Schéma thérapeutique dans les uvéites postérieures : quels critères surveiller ?

Les uvéites postérieures (UP) atteignent la rétine en arrière de l’équateur, la choroïde, et peuvent s’accompagner de vasculites. L’œdème maculaire (OM) est la première cause de baisse d’acuité visuelle au cours des uvéites et complique 20 à 35% des uvéites postérieures. L’uvéite est impliquée dans 15% des cécités légales dans les pays occidentaux et impacte une population en pleine activité.

Les étiologies sont nombreuses et regroupées en différentes catégories : infectieuses, non infectieuses auto-immunes, localisées à la sphère oculaire ou systémique, iatrogènes ou mimant une uvéite primitive et étant en fait d’origine tumorale ou dystrophique (tableau I). 

Examens complémentaires initiaux et au cours du suivi

Toutes les UP bénéficient initialement d’un bilan qui inclut OCT papillaire et maculaire avec épaisseur rétinienne et choroïdienne, rétinographie, autofluorescence, angiographie à la fluorescéine et au vert d’indocyanine, champ visuel central et périphérique. La surveillance ne retient systématiquement que l’OCT et le champ visuel dont les altérations peuvent être torpides. La répétition des autres examens est à envisager au cas par cas. La rétinographie grand champ ne saurait se substituer à l’examen clinique du fond d’œil qui cote l’inflammation du vitré antérieur et postérieur, ainsi que les brides vitréo-rétiniennes, et donne accès à la périphérie rétinienne jusqu’à la pars plana.

Complications des UP et traitements

L’œdème maculaire (OM) a plusieurs causes :
- inflammatoire, avec des logettes au niveau de la plexiforme externe et des couches nucléaires par rupture des barrières hématorétiniennes internes et des cellules macrogliales de Müller ;
- décollements rétiniens séreux polylobés au cours de l’uvéo-méningite de Vogt-Koyanagi-Harada (VKH), qui s’accompagne d’une ischémie de la choriocapillaire par retard de perfusion artérielle choroïdienne ;
- par néovascularisation choroïdienne ;
- par traction vitréo-maculaire ;
- par choroïdite séreuse centrale compliquant la corticothérapie ;
- par contiguité avec un œdème papillaire. 

L’OM inflammatoire fait l’objet de traitements dont des algorithmes ont été proposés (tableau II). Ils font l’objet d’adaptation pour chaque étiologie.

Les néovaisseaux choroïdiens compliquent volontiers les lésions granulomateuses de la choroïde au cours de la sarcoïdose, de la Birdshot rétinochoroïdite, du VKH. Les néovaisseaux ont un développement préépithelial souvent fusiforme et sans exsudation, ce qui ne veut pas dire sans activité. L’OCT-A met en évidence le lacis vasculaire visible. Le traitement est immédiat : la voie intravitréenne est réservée aux anti-VEGF, qui sont associés par voie systémique ou sous-ténonienne au traitement anti-inflammatoire. Les IVT se font sur un mode PRN avec une médiane de 3 IVT à 3 ans.
Les vasculites rétiniennes (VR) veineuses occlusives évoquent une sarcoïdose et une infection. Les complications néovasculaires prérétiniennes ou prépapillaires secondaires à des VR ischémiques volontiers multiples et bilatérales feront l’objet d’une photocoagulation dense sur tous les territoires occlus.
Les causes auto-immunes et les réactions inflammatoires importantes secondaires bénéficient encore aujourd’hui le plus souvent d’une corticothérapie en première intention.
La puissance anti-inflammatoire des corticoïdes est établie sur une échelle dont la référence est le cortisol. La demi-vie des formes immédiates est très courte, de quelques heures, permettant des modifications thérapeutiques rapides, au contraire des formes retard.
L’effet bénéfique des corticoïdes instaurés par voie systémique ou par injections locorégionales oculaires, souvent spectaculaire sur le contrôle de l’inflammation endoculaire, a été montré dans de nombreuses études, avec une amélioration statistiquement significative sur l’acuité visuelle, l’inflammation vitréenne et l’OM. 

Corticothérapie : avantages et inconvénients
(tableau III)

Traitement locorégional par injections de corticoïdes retard
Ce traitement comprend, entre autres, la dexaméthasone retard 0,7 mg en intravitréen (Ozurdex®), la triamcinolone en sous-conjonctival dans le fornix inférieur (10 mg), en sous-ténonien (40 mg) ou en intravitréen (2 mg), ainsi que la fluocinolone 190 µg (Iluvien®).
L’étude POINT a retrouvé une efficacité sur l’OM et des effets secondaires hypertoniques comparables entre des IVT d’Ozurdex® et de triamcinolone, avec un coût moindre. Une méta-analyse récente montre que les IVT ont un effet un peu supérieur grevé de plus de complications que les injections péri-oculaires.
L’Iluvien® est un dispositif intravitréen non biodégradable libérant de l’acétonide de fluocinolone pendant 3 ans. Il dispose de l’AMM dans la prévention des récidives des uvéites non infectieuses récidivantes affectant le segment postérieur de l’œil, avec atteinte uni- ou bilatérale asymétrique. Les contre-indications ophtalmologiques sont : le glaucome non contrôlé, l’aphakie, l’implant à fixation irienne ou sclérale, l’iridectomie périphérique large, les antécédents infectieux intraoculaires tels que toxoplasmose et herpès.

Traitement systémique
Les indications du traitement systémique sont une atteinte bilatérale chronique, une atteinte associée systémique, une étiologie particulière telles la maladie de Behçet, l’uvéoméningite de VKH, la Birdshot RC, la choroïdite sérigineuse, l’ophtalmie sympathique. Le traitement immunosuppresseur a été comparé au traitement par injection d’implant intra-vitréen de fluocinolone 590 microns : à 7 ans de suivi, l’acuité visuelle des patients traités de façon systémique est supérieure à celle des patients traités par IVT de 7,2 lettres.
Une étiologie particulière d’uvéite secondaire aux immunothérapies anticancéreuses, en particulier aux checkpoints inhibiteurs (nivolumab, ipilumab) est de plus en plus fréquente compte tenu des cohortes grandissantes de patients ainsi traités. Bien que l’uvéite soit bilatérale et chronique, volontiers compliquée d’une choriorétinite et d’un OM, le traitement relève en première intention d’injections périoculaires de corticoïdes, souvent efficaces de façon prolongée, et permet de poursuivre l’immunothérapie et d’éviter des interactions de la corticothérapie systémique incriminée dans une diminution de la réponse sur la croissance de la masse tumorale.
Une corticodépendance à dose élevée doit faire reprendre l’interrogatoire, ainsi que les examens clinique et paraclinique afin de rechercher une cause infectieuse passée inaperçue, une cause tumorale (en particulier lymphome non hodgkinien intraoculaire) et une cause dystrophique.
Si le seuil de corticodépendance est supérieur à 7-10 mg/j de prednisone, l’association à des traitements immunosuppresseurs et immunomodulateurs est nécessaire pour leur effet d’épargne cortisonique, selon des algorithmes thérapeutiques proposés. Certaines étiologies telles la maladie de Behçet et l’ophtalmie sympathique relèvent d'emblée d’une association immunosuppressive, qui est aussi souvent nécessaire au cours des Birdshot et du Vogt-Koyanagi-Harada.
Les immunosuppresseurs conventionnels regroupent les familles des antimétabolites (azathioprine, méthotrexate, mycophénolate mofétil), des inhibiteurs des lymphocytes T (cyclosporine, tacrolimus) et des agents alkylants (cyclophosphamide, chlorambucil).
Les immunosuppresseurs par effet direct anticytokines pro-inflammatoires regroupent essentiellement les anti-TNF alpha (Humira®, Remicade®, biosimilaires), les anti-IL6 (tocilizumab), et IL1 (anakinra). D’autres inhibiteurs sont en cours d’évaluation.
Les immunosuppresseurs engendrent un surrisque infectieux et tumoral.
Les antimétabolites ont une durée d’action lente, environ 4 mois pour le mycophénolate mofétil MMF Cellcept®, 5 mois pour le MTX et 6 mois pour l’Imurel®.
La ciclosporine a reçu l’AMM pour les UNI intermédiaires ou postérieures sévères menaçant la vision en cas d’échec de la corticothérapie. Elle est peu utilisée en raison des effets secondaires rénaux et neurologiques et de l’émergence d’autres thérapeutiques. La sécurité est nettement améliorée par un suivi conjoint par ophtalmologistes et néphrologues, qui utilisent, pour adapter les doses de ciclosporine, la synthèse des résultats de l’examen ophtalmologique, de la creatinémie, du débit de filtration glomérulaire et du dosage sérique du taux résiduel de ciclosporine, qui doit rester inférieur à 100 ng/mL.
Les anti-TNF les AC monoclonaux anti-TNFalpha (adalimumab Humira®, infliximab Remicade®, golimumab Simponi®, certolizumab Cimzia®) peuvent être utilisés, alors que le récepteur soluble du TNFalpha (etanercept Embrel®) a été incriminé dans la survenue d’une uvéite antérieure bilatérale granulomateuse. Seul l’adalimumab Humira® dispose de l’AMM pour le traitement des uvéites non infectieuses intermédiaires et postérieures et des panuvéites chroniques de l’adulte.
L’étude randomisée VISUAL I a montré une efficacité significative du traitement par adalimumab par rapport au placebo sur le temps de survenue de récidive, définie par un paramètre composite incluant une baisse d’acuité visuelle, une inflammation intraoculaire, de nouvelles lésions rétiniennes. Le délai de survenue d’une récidive d’uvéite active a été plus long sous adalimumab (24 semaines) que sous placebo (13 semaines).
L’échappement de la réponse initiale aux anti-TNF est parfois rapporté au développement d’une immunogénicité contre les anti-TNFα : il se manifeste le plus souvent par des taux sériques bas d’anti-TNFα et l’apparition d’anticorps. L’adjonction d’un immunosuppresseur conventionnel à l’anti-TNFα, outre son action synergique, permettrait de limiter la formation de ces anticorps.
Les immuno-modulateurs regroupent, en matière d’uvéite postérieure, essentiellement les interférons alpha et beta, et les immunoglobulines polyvalentes. Ils ne présentent pas de surrisque infectieux ou tumoral.
Les interférons (IFN) alpha et beta ont montré 2 grands intérêts. D’une part, une puissante activité anti-OM uvéitique. L’étude randomisée BIRDFERON a montré une activité similaire à 4 mois de la corticothérapie systémique et de l’IFN alpha en monothérapie. De plus, pour les yeux les plus gravements atteints, l’IFNalpha en monothérapie a montré une efficacité supérieure à celle de la corticothérapie systémique, suggérant l’intérêt de l’INFalpha pour le traitement des OM uvéitiques réfractaires avec acuité visuelle basse. D’autre part, l’IFN est intéressant en cas de maladie de Behçet, où il peut permettre de diminuer drastiquement la dose de corticodépendance.

Traitement chirurgical

Vitrectomie diagnostique
La vitrectomie diagnostique est indiquée s’il y a suspicion de lymphome intraoculaire devant un tableau qui survient typiquement chez un patient d’âge moyen de 54 ans avec des myodésopsies bilatérales sur œil blanc, non douloureux. Peu de signes inflammatoires antérieurs accompagnent un vitré systématiquement cellulaire et des lesions punctiformes blanches rétiniennes. Une ponction de chambre antérieure évaluera Il10/Il6. Si l’IL10 est supérieure à 50 picogr/ml, et en l’absence de cause infectieuse pouvant l’expliquer, une vitrectomie diagnostique sera effectuée sans tarder. L’atteinte oculaire précède celle du SN central dans la moitié des cas.
La vitrectomie diagnostique en cas d’endophtalmie aiguë permet la mise en culture, l’examen direct et cytologie, et les PCR dirigée ou universelle. La vitrectomie sur endophtalmie est indiquée dès les premiers jours si l’AV est réduite à la perception lumineuse selon l’Endophtalmitis Vitectomy Study (1995). Une méta-analyse récente n’a pas retrouvé de supériorité de la vitrectomie par rapport aux traitements par IVT. En effet, si la vitrectomie en phase aiguë permet la rupture du cloisonnement du vitré et une meilleure accessibilité des antibiotiques, elle laisse des tractions vitréo-rétiniennes périphériques qui peuvent accentuer le risque de décollement de rétine (DR).
La vitrectomie, nécessaire dans les procédures chirurgicales de DR et de trou maculaire, n’a aucune valeur anti-inflammatoire. Dans le cas d’une membrane épimaculaire (MEM) tractionnelle, l’indication chirurgicale n’est pas toujours adéquate, en particulier sur les MEM épaisses secondaires à une rétinite herpétique laissant une rétine cicatricielle qui se complique volontiers d’un DR.  

Glaucome uvéitique
La séclusion pupillaire avec iris tomate relève d’une iridectomie périphérique large, basale, chirurgicale avec pose d’un monofil 10.0 qui empêche la survenue d’une synéchie antérieure, afin de prévenir toute récidive de blocage pupillaire et d’obtenir immédiatement l’approfondissement de la chambre antérieure. Il est inutile et cataractogène d’y associer la levée des synéchies iriennes. Des synéchies sur presque 360 ° et une pression intraoculaire encore normale pourront faire pratiquer une large iridotomie basale au laser Yag.
En phase aiguë avec trabéculite, l’hypertonie oculaire fera l’objet d’hypotonisants locaux associés au Diamox® et à la corticothérapie systémique à forte dose. Les prostaglandines incriminées dans la pérennisation d’un OM inflammatoire pourront être associées.
En phase chronique de glaucome uvéitique ou cortisonique, si l’évolution glaucomateuse se poursuit malgré le traitement maximal, la chirurgie filtrante avec antimitotique est indiquée. Trabéculectomie et sclérectomie non perforante ont montré des résultats similaires, avec cependant davantage de complications après une trabéculectomie et davantage de compléments de gestes chirurgicaux après une sclérectomie. Le taux de succès est moins bon qu’en l’absence d’uvéite, il est évalué à 30% à 5 ans. La valve d’Ahmed trouve sa place en cas d’échec de ces procédures précédentes répétées. En revanche, la cyclo-photocoagulation est à éviter au maximum, même sur des yeux uvéitiques peu ou pas fonctionnels, car elle provoque des réactions inflammatoires massives, délétères et sont souvent un échec d’un point de vue tensionnel.
Un programme d’éducation thérapeutique destiné aux patients atteints d’une uvéite chronique et à leurs accompagnants, élaboré avec la participation de membres de l’association Inflam’œil, est gratuit et accessible à tout moment de la maladie. Les ateliers se déroulent en présentiel et en distanciel. Les informations sont disponibles sur etp-uveite@inflamoeil.org.

Conclusion

L’information claire aux patients des effets positifs attendus et des effets secondaires des différents traitements est indispensable et permet l’évaluation attentive et répétée de la balance bénéfice/risque au cours des adaptations thérapeutiques successives pour le contrôle de l’inflammation endoculaire.

Pour en savoir plus
Kempen JH , Altaweel MM, Holbrook JT et al. Association between long-lasting intravitreous fluocinolone acetonide implant vs systemic anti-inflammatory therapy and visual acuity at 7 years among patients with intermediate, posterior, or panuveitis. JAMA. 2017;317 (19):1993-2005.
Galor A, Jabs DA, Leder HA et al. Comparison of antimetabolite drug sas corticosteroid-sparing therapy for noninfectious ocular inflammation. Ophthalmology. 2008;115(10):1826-32.
Jaffe GJ, Dick AD, Brezin AP et al. Adalimumab in patients with active noninfectious uveitis. N Engl J Med. 2016;375(10):932-43.
Fardeau C, Champion E, Massamba N, LeHoang P. Uveitic macular edema. Eye (Lond). 2016;30(10):1277-92.
Thorne JE, Sugar EA, Holbrook JT et al. Periocular triamcinolone vs. intravitreal triamcinolone vs. intravitreal dexamethasone implant for the treatment of uveitic macular edema: the PeriOcular vs. INTravitreal corticosteroids for uveitic macular edema (point) trial. Ophthalmology. 2019;126(2):283-95.
José-Vieira R, Ferreira A , Pedro Menéres et al. Efficacy and safety of intravitreal and periocular injection of corticosteroids in noninfectious uveitis: a systematic review. Surv Ophthalmol. 2022;67(4):991-1013.

Auteurs

  • Christine Fardeau

    Ophtalmologiste

    Service d’ophtalmologie, centre de référence maladies rares, hôpital universitaire La Pitié-Salpêtrière, Paris

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