Quelle technique chirurgicale pour l’emmétrope presbyte ?

La correction chirurgicale de la presbytie chez l’emmétrope reste un défi car elle impose une bonne conservation de la qualité de vision de loin. Les techniques les plus fréquemment utilisées sont le PresbyLasik et la chirurgie du cristallin avec implantation multifocale, mais d’autres, plus confidentielles, peuvent être proposées ou sont en évaluation (inlays, chirurgies sclérales, implantation phake). Elles donnent toutes d’excellents résultats à condition de bien poser les indications et que les patients acceptent certains aléas.

La correction chirurgicale de la presbytie chez le patient emmétrope reste encore de nos jour un défi même si le taux de satisfaction des patients opérés est important. En effet, le patient emmétrope qui arrive à l’âge de la presbytie reste très attaché à la bonne qualité de sa vision de loin, qu’il faudra donc préserver au maximum, mais il peut être gêné par le port de verres correcteurs auxquels il n’est pas habitué – notamment les progressifs, même si la correction est afocale pour la vision de loin –, ou avoir des difficultés à manipuler les lentilles de contact.
La correction chirurgicale repose essentiellement sur les photoablations au laser, qu’elles soient multifocales ou asphériques, ou sur l’extraction du cristallin clair ou cataracté avec monovision, implant à profondeur de champ ou surtout multifocal.
D’autres options peuvent être proposées, comme les inlays ou les incisions sclérales, mais elles restent du domaine de l’évaluation après des essais plus ou moins concluants. Quant aux implants phakes, ils sont plus confidentiels mais les résultats semblent prometteurs.
Des thérapies non invasives avec de nouveaux mécanismes d’action sont actuellement à l’étude, les agents miotiques et ceux qui visent à restaurer l’accommodation l’UNR844, un ester de choline de l’acide lipoïque [1-3].

Les différentes techniques

Le presbyLasik
Définition
Le presbyLasik est un terme générique incluant toutes les stratégies de photoablation qui visent la réhabilitation de la vision de près, sans perte de la vision de loin.

Concept
Il consiste à induire une pseudo-accommodation par des profils hyperprolates ou multifocaux qui génèrent des aberrations sphériques (AS) qui induisent elles-mêmes une profondeur de champ.

Bilan
Le patient presbyte impose un bilan particulièrement précis. Il comprend :
- une réfraction précise ;
- le choix de l’œil dominant et la vérification de la tolérance à la monovision, qui sont des étapes capitales. En effet, la chirurgie n’étant réalisée que sur un seul œil, il est capital de vérifier sur quel œil la correction doit être appliquée pour que la vision de loin ne s’en trouve pas détériorée. La tolérance à l’anisométrie est testée avec l’œil dominant laissé sans correction et l’œil non dominant myopisé à -1/-1,50 D. Si le patient n’a pas conscience de cette différence, il est dit tolérant à la micro-monovision. En cas d’intolérance, il faudra réduire l’anisométropie ou l’inverser pour voir si la tolérance est meilleure avec un brouillage de 1,50 D de l’œil dominant. En cas d’intolérance, l’étape par lentilles de contact sur un œil peut être proposée ;
- un examen ophtalmologique complet avec rétinographie, sans oublier l’analyse de la surface oculaire. L’équilibre de la surface oculaire est en effet impératif avant toute chirurgie au laser. Les pathologies ophtalmologiques contre-indiquant la chirurgie sont rares mais une acuité visuelle à 10/10 P2 à chaque œil est indispensable à un bon résultat ;
- l’analyse de la morphologie de la cornée, en particulier épaisseur, courbure, forme…, complétée par une aberrométrie.

Indications
Les preuves scientifiques permettent de proposer le presbyLasik aux patients emmétropes éligibles à la chirurgie réfractive qui souhaitent s’affranchir d’une correction. Les plateformes laser donnent toutes de bons résultats.
La satisfaction des patients est grande, à condition de réserver ce traitement aux sujets motivés acceptant les aléas, en particulier une possible réduction de la qualité de vision de loin.
Lorsque la morphologie de la cornée, notamment la pachymétrie, contre-indique le presbyLasik, la presbyPKR peut être proposée. Les résultats sont équivalents mais la chirurgie est moins « ajustable » car les retouches laser ne peuvent être proposées qu’après 1 an au lieu de 3 mois, et les patients refusent souvent les désagréments postopératoires immédiats pour des amétropies résiduelles qui sont le plus souvent inférieures à une dioptrie.

Contre-indications
Les candidats à éliminer sont les patients porteurs d’une pathologie oculaire pouvant laisser présager une récupération visuelle non parfaite, les kératocones frustes, les pathologies oculaires pouvant s’aggraver secondairement (cornea guttata, pathologie rétinienne ou vitréenne, rétinopathie diabétique, glaucome mal contrôlé…), les pathologies générales pouvant être responsables de complications oculaires (immunosuppression, diabète sévère mal équilibré…). Et enfin les patients de conditions socioprofessionnelles particulières, ceux ayant des besoins visuels importants comme les conducteurs de véhicules, les pilotes et les patients très exigeants.

Information
L’information est capitale pour éviter toute déception du patient.
La chirurgie de la presbytie chez l’emmétrope est un compromis. Le résultat obtenu doit être expliqué de manière claire et exhaustive. La vision de loin est moins performante qu’avant la chirurgie, surtout les premières semaines. L’AS induite par l’hyperprolaticité ou la multifocalité peut réduire la qualité de vision. Les halos sont fréquents en mésopique, en particulier les premières semaines. La neuroadaptation les fait disparaître avec le temps.
Une correction occasionnelle peut être nécessaire pour les extrêmes : conduite la nuit et lecture prolongée, surtout en mauvaises conditions d’éclairage.
Le résultat n’est pas immédiat. Il s’évalue en binoculaire après quelques semaines de neuroadaptation.

Résultats
De nombreuses publications confirment la performance des résultats et la satisfaction des patients, depuis la première publiée en 1998 par Vinciguerra [4] jusqu’à aujourd’hui, où l’on retrouve un taux de satisfaction de près de 90% en moyenne grâce à des performances réfractives élevées : 83 à 87% des yeux opérés de presbyLasik ont une acuité visuelle sans correction de loin supérieure ou égale à 8/10, associée à une acuité visuelle de près sans correction supérieure ou égale à Jaegger 2 [5-11].

La chirurgie du cristallin
La chirurgie du cristallin donne également de très bons résultats. Cependant, chez le patient emmétrope, il est raisonnable d’attendre que sa transparence soit moindre et que la vision de loin commence à être altérée.
Si on décide d’intervenir, il est préférable de débuter par la chirurgie de l’œil dominé car celle-ci peut se révéler suffisante chez certains patients. Ce qui permet d’attendre que la cataracte se complète sur l’œil dominant, même si la publication de Fernández-García montre que les résultats visuels de près et en vision intermédiaire chez l’emmétrope presbyte sont meilleurs en implantation bilatérale qu’unilatérale, mais les dysphotopsies sont alors plus importantes [12].

Bilan
Les mêmes exigences de précision que pour la chirurgie au laser s’imposent. Le bilan est superposé. Il est complété par un OCT rétinien pour éliminer toute atteinte maculaire, et par une biométrie optique pour le calcul de l’implant avec analyse précise de l’astigmatisme, en particulier la mesure de la kératométrie postérieure.

Choix de l’implant
Sur le plan optique, l’implant idéal serait celui qui permettrait une restauration de l’accommodation perdue. Le remplissage du sac capsulaire avec un produit clair, transparent mais élastique, aboutirait à ce résultat. Malheureusement tous les essais se sont révélés jusque-là infructueux, tout comme ceux des doubles optiques ou ceux dont la courbure ou la position se modifient. Pour le moment, les implants accommodatifs n’ont pas fait la preuve de leur efficacité, mais d’autres essais sont en cours.
La presbytie peut donc être uniquement compensée : on parle de pseudo-accommodation avec les implants, comme en chirurgie réfractive au laser.
Les optiques des implants qui permettent d’améliorer la vision de près après extraction du cristallin sont variées :
- les implants multifocaux permettent de nos jours d’obtenir des résultats à la hauteur de l’exigence des patients, qui ne cesse de croître. Introduits sur le marché à la fin des années 1980, ils ont beaucoup évolué, réduisant les effets photiques, améliorant la vision intermédiaire. Ils peuvent être classés selon leur puissance en vision de près, leur défocalisation, la répartition de la lumière, leur matériau et leur géométrie. Le principe optique est celui de la vision simultanée. L’image focalisée qui correspond au point focal de la lentille est vue nette et les images défocalisées seront neutralisées par le cerveau car perçues avec moins de contraste et de netteté. Ces optiques nécessitent une intégrité maculaire pour obtenir un résultat optimal ;
- les implants à profondeur de champ – des monofocaux + aux Edofs – peuvent également être proposés aux patients qui craignent les effets photiques et qui souhaitent privilégier la vision intermédiaire aux dépens de la vision de près ;
- les implants monofocaux avec monovision sont également possibles si le patient les tolère. La bascule augmente la profondeur de champ. L’œil dominant est corrigé en vision de loin, l’œil dominé en vision intermédiaire ou de près par myopisation ;
- un développement assez récent dans la chirurgie du cristallin est l’implant ajustable avec la lumière – ou light ajustable lens –, qui permet des ajustements postopératoires de la puissance de l’implant une fois la chirurgie stabilisée, facilitant la personnalisation et l’optimisation du résultat pour atteindre la correction désirée. Cette solution reste cependant contraignante car elle impose le port permanent de verres anti-UV pendant la période de cicatrisation [13].

Résultats de l’extraction du cristallin et implantation multifocale
Une étude multicentrique a montré, 3 mois après une extraction du cristallin avec implantation bifocale pour la presbytie, une amélioration de leur qualité de vie chez plus de 90% des patients et 93,5% étaient prêts à la recommander à leurs amis et à leur famille [14]. Dans une étude plus récente concernant des patients emmétropes, 96% des participants recommanderaient l’extraction unilatérale du cristallin avec implantation multifocale [15]. Une autre étude rétrospective sur 29 patients ayant reçu une implantation multifocale diffractive a révélé que tous étaient affranchis de leur correction à 6 mois, avec un taux de satisfaction élevé entre 3,8 et 4,4 sur 5 [16].

Autres techniques, possibles mais plus confidentielles

Les inlays
Les inlays intrastromaux [17] ont connu il y a quelques années un regain d’intérêt grâce au développement de modèles spécifiques à la compensation de la perte d’accommodation. La technologie assistée par laser femtoseconde renforçait par ailleurs la précision et la reproductibilité de la technique d’implantation.
Les inlays trouvaient chez l’emmétrope leur indication de choix en implantation unilatérale sur l’œil dominé.
Si l’atout majeur des inlays intracornéens est leur réversibilité, leur biocompatibilité constitue une nécessité incontournable pour une tolérance à long terme.
Les inlays sont des lenticules qui se placent en position intrastromale soit après la découpe d’un volet, soit après la réalisation d’une « poche » par laser femtoseconde.
Trois concepts d’inlays différents étaient distribués : l’inlay KAMRA™ (AcuFocus), agissant par effet sténopéique sur la profondeur de champ induite ; l’inlay Vue+, anciennement inlay Presbylens, (Revision Optics), agissant sur la courbure de la cornée antérieure ; et l’inlay Flexivue™ Microlens (Presbia Coöperatief U.A.), agissant sur la puissance cornéenne centrale par variation de l’addition.
Malheureusement, leur tolérance à long terme ne s’est pas confirmée. Mais d’autres évaluations sont en cours.

L’implant phake presbyte  
L’IPCL (implantable phakic contact lens) est disponible depuis peu. L’implant est inséré en chambre postérieure. Son optique diffractive autorise une acuité visuelle de près satisfaisante et une conservation de l’acuité visuelle de loin. Cette technique présente également l’avantage de la réversibilité. Elle pourra être proposée chez l’emmétrope en attendant la chirurgie du cristallin [18].

Les procédures sclérales
Les techniques précédentes corrigent la presbytie par une pseudo-accommodation. Qu’en est-il des techniques qui restaurent réellement l’accommodation et qui seraient chez l’emmétrope l’indication de choix puisque n’altérant aucunement la vision de loin ? Les procédures chirurgicales sclérales (incisions, implants scléraux…) ont le potentiel de remplir cette exigence [19] et présentent quelques avantages par rapport aux chirurgies pseudo-accommodatives :
- elles s’écartent du paradigme de la « correction des déficits d’acuité visuelle » pour adopter une approche thérapeutique visant à rétablir la fonction physiologique statique et dynamique de l’œil ;
- le risque de modification de la qualité de la vision est faible, car la cornée, l’axe visuel et le cristallin natif ne sont pas impliqués dans ces procédures.
Bien que leur justification théorique puisse être controversée [20], elles présentent néanmoins un intérêt croissant pour le traitement de la presbytie.

Conclusion

La chirurgie de la presbytie est un challenge mais donne avec les techniques actuelles de très bons résultats et le taux de satisfaction des patients opérés est élevé. Les techniques les plus utilisées aujourd’hui sont le PresbyLasik et la chirurgie du cristallin avec implantation multifocale, mais d’autres, plus confidentielles, peuvent être proposées ou sont en évaluation.

Références bibliographiques
[1] Lau K. Treatments for presbyopia coming soon. Optometry Times Journal. 2020;12(11):28-30.
[2] Katz JA, Karpecki PM, Dorca A et al. Presbyopia - A review of current treatment options and emerging therapies. Clin Ophthalmol. 2021;15:2167-78.
[3] Grzybowski A, Ruamviboonsuk V. Pharmacological treatment in presbyopia. J Clin Med. 2022;11(5):1385.
[4] Vinciguerra P, Nizzola GM, Bailo G et al. Excimer laser photorefractive keratectomy for presbyopia: 24-month follow-up in three eyes. J Refract Surg. 1998;14(1):31-7.
[5] Shetty R, Brar S, Sharma M et al. PresbyLASIK: A review of PresbyMAX, Supracor, and laser blended vision: Principles, planning, and outcomes. Indian J Ophthalmol. 2020;68(12):2723-31.
[6] Vargas-Fragoso V, Alió JL. Corneal compensation of presbyopia: PresbyLASIK: an updated review. Eye Vis (Lond). 2017;4:11.
[7] Albou-Ganem C. Presbyopia and refractive surgery. J Fr Ophtalmol. 2019;42(7):790-8.
[8] Boucenna W, Hagège A, Lussato M et al. PresbyPRK vs presbyLASIK using the SUPRACOR algorithm and micromonovision in presbyopic hyperopic patients: visual and refractive results at 12 months. J Cataract Refract Surg. 2021;47(7):878-85.
[9] Villanueva A, Vargas V, Mas D et al. Long-term corneal multifocal stability following a presbyLASIK technique analysed by a light propagation algorithm. Clin Exp Optom. 2019;102(5):496-500.
[10] Abrieu-Lacaille M, Saib N, Rambaud C et al. Management of presbyopic hyperopes by centered presbyLASIK. J Fr Ophtalmol. 2014; 37(9):682-8.
[11] Reinstein DZ, Carp GI, Archer TJ, Gobbe M. LASIK for presbyopia correction in emmetropic patients using aspheric ablation profiles and a micro-monovision protocol with the Carl Zeiss Meditec MEL 80 and VisuMax. J Refract Surg. 2012;28(8):531-41.
[12] Fernández-García JL, Llovet-Rausell A, Ortega-Usobiaga J et al. Unilateral versus bilateral refractive lens exchange with a trifocal intraocular lens in emmetropic presbyopic patients. Am J Ophthalmol. 2021;223:53-9.
[13] Kohnen TJ. Light-adjustable intraocular lens technology. Cataract Refract Surg. 2011;37(12):2091.
[14] Venter JA, Pelouskova M, Bull CE et al. Visual outcomes and patient satisfaction with a rotational asymmetric refractive intraocular lens for emmetropic presbyopia. J Cataract Refract Surg. 2015;41(3): 585-93.
[15] Levinger E, Levinger S, Mimouni M et al. Unilateral refractive lens exchange with a multifocal intraocular lens in emmetropic presbyopic patients. Curr Eye Res. 2019;44(7):726-32.
[16] Chang JS, Ng JC, Lau SY. Visual outcomes and patient satisfaction after presbyopic lens exchange with a diffractive multifocal intraocular lens. J Refract Surg. 2012;28(7):468-74.
[17] Cochener B, Albou-Ganem C, Renard G. Rapport SFO 2020. Chirurgie de la presbytie.
[18] Schmid R, Luedtke H. A novel concept of correcting presbyopia: first clinical results with a phakic diffractive intraocular lens. Clin Ophthalmol. 2020;14:2011-9.
[19] Hipsley A, Hall B, Rocha KM. Scleral surgery for the treatment of presbyopia: where are we today? Eye Vis (Lond). 2018;5:4.
[20] Glasser A. Restoration of accommodation: surgical options for correction of presbyopia. Clin Exp Optom. 2008;91(3):279-95.

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