Rapport SFO. La neuro-ophtalmologie toujours à l’honneur !
Nous assistons cette année à un prolongement du rapport de la Société française d’ophtalmologie, qui devient pour la première fois un rapport de 2 ans pour cette spécialité double qu’est la neuro-ophtalmologie. Ce deuxième congrès virtuel de la SFO a donc été de nouveau marqué par de passionnantes présentations axées sur les points innovants de cette discipline. Le rapport, présenté par les Drs Catherine Vignal-Clermont et Cédric Lamirel, conçu comme un atlas pratique destiné à des ophtalmologistes et à des neurologues, est maintenant disponible en format papier et PDF.

La clinique avant tout !
Les Prs Bénédicte Rougier et Caroline Froment-Tilikete ont ouvert cette session en illustrant l’importance de la clinique dans la démarche diagnostique en neuro-ophtalmologie. Nous comprenons bien, au travers des cas cliniques, qu’il est essentiel de toujours revenir à l’anamnèse, au motif d’adressage et aux signes cliniques objectifs sans se contenter d’interpréter les examens paracliniques. « Réinterrogez l’imagerie si elle ne colle pas initialement avec la clinique ! » a rappelé le Pr Froment-Tilikete.
Neuropathies optiques atypiques
Le Pr Valérie Touitou a averti de l’importance de reconnaître les neuropathies optiques inflammatoires atypiques et a donné les clefs pour les distinguer des neuropathies rétrobulbaires (NORB) typiques de la femme jeune atteinte d’une sclérose en plaques (SEP). Les « drapeaux rouges » orientant vers des NORB atypiques sont le sexe masculin, l’âge avancé, une baisse d’acuité visuelle profonde, des douleurs intenses, le caractère bilatéral et/ou récidivant, la cortico-résistance, des signes de maladies de système et une immunodépression. Devant ces éléments, il est important d’évoquer les autres étiologies que la SEP ou la NORB idiopathique. Parmi les causes démyélinisantes, on retrouve les maladies du spectre de la neuromyélite optique de Devic (NMO), l’encéphalopathie aiguë disséminée et les chronic relapsing inflammatory optic neuropathy (CRION). Parmi les causes non démyélinisantes, nous pouvons évoquer les infections virales (Herpes virus et autres virus tropicaux à tropisme neurologique), bactériennes (syphilis, maladie de Lyme et tuberculose) et fongiques (aspergillose). Viennent ensuite les causes immunologiques : connectivites (lupus érythémateux disséminé, Gougerot-Sjögren), vascularites (maladie de Behçet et panartérite noueuse) et granulomatoses.
Troubles visuels transitoires
Pour le Pr Valérie Biousse, 2 diagnostics doivent être évoqués en présence d’un trouble visuel transitoire : la maladie de Horton, du fait d’un risque de baisse d’acuité visuelle permanente, et l’AIT rétinien ou cérébral devant le risque d’accident vasculaire cérébral (AVC) constitué. Un trouble strictement monoculaire suggère une atteinte des voies visuelles antérieures. Un début brutal, une durée brève et une perte de vision totale d’un œil sont évocateurs d’un mécanisme vasculaire ischémique. Le cas échéant, il peut s’agir d’un accident ischémique transitoire rétinien soit embolique, soit par hypoperfusion dans le cas d’une dissection carotidienne ou d’une artérite inflammatoire. Il est alors nécessaire de réaliser une angio-IRM et de doser la VS et la CRP (surtout au-delà de 50 ans). L’imagerie va rechercher des AVC asymptomatiques, des arguments en faveur d’une cause embolique et éliminer une dissection carotidienne.
Un trouble binoculaire, en revanche, suggère une atteinte chiasmatique ou rétrochiasmatique.
Il faudra alors réaliser une IRM injectée à la recherche d’une atteinte des voies visuelles postérieures de cause inflammatoire, tumorale ou vasculaire.
Ptosis neurologiques
Les Drs Maud Lebas et Françoise Héran ont exposé les étiologies neurologiques des ptosis à l’aide d’exemples d’imagerie. Au niveau musculaire, les étiologies regroupent les myopathies, de diagnostic clinique, secondairement confirmées par une biopsie musculaire, et les myosites du releveur de la paupière visibles en IRM sous la forme d’un hypersignal sur les séquences T2 avec saturation de la graisse. La myasthénie, qui touche la jonction neuromusculaire, est également une cause classique de ptosis. Le diagnostic clinique pourra être étayé par la présence d’anticorps antirécepteurs de l’acétylcholine.
Un syndrome de Claude Bernard-Horner apparaîtra lors d’une lésion le long de la voie cervicale sympathique reliant l’hypothalamus à l’œil.
Une paralysie de la troisième paire crânienne peut résulter soit d’une lésion du tronc nerveux dans son trajet intracrânien, soit d’une atteinte mésencéphalique.
Imagerie et diplopie
Les Drs Pierre Lebranchu et Françoise Héran nous ont ensuite aidés à comprendre quelles étaient les indications d’imagerie devant une diplopie.
Dans le cas d’une paralysie du sixième nerf crânien chez un patient jeune, les atteintes microvasculaires justifiant une imagerie en urgence sont très rares.
Chez le patient âgé avec des facteurs de risque cardiovasculaires, l’atteinte microvasculaire est plus fréquente. Un examen ophtalmologique ou neurologique anormal conduira à réaliser une imagerie en urgence. Dans le cas contraire, l’IRM pourra être différée.
Lors d’une paralysie du troisième nerf crânien, le pronostic est grevé par le risque d’un anévrysme de l’artère cérébrale postérieure. Toute paralysie du III nécessite donc une imagerie en urgence.
Devant une paralysie du quatrième nerf crânien acquise, une imagerie cérébrale sera réalisée en urgence si une diplopie récente est avérée, et différée si la paralysie est ancienne.
Pièges en neuro-ophtalmologie
Le Dr François-Xavier Borruat a ensuite présenté les pathologies qui peuvent mimer une neuropathie optique.
En premier lieu, nous retrouvons les rétinopathies d’origine toxique, carentielle, paranéoplasique (melanoma Associated Retinopathy [MAR], carcinoma associated retinopathy [CAR] et maladie des bâtonnets) et les ellipsoïdopathies (MEWDS, AZOOR et syndrome d’élargissement de la tache aveugle).
L’OCT, l’angiographie et l’électrophysiologie sont les examens paracliniques utiles pour redresser le diagnostic.
Le kératocône débutant est le deuxième grand diagnostic différentiel. Il faut rechercher une myopisation et une aggravation de l’astigmatisme chez ces patients et éliminer un déficit pupillaire afférent relatif, une dyschromatopsie et une atteinte systématisée du champ visuel.
Une baisse d’acuité visuelle anorganique doit enfin être considérée en dernier lieu.
Artérite à cellules géantes
Les Drs Cédric Lamirel et Thomas Sené ont rappelé le pronostic visuel sombre de la maladie de Horton et l’intérêt d’un diagnostic précoce.
L’atteinte ophtalmologique la plus fréquente reste la névrite optique ischémique antérieure aiguë (NOIAA) artéritique, suivie par l’occlusion de l’artère centrale de la rétine (OACR) et la névrite optique ischémique postérieure.
Malgré une corticothérapie, le pronostic visuel de cette maladie reste mauvais avec 30 à 50% des patients qui présentent une atteinte visuelle bilatérale. Les trois quarts des yeux affectés ont une acuité visuelle inférieure à 1/10 et 20% des yeux n’ont pas de perception lumineuse. Seuls 0 à 5% des patients constatent une amélioration significative de leur acuité visuelle (supérieure à 2 lignes) sous traitement, et 9 à 27% ont une progression du déficit dans la première semaine qui suit le traitement. Dépister, prévenir et traiter avant la survenue de complications semble le seul moyen efficace d’améliorer le pronostic visuel de la maladie de Horton.
Pour cela, les moyens diagnostiques évoluent et nous disposons aujourd’hui de l’échographie des artères temporales, de l’IRM encéphalique « de parois » et du TEP-TDM.
Des scores de probabilité diagnostique, en fonction de critères cliniques et biologiques, ont été proposés afin de débuter une corticothérapie plus précoce chez les patients à risque, ainsi que la réalisation d’examens complémentaires dans un deuxième temps.
Céphalées en ophtalmologie
Au cours de cette présentation, les Drs Luc Jeanjean et Jérôme Mawet ont exposé les indications de l’imagerie devant une céphalée associée à des troubles visuels. L’interrogatoire doit distinguer une céphalée chronique qui orientera vers une céphalée primaire, d’une céphalée inhabituelle qui fera rechercher les causes secondaires par imagerie cérébrale.
Les éléments inquiétants face à une céphalée sont l’installation brutale (évocatrice de pathologie vasculaire), le caractère insomniant, la présence de signes ophtalmologiques associés, d’un œdème papillaire, d’un syndrome méningé, d’une fièvre, d’une immunodépression, d’une altération de l’état général et enfin un contexte carcinologique.
Les urgences vitales restent le syndrome de Claude Bernard-Horner douloureux et l’occlusion de l’artère centrale de la rétine douloureuse, synonymes de dissection carotidienne ainsi que la paralysie du III douloureuse qui doit faire rechercher un anévrysme.
L’urgence fonctionnelle est la maladie de Horton sous la forme d’une NOIAA accompagnée de céphalées.
Dans le cas d’une hémianopsie bitemporale associée, il est important de penser à l’apoplexie pituitaire. En présence d’une paralysie du VI, il faudra toujours évoquer le diagnostic d’hyper- ou d’hypotension intracrânienne.
Lorsque le patient présente des crises répétées de céphalées précédées par des phénomènes visuels positifs, il sera orienté en consultation neurologique où on lui proposera une prise en charge de ses migraines avec aura probable. S’il s’agit d’un premier épisode, une imagerie cérébrale est nécessaire avant de conclure à une céphalée primaire.
Le dernier diagnostic à ne pas méconnaître, dans un contexte de céphalées violentes centrées sur l’œil associées à des signes de dysautonomie et/ou un ptosis, est l’algie vasculaire de la face.
Le futur
Le Pr Dan Milea a clôturé cette session de présentation du rapport en citant les 2 grands piliers de la neuro-ophtalmologie du futur : d’une part, la thérapie génique dans la neuropathie optique de Leber et d’autre part, l’intelligence artificielle comme aide au diagnostic.
En guise de conclusion, le Pr Milea a rappelé que « le vrai défi de la neuro-ophtalmologie n’est pas technologique, mais celui de maintenir une alliance entre science et conscience afin de garder une approche éthique et humaine du malade ».