SAFIR 2023 - Cornée

Kératocône
Le Dr Alain Saad a présenté un nouveau type d’anneaux intracornéens (AIC) allogéniques pour le kératocône : les CAIRS (Corneal allogenic intrastromal ring segments), décrits par S. Jacob en 2018. Il s’agit de segments disséqués dans une greffe de cornée (de façon manuelle ou assistée par laser) et insérés dans un tunnel intrastromal découpé au laser femtoseconde comme les AIC classiques mais moins profondément. Leurs avantages : moins de risque d’éblouissement ou de halo, possibilité de les implanter dans les kératocônes avancés et absence d’extrusion. Pour une insertion facilitée, le Dr Saad conseille de les faire déshydrater pendant 1 heure avant leur implantation.
Une application pour montre connectée permettant d’évaluer en temps réel les frottements oculaires a été présentée lors de la SAFIR par le Dr Inès Drira. Cela permettra au patient de prendre conscience qu’il frotte, de quantifier les frottements et de les réduire par le moyen d’alarmes.
Kératites infectieuses
Plusieurs case reports abordant les infections oculaires virales à Monkey Pox, ou variole du singe (épidémie mondiale depuis mai 2022 avec transmission sexuelle prédominante), décrivaient des kérato-conjonctivites unilatérales (KPS, ulcère géographique, kératite stromale, anneau immunitaire) avec de façon systématique une éruption cutanée vésiculeuse au niveau du visage. Il faut y penser selon le contexte et réaliser des prélèvements cutanés/conjonctivaux/cornéens avec demande spécifique pour réalisation d’une PCR.
Un traitement topique par trifluridine collyre, et général par tecivirimat (AMM) ou cidofovir, est nécessaire, associé à l’ablation quotidienne des pseudo-membranes s’il y en a. Une corticothérapie locale prudente peut être envisagée.
Le sujet de la résistance de l’HSV a été abordé par le Pr Julie Gueudry au Club cornée. Pour ces herpès résistants qui émergent en lien avec la pression antivirale de l’aciclovir et le valaciclovir, un traitement par ganciclovir gel est le plus souvent utilisé mais il ne suffit pas toujours. L’amenamevir (Aménalief®) n’est pas dépendante de la thymidine kinase virale pour être active. La posologie est de 200 mg 2 fois par jour en traitement d’attaque pendant 1 mois puis doit être diminuée, mais la tolérance générale au long cours n’est pas encore connue. Une surveillance biologique est nécessaire. Plusieurs cas de complications neurologiques ont été décrites au Japon où le médicament dispose de l’AMM pour 7 jours dans le zona cutané.
Greffes de cornée
Le Dr Nicole Mechleb a rapporté le suivi à long terme d’une cohorte de DMEK à la Fondation Rothschild. Soixante pour cent des patients avaient une acuité visuelle supérieure à 5/10 à 6 mois, avec une stabilité à 10 ans postopératoires. La perte endothéliale était de 33% à 1 mois et de 67% à 10 ans (perte initiale importante, puis de 3% par an). Après 8 ans, on constate une tendance à l’augmentation de la pachymétrie et le taux de regreffe à 10 ans est de 10,6%. À noter également que la survie à 10 ans n’est pas dépendante de la courbe d’apprentissage.
Lors du symposium franco-israélien, le Pr Marc Muraine a rappelé qu’en France, la DMEK était la greffe la plus pratiquée : 55% vs 12% pour la DSAEK et 18% pour la KT (chiffre issu de la banque de cornée de Paris). Selon l’étude de Dunker et al. parue dans Ophthalmology, 66% des DMEK atteignent une acuité visuelle de 10/10 à 1 an vs 33% pour les ultra-thin DSAEK (UT-DSAEK). En revanche, le taux de décollement en DMEK est nettement plus élevé qu’en DSAEK (24% vs 4%). Sur les yeux vitrectomisés ou les cornées opaques, la DSAEK garde tout son intérêt et est à privilégier, avec de meilleurs résultats qu’en DMEK.
Le Pr Éric Gabison a rapporté le cas d’une patiente française ayant bénéficié de la kératoprothèse artificielle CorNeat Kpro. De nombreuses reprises chirurgicales ont été nécessaires en raison d’une rétraction conjonctivale et de membranes rétroprothétiques mais le résultat visuel est prometteur.
Un autre type de greffe artificielle, endothéliale cette fois, a été présenté par le Dr Berkovitz : l’EndoArt. Il s’agit d’une prothèse transparente en copolymère hydrophile de 6,5 mm et de 50 microns d’épaisseur. Elle permet une diminution de l’œdème cornéen par son effet de « barrière » avec l’humeur aqueuse. Elle peut être plaquée au stroma par une bulle de gaz ou non.
Ces greffes artificielles permettent de surseoir à la pénurie mondiale de greffons humains dans des cas de greffe à haut risque.
Syndrome sec
Quatre-vingt-cinq pour cent des patients atteints de douleurs oculaires neuropathiques associées à la sécheresse oculaire présentent un trouble anxieux ou dépressif selon la présentation du Dr Alice Theuriau. Soixante-dix-huit pour cent des patients prennent un traitement antalgique neurotrope en association avec le traitement pour la surface. Un questionnaire spécifique appelé QDON (Questionnaire de douleurs oculaires neuropathiques) a été élaboré à la Fondation Rothschild en 2016 et peut être utilisé en routine.
Lorsque ces douleurs neuropathiques sont associées à une dysfonction des glandes de Meibomius, un traitement par lumière pulsée IPL présente un intérêt car il améliore la qualité de vie et diminue l’épithéliopathie (communication du Dr Gautier Hoarau).
Iatrogénie
Plusieurs molécules anticancéreuses entraînant des complications cornéennes ont été abordées dans différentes présentations :
- le ribociclib (Kisqali®), inhibiteur des kinases cycline-dépendantes, utilisé en première intention dans les cancers du sein, peut engendrer des dépôts verticillés (ou kératopathie en vortex) ou des KPS denses réversibles à l’arrêt du traitement ;
- le belantamab-mafodontin (Belamaf®), anticorps conjugué utilisé dans le traitement du myélome multiple réfractaire, entraîne des kératopathies épithéliales pseudo-microkystiques ; jusqu’à 70% des patients bénéficiant de ce traitement déclarent cette complication selon les séries. Une diminution de la posologie, voire un arrêt transitoire du traitement, est nécessaire dans le cas d’une baisse d’acuité visuelle ;
- l’amantadine donnée aux patients parkinsoniens pour leur dyskinésie est aussi à l’origine d’une toxicité cornéenne endothéliale, avec un risque d’œdème de cornée dans 2% des cas, lui aussi réversible à l’arrêt du traitement mais avec une perte endothéliale séquellaire comme l’a décrit le Dr Thomas Hémery dans son étude.