Quels patients faut-il implanter avec un implant torique ?

Les implants toriques sont particulièrement utiles dans 2 situations assez fréquentes chez les patients candidats à une chirurgie de la cataracte : en présence d’un astigmatisme inverse et dans le cas d’un astigmatisme congénital.
Les astigmatismes inverses
La première situation correspond aux patients qui présentent un astigmatisme inverse sur la kératométrie ou sur la topographie de la face antérieure de la cornée (figure 1), c’est-à-dire un méridien horizontal plus cambré que le méridien vertical. Même dans le cas d’un cylindre de faible amplitude, la prise en compte de l’astigmatisme de la face postérieure de la cornée et l’évolution naturelle de l’astigmatisme de la face antérieure avec l’âge justifient la correction de cet astigmatisme par un implant torique.
Le suivi des patients opérés d’une cataracte montre souvent qu’un astigmatisme inverse se développe et s’amplifie dans les années ou les décennies qui suivent l’intervention. Si l’astigmatisme existant lors de la chirurgie de la cataracte a été corrigé par un implant torique, l’astigmatisme postopératoire à moyen et long terme sera moins important.
Les astigmatismes congénitaux
La deuxième situation concerne les patients qui présentent un astigmatisme très ancien, peu ou pas évolutif, régulier, énanthiomorphe et d’amplitude élevée (cylindre très largement supérieur à 1 D) (figure 2). Pour apprécier l’énanthiomorphisme, il faut analyser l’amplitude du cylindre – qui doit être la même aux 2 yeux –, l’axe de l’astigmatisme – qui doit présenter une symétrie en miroir par rapport à l’axe médian du corps : par exemple +2 D à 120° pour l’œil droit et +2,25 D à 65° pour l’œil gauche – et la topographie – même forme topographique aux 2 yeux, le plus souvent un sablier symétrique.
La régularité de l’astigmatisme s’évalue sur la topographie cornéenne, avec un aspect en sablier symétrique : les 2 parties du sablier sont symétriques et centrées sur le même axe. Les astigmatismes congénitaux sont peu évolutifs au cours de la vie et ont un axe stable dans le temps. Leur correction par un implant torique apporte aux patients un réel progrès dans la qualité de vision en diminuant les aberrations optiques et en améliorant l’acuité visuelle (AV) sans correction. La correction des forts cylindres permet également d’améliorer la meilleure AV corrigée même si, en théorie, un astigmatisme régulier peut être intégralement corrigé par un verre sphérocylindrique.
Les non-indications
Inversement, il est souhaitable de respecter les astigmatismes directs d’amplitude modérée. Ces astigmatismes ont tendance à disparaître après la chirurgie de la cataracte du fait de la tendance à l’inversion de l’astigmatisme avec l’âge et du relâchement du méridien vertical si l’incision est proche de midi. De plus, un astigmatisme myopique direct peut être intéressant car il permet d’augmenter la profondeur de champ et offre aux patients une plus grande indépendance vis-à-vis des lunettes. Enfin, statistiquement, l’astigmatisme de la face postérieure de la cornée tend à diminuer l’astigmatisme direct de la face antérieure et à majorer l’astigmatisme inverse.
À partir de quel cylindre utiliser un implant torique ?
En termes d’amplitude du cylindre à corriger, le seuil de 1 D peut être retenu. Il doit néanmoins être nuancé par l’axe de l’astigmatisme. Un astigmatisme direct jusqu’à 1 D a peu de conséquences sur l’AV sans correction et ne nécessite donc pas d’implantation torique. Le même cylindre en inverse dégrade plus la vision sans correction et l’effet est nettement plus important si l’astigmatisme est oblique [1]. À partir de 1,5 D, l’effet de l’astigmatisme sur la vision sans correction devient notable même pour un astigmatisme direct, mais il reste toujours plus important pour les astigmatismes inverses et obliques.
Les contre-indications aux implants toriques
Certaines situations sont des non-indications ou des contre-indications à l’utilisation des implants toriques. Le kératocône et les ectasies postchirurgie réfractive se caractérisent par l’évolutivité potentielle de l’astigmatisme et son irrégularité (figure 3). Il est donc illogique de les corriger par un implant torique qui donne une correction stable dans le temps et ne modifie que la part régulière de l’astigmatisme – ce qui est difficile à déterminer. Ces astigmatismes sont au mieux rectifiés par une lentille rigide en postopératoire. Les astigmatismes irréguliers tels qu’on les rencontre après un épisode de kératite infectieuse, un traumatisme ou une chirurgie réfractive cornéenne compliquée (kératotomie radiaire, cicatrice stromale post-Lasik ou PKR, kératomileusis, thermokératoplastie) sont également mieux corrigés par une adaptation en lentille rigide que par un implant torique.
Le bilan préopératoire
L’évaluation préopératoire de l’astigmatisme des patients candidats à une chirurgie de la cataracte est donc indispensable si l’on veut réaliser une chirurgie conforme aux données acquises de la science. Il est en effet démontré que l’utilisation des implants toriques permettait une meilleure AV de loin sans correction, une plus grande indépendance vis-à-vis des lunettes et un astigmatisme résiduel plus faible que les implants non toriques, même lorsque des incisions relaxantes étaient réalisées lors de la chirurgie de la cataracte [2].
Cette évaluation prend en compte l’historique réfractif du patient, l’astigmatisme de la face antérieure de la cornée analysé en kératométrie ou en topographie cornéenne, et, si possible, l’astigmatisme de la face postérieure de la cornée. L’astigmatisme réfractif est, lui, plus difficile à interpréter car on ne sait pas quelle est la part de la cataracte dans sa genèse. La topographie cornéenne permet de vérifier que l’astigmatisme est régulier et d’évaluer les aberrations optiques cornéennes d’ordre élevé (HOA) [3]. De plus, avant d’implanter une lentille asphérique, il est souhaitable de s’assurer que l’aberration sphérique de la cornée n’est pas inférieure à la normale. Les calculateurs toriques disponibles en ligne sont également très utiles. Ils sont fournis par les sociétés commercialisant des implants toriques ou par des sociétés savantes telle que l’European Society of Cataract and Refractive Surgeons (ESCRS) ou l’American Society of Cataract and Refractive Surgery (ASCRS). Ils permettent de prendre en compte, de manière statistique, l’astigmatisme de la face postérieure de la cornée et de prédire l’astigmatisme résiduel dans le cas d’une implantation torique ou non torique. Ils ne prennent pas en compte l’évolution naturelle de l’astigmatisme avec l’âge. C’est au chirurgien d’anticiper cette évolution et de l’intégrer dans sa décision thérapeutique.
Conclusion
La correction de l’astigmatisme cornéen par un implant torique au cours de la chirurgie de la cataracte s’est largement développée du fait de son efficacité lorsque l’indication est posée avec pertinence. Les chirurgiens habitués à cette pratique utilisent globalement des implants toriques dans 10 à 15% des cas, voire 30% dans certains pays ayant une culture avancée de la gestion de l’astigmatisme, telle l’Australie [1].
Références bibliographiques
[1] Goggin M. Toric intraocular lenses: Evidence-based use. Clin Exp Ophthalmol. 2022;50(5):481-9.
[2] Kessel L, Andresen J, Tendal B et al. Toric intraocular lenses in the correction of astigmatism during cataract surgery: A systematic review and meta-analysis. Ophthalmology. 2016;123(2):275-86.
[3] Goto S, Maeda N. Corneal topography for intraocular lens selection in refractive cataract surgery. Ophthalmology. 2021;128(11): e142-52.