Restauration visuelle : les dernières avancées des implants rétiniens
Certaines formes de dégénérescence des cellules photoréceptrices de la rétine peuvent conduire à la cécité. Les implants rétiniens de dernière génération offrent de nouveaux espoirs aux patients, notamment ceux atteints d’une DMLA atrophique étendue, en leur permettant de retrouver une acuité visuelle centrale.
Limites des traitements cellulaires
Pour schématiser à l’extrême, la structure complexe de la rétine peut être divisée en 3 fonctions interdépendantes : le complexe épithélium pigmentaire (EP)-Bruch-choriocapillaire, qui a un rôle de soutien pour les photo- récepteurs ; les photorécepteurs, qui transforment la lumière en signaux électriques ; et les cellules de transmission, horizontales (qui font un premier travail de codage du signal) et horizontales (bipolaires et ganglionnaires) qui transmettent au nerf optique.
La disparition des cellules de transmission (occlusion de l’artère centrale de la rétine par exemple) est définitive et sans possibilité thérapeutique actuellement. La disparition de l’EP provoque en quelques semaines celle des photorécepteurs ; les thérapies par cellules souches de l’EP ne peuvent servir à améliorer la vision que s’il persiste encore des photorécepteurs. Cela a été brillamment démontré par une équipe anglaise [1] qui a pu greffer avec succès des cellules souches de l’EP reposant sur une basale en polyester à 2 patients qui avaient présenté une baisse d’acuité visuelle (AV) aiguë par hémorragie sous-rétinienne au début d’une DLMA exsudative. Les photorécepteurs n’avaient pas disparu et ont probablement pu être secourus par ce geste expliquant les 2 succès visuels obtenus. Les traitements par cellules souches de l’EP n’ont donc de sens que si les photorécepteurs sont encore fonctionnels.
Le plus souvent, les patients sont vus à un stade où les photorécepteurs ont déjà disparu, comme dans la rétinopathie pigmentaire ou les atrophies géographiques (DMLA sèches) avancées. Dans ce cas, les seules options thérapeutiques seraient :
- greffer des cellules souches produisant des photorécepteurs, ce que personne ne sait encore faire pour l’instant [2] ;
- attribuer la fonction de photorécepteurs à des cellules comme les cellules ganglionnaires par l’optogénétique, dont les essais cliniques commencent actuellement ;
- utiliser une « rétine artificielle » dont le rôle est de produire un signal électrique en réponse à une stimulation lumineuse, ce signal étant envoyé aux cellules de transmission qui restent longtemps intactes et fonctionnelles après la disparition de l’EP et des photorécepteurs.
Rétines artificielles
Les rétines artificielles existent depuis plus de 30 ans et leur technologie est maintenant bien connue avec ses avantages et ses inconvénients. Leur fonction est de produire une activation des cellules de transmission persistantes soit par une stimulation électrique directe (rétines artificielles épirétiniennes), soit en imitant l’activité des photorécepteurs par transformation de la lumière en stimulations électriques (rétines artificielles sous-rétiniennes).
Le pionnier a été la compagnie américaine Second Sight qui, depuis 30 ans, a mis au point le système Argus 1, puis Argus 2, qui a pu obtenir une approbation FDA (Food and Drug Administration) et un marquage CE [3]. Comme son concurrent, la société française Pixium-Vision qui produisait IRIS II, elle utilisait un système composé d’une caméra montée sur des lunettes dont le signal vidéo partait à un processeur de poche pour être transformé en signal électrique. Ce dernier retournait aux branches des lunettes pour être transmis à un stimulateur prérétinien fixé sur la macula. Ce stimulateur, pour recevoir l’énergie nécessaire, était relié à un boîtier épiscléral fixé à l’équateur du globe par une languette traversant la sclère à 3 mm du limbe.
Ce système (figure 1), utilisé dans les rétinopathies pigmentaires avancées avec une vision résiduelle limitée à la perception des mouvements de la main, a permis de redonner un peu de vision aux patients opérés (perception de la position d’une porte dans un mur, capacité de suivre une ligne blanche au sol), bref, de leur rendre un peu d’autonomie.
Un autre système, Alpha-AMS, a été développé par la société allemande Retina AG. Les électrodes de stimulation étaient là des photodiodes placées sur une languette cette fois-ci sous-rétinienne et transformant directement l’image « naturelle » en électricité sans avoir besoin de lunettes de traitement du signal vidéo. Cependant, pour fonctionner, le système nécessitait une source d’énergie externe et la languette était donc reliée à une source d’alimentation au prix d’une chirurgie complexe de plusieurs heures. Les résultats étaient comparables à ceux des systèmes prérétiniens, peut-être d’un peu moins bonne qualité pour des raisons techniques.
Les 3 systèmes ont finalement été retirés du marché en 2019, IRIS II pour des raisons de fiabilité à long terme, Argus 2 et Alpha-AMS pour des raisons de rentabilité commerciale et il n’existe donc pour l’instant plus aucun traitement des rétinopathies pigmentaires.
Système PRIMA
Ce dernier système est le seul en cours d’étude avec des résultats publiés chez l’homme : fabriqué par Pixium-Vision, il cible la restauration de la vision centrale dans les DMLA atrophiques étendues [4,5].
Cette technologie, inventée par le Pr Daniel Palanker de l’université de Stanford (États-Unis), utilise une puce carrée, rigide, de 2 mm de côté et 30 µ d’épaisseur, rigide, portant 378 photodiodes sensibles au proche infrarouge. Implantée après une vitrectomie sous la rétine maculaire, au centre de la zone d’atrophie géographique où il n’y a plus de photorécepteurs, la puce est stimulée à travers la pupille par un projecteur infrarouge envoyant une image capturée par une caméra montée sur lunettes et dont le signal vidéo est transformé en impulsions infrarouges. Les photodiodes transforment cette lumière infrarouge pulsée en signaux électriques transmis aux cellules ganglionnaires restantes. Contrairement à tout ce qui existait jusque-là, cet implant est autonome, sans fil puisque le faisceau d’infrarouge pulsé apporte à la fois l’image et l’énergie nécessaire au fonctionnement (figures 2 et 3).
L’avantage de cette longueur d’onde est qu’elle n’est pas visible par la rétine avoisinante normale et on peut donc utiliser des puissances relativement élevées permettant le fonctionnement des microdiodes dans la zone de scotome central de l’atrophie sans éblouissement du reste de la rétine. La position sous-rétinienne de la puce permet au signal émis d’être traité par les cellules horizontales pour améliorer la qualité de la vision, puis de passer aux cellules ganglionnaires et au nerf optique.
Une première étude de faisabilité et de sécurité a commencé fin 2018 sur 5 patients, avec des résultats intérimaires encourageants : aucun d’entre eux n’a perdu de sa vision naturelle, c’est-à-dire que non stimulée, la puce implantée dans la zone de scotome central est parfaitement neutre pour la vision périphérique résiduelle et la stimulation améliore de façon significative la vision centrale par rapport à la vision résiduelle spontanée sur les bords du scotome, les patients fixant bien avec la rétine artificielle centrale.
La première année, la stimulation se faisait par des lunettes opaques avec seulement un faisceau infrarouge étroit pour stimuler la puce (PRIMA 1), puis un système utilisant des verres transparents ne bloquant pas le champ visuel périphérique (PRIMA 2), le stimulateur étant monté sur la branche des lunettes avec une source de laser passant par l’axe optique. Ce système offre une amélioration nette du fonctionnement, beaucoup plus naturel pour les patients.
L’un des 5 patients est décédé d’un cancer 14 mois après l’implantation mais les 4 autres ont des AV centrales significativement améliorées à 18 et à 24 mois (tableau).
L’étude clinique doit se poursuivre pendant 3 ans pour apprécier le gain visuel et apporter de façon certaine la preuve de la sécurité à long terme du système. La même étude se déroule en parallèle aux États-Unis, à l’université de Pittsburgh et au Bascom Palmer Hospital à Miami. Deux patients ont été implantés en début d’année.
Une étude multicentrique européenne avec un plus grand nombre de patients sera organisée pour connaître et confirmer ces résultats, qui sont pour l’instant les meilleurs obtenus avec une rétine artificielle.
Actuellement, la cible est strictement limitée aux patients de plus de 60 ans ayant perdu la vision centrale par atrophie géographique de DMLA pure, sans antécédents de néovaisseau choroïdien ni aucune autre pathologie rétinienne avec une vision résiduelle maximale de 1/20.
Conclusion
Les rétines artificielles ont donc récemment subi une évolution paradoxale : elles ont disparu pour le traitement de leur première indication historique, les cécités par rétinopathie pigmentaire pour laquelle il n’y a donc plus de traitement palliatif, mais de nouvelles générations apparaissent pour les pertes de vision centrale profonde par DMLA atrophique pure. Dans cette indication, le système PRIMA semble réellement prometteur en redonnant une AV centrale, ce qu’aucun système n’avait fait jusque-là. Si ces résultats se confirment dans une étude pilote de plus grande ampleur, on peut espérer pouvoir étendre les indications dans quelques années ou voir apparaître de nouveaux systèmes.
Références bibliograhiques
[1] Da Cruz L, Fynes K, Georgiadis O et al. Phase 1 clinical study of an embryonic stem cell-derived retinal pigment epithelium patch in age-related macular degeneration. Nat Biotechnol. 2018;36(4):328-37.
[2] Gasparini SJ, Llonch S, Borsch O, Ader M. Transplantation of photoreceptors into the degenerative retina: Current state and future perspectives. Prog Retin Eye Res. 2019;69:1-37.
[3] Luo YHL, da Cruz L. The Argus® II retinal prosthesis system. Prog Retin Eye Res. 2016;50:89-107.
[4] Muqit MMK, Hubschman JP, Picaud S et al. PRIMA subretinal wireless photovoltaic microchip implantation in non-human primate and feline models. PLoS One. 2020;15(4):e0230713.
[5] Palanker D, Le Mer Y, Mohand-Said S et al. Photovoltaic restoration of central vision in atrophic age-related macular degeneration. Ophthalmology. 2020;127(8):1097-104.