la rechute fonctionnelle. Or, il est très important de ne pas « sous-traiter » les patients, quelle que soit la molécule utilisée, principe souligné à plusieurs reprises au cours du symposium. C’est aussi la raison pour laquelle, il est apparu nécessaire d’observer un intervalle moyen de 4 mois (en pratique de 3 à 5 mois) entre les injections de dexaméthasone, ce qui permet, non seulement de maintenir l’acuité, mais aussi de, progressivement, réduire la fréquence des retraitements. Pour identifier les patients « bons répondeurs » à l’aide de bio-marqueurs, l’évolution du DSR et l’absence de points hyper-réflectifs ont été jugés intéressants.
Quand conclure à l’absence de réponse fonctionnelle ? Classiquement, on considère le seuil de 5 lettres d’acuité comme statistiquement différent des fluctuations visuelles physiologiques. Cependant les études pondèrent ce seuil si l’AV est inférieure à 2/10 : dans ce cas, une différence de 2 lignes est probablement plus significative. D’autre part, il faut savoir que l’OMD varie dans la journée : une fluctuation d’épaisseur maculaire (plus élevée le matin) inférieure à 20% peut être considérée comme normale.
Une réponse anatomique insuffisante doit, quant à elle, interroger sur l’influence d’éventuels co-facteurs non stabilisés comme l’HTA, ou une conversion ischémique. De même, en cas de réponse incomplète aux anti-VEGF dans les 3 à 6 premiers mois, il est raisonnable d’envisager une substitution par la dexaméthasone. En effet, maintenir un traitement non efficient augmente le risque de chronicisation et assombrit le pronostic visuel.
Doit-on considérer que le retraitement permet de déduire une période de récidive ? La réponse est mitigée ; avec le temps on peut se permettre d’augmenter les intervalles entre les injections, à condition de retraiter tôt, sans laisser la récidive structurelle s’installer, et de traiter les patients naïfs. Le taux de non répondeurs fonctionnels à un an est-il moindre avec la dexaméthasone qu’avec les anti-VEGF ? Cette assertion n’a pas non plus recueilli de consensus absolu, bien que la littérature semble plaider en ce sens. Quoi qu’il en soit, le premier semestre reste une période critique pour apprécier la qualité de la réponse et donc de la stratégie thérapeutique.
En pratique courante (« vraie vie »), les traitements induisent des contraintes, qu’il s’agisse de la coopération du patient ou de l’organisation des rendez-vous (les personnes diabétiques sont aussi suivies en endocrinologie, néphrologie, cardiologie…). Or, s’il s’avère impossible d’administrer les 8 à 9 injections d’anti-VEGF requises la première année, leur efficacité n’est pas optimale. Cet argument intervient dans le choix thérapeutique, afin, là encore, de ne pas « sous-traiter ».
Quant à savoir si un OMD ancien doit être considéré comme non répondeur après 3 injections de dexaméthasone, les rétinologues interrogés n’ont pas trouvé de consensus. Dans tous les cas, dès lors qu’un traitement bien conduit, par corticostéroïde ou anti-VEGF, s’avère inefficace, la question des cofacteurs (traction qui justifierait une vitrectomie, macro-anévrisme, faux OM par dégénérescence micro-kystique ou encore atrophie) doit être posée.

Optimiser la balance qualité de vie/tolérance : la PIO au centre des débats
D’après la communication de Stéphanie Baillif
Ce dernier thème a fait l’objet de 9 assertions.
Dans la plupart des cas, un traitement hypotonisant local suffit à contenir une hypertonie oculaire (HTO) potentiellement induite par l’implant de dexaméthasone ­(validé à 96%). Dans le même domaine, la nécessité d’un contrôle de la pression intra-oculaire (PIO) a été confirmée, notamment au cours des 2 mois qui suivent chacune des deux premières injections, puis régulièrement (87%). Les experts concluent à l’absence d’effet cumulatif du risque d’HTO lié au nombre d’injections. Cependant, et si la plupart des hypertonies sont détectées après les deux premières IVT, il convient de rester vigilant et de surveiller la PIO, notamment chez les glaucomateux (recueillir des données de bases pour sélectionner les contre-indications, exclure les champs visuels agoniques et les situations non contrôlées, surveiller les déficits). Pour 79% des participants, le risque d’HTO cortico-induite est moindre en cas d’OMD qu’en cas d’uvéite ou d’oblitération veineuse ; ils affirment à 89% que le glaucome cortisonique après IVT est moins fréquent sous dexaméthasone que sous triamcinolone.
Une sixième assertion concernait la chirurgie de la cataracte chez les sujets diabétiques. Le fait de privilégier l’implant de dexaméthasone, quelques semaines avant ou le jour de la chirurgie, a été approuvé par 79% des spécialistes, pour améliorer l’AV et limiter l’aggravation de l’OMD en postopératoire. Sachant qu’en pratique, différentes situations peuvent se présenter, la nécessité d’équilibrer en parallèle la glycémie, la pression artérielle et les dyslipidémies a été rappelée.
Le test par collyre de dexaméthasone, spécifique mais peu sensible, n’est pas requis avant injection d’un implant (validé à 92%). La chirurgie filtrante efficace ne contre-­indique pas Ozurdex® (consensus 72%). Face à un glaucome cortisonique, la stratégie repose sur l’algorithme publié en 2016.
Enfin, compte-tenu de la fréquence de la chirurgie de la cataracte chez les diabétiques, les experts n’ont pas validé le fait qu’il y ait peu de risque de développer une cataracte avec moins de 2 IVT de dexaméthasone en l’absence d’opacités cristalliniennes préexistantes.

En complément…
L’algorithme international de 2019 des facteurs individuels à considérer dans la stratégie thérapeutique, synthétise les indications respectives de la dexaméthasone, des anti-VEGF et de la vitrectomie. Le lancement de l’étude pilote et de phase 2 LOADEX a été annoncé. Ce travail permettra d’évaluer une stratégie plus proactive, reposant sur un nouveau paradigme de traitement des OMD par Ozurdex® (20 centres français impliqués), spécialité qui trouve sa place en 2e mais aussi en 1re intention. 

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