Quelle place pour l’imagerie cérébrale dans le domaine du glaucome ?

Dans la majorité des cas, la clinique et les examens complémentaires ophtalmologiques suffisent à porter le diagnostic de glaucome et à le prendre en charge. Si l’imagerie cérébrale ne fait pas partie du bilan systématique de tout patient glaucomateux, elle est néanmoins une aide indispensable dans certaines situations cliniques.

Diagnostic différentiel de la neuropathie optique glaucomateuse

Aucune présentation clinique et aucun examen complémentaire ophtalmologique n’est à 100% spécifique d’une étiologie. D’une manière générale, devant une neuropathie optique il faut voir le nerf optique (NO) sur toute sa longueur et seule une imagerie bien réalisée des voies visuelles permet d’éliminer une compression, une infiltration, une inflammation.
La présentation clinique typique d’un glaucome à pression élevée et sa surveillance pour vérifier sa stabilité sous traitement permettent de se passer d’imagerie. La progression d’un glaucome, si le facteur pressionnel n’est pas correctement maîtrisé, ne nécessite pas non plus d’imagerie. Mais dès qu’il y a un doute, soit devant une présentation atypique, soit devant une évolution trop rapide alors que la pression est normalisée, l’ophtalmologiste doit lever ce doute par une imagerie adaptée, car il a une obligation de moyens. Il serait dommageable pour le patient qu’il passe à côté d’une neuropathie optique non glaucomateuse dont le traitement spécifique et réalisé à temps permettrait une récupération visuelle. Le tableau reprend de manière non exhaustive les drapeaux rouges qui doivent alerter et peuvent amener à réaliser une imagerie.
Il s’agit d’éliminer une compression (figure 1), une infiltration, une prise de contraste du NO et une pathologie cérébrale diffuse. L’imagerie à demander est une IRM 3 Tesla (T) orbitaire et cérébrale, qui permet d’imager toutes les voies visuelles depuis le NO jusqu’au cortex visuel occipital. Le scanner cérébral ne doit pas être demandé car il peut être faussement rassurant et il est irradiant. La présence d’un pacemaker ou de matériel chirurgical métallique n’est plus une contre-indication systématique à l’IRM, mais elle peut parfois imposer une IRM 1,5 T au lieu de la 3 T, ou des précautions particulières. C’est seulement dans le cas d’une contre-indication à l’IRM posée par le radiologue qu’un scanner orbitaire et cérébral pourra être obtenu par défaut.
À la phase chronique de toute neuropathie optique, il est possible de détecter un hypersignal T 2 (hyper T 2) du NO, en particulier avec les IRM 3 T. Dans ce contexte, un hyper T 2 du NO n’est pas spécifique d’une névrite optique. Ce diagnostic est parfois évoqué par certains radiologues non spécialisés en neuroradiologie, en particulier si des hypersignaux de la substance blanche cérébrale non spécifiques ou d’origine vasculaire, sont pris pour des hypersignaux de SEP. Dans le contexte de suspicion de glaucome, c’est un hyper T 2 de gliose, séquellaire d’une neuropathie optique indépendamment de sa cause. Par exemple, un hyper T 2 du NO est visible après une occlusion de l’arête centrale de la rétine (OACR), du fait de la dégénérescence antérograde des axones des cellules ganglionnaires de la rétine qui forment le NO. L’IRM peut aussi retrouver un aspect aminci du NO et/ou du chiasma, qui est assez habituel dans le glaucome à un stade avancé mais qui n’est pas spécifique de cette étiologie.
La découverte d’une prise de contraste du NO ou ailleurs le long des voies visuelles à l’IRM, associée ou non à un hyper T 2, doit faire écarter le diagnostic de glaucome et rechercher une inflammation ou une infiltration. La découverte d’une pathologie cérébrale diffuse peut amener à faire reconsidérer le diagnostic de glaucome et nécessiter un avis neuro-ophtalmologique afin de faire la part des choses.

Diagnostic des hypotensions orthostatiques par obstacle posttrabéculaire

La demande sera motivée par l’examen clinique qui évoque un obstacle posttrabéculaire : hyperhémie conjonctivale, chémosis, dilatation des vaisseaux épiscléraux en tête de méduse, exophtalmie, œdème palpébral, sang dans le canal de Schlemm à la gonioscopie, etc. (figure 2).
Il s’agit de rechercher ou d’éliminer une fistule durale, une tumeur pouvant ralentir le drainage veineux, un syndrome de Sturge-Weber. Comme dans le cas précédent, c’est une IRM 3T orbitaire et encéphalique qui sera la plus adaptée. Il faut préciser clairement dans la demande ce que l’on recherche, afin de guider le neuroradiologue, et réaliser les séquences adaptées. Les signes indirects des fistules durales sont parfois discrets et elles nécessitent des séquences dynamiques. Dans ce cadre, une échographie doppler orbitaire et/ou une artériographie peuvent compléter le bilan d’IRM.

Figure 2. Hypertonie et glaucome unilatéral de l’œil droit chez un patient de 30 ans connu depuis 5 ans. L’examen retrouve une dilatation des vaisseaux épiscléraux, évocatrice d’un obstacle posttrabéculaire. L’IRM a permis d’éliminer une tumeur gênant le drainage veineux et n’a pas retrouvé de fistule. Une angiographie cérébrale a dû être réalisée pour confirmer l’absence de fistule durale, dont le traitement aurait permis de mieux contrôler le glaucome. Certaines fistules durales peuvent se boucher spontanément et laisser de manière séquellaire une dilatation des vaisseaux épiscléraux et un glaucome qui s’est autonomisé. 

Bilan des facteurs de risque cardiovasculaire

Le glaucome n’est pas une pathologie d’origine embolique car la vascularisation du NO n’est pas terminale, à l’inverse de celle de la rétine. Ainsi, une OACR ne donne pas de neuropathie optique ischémique antérieure aiguë (NOIAA). La NOIAA ne se voit que dans l’occlusion de l’artère ophtalmique et elle est alors accompagnée d’une ischémie de la rétine, mais sans tache rouge cerise du fait de l’ischémie choroïdienne associée. Il faut une thrombose extensive des vaisseaux ciliaires postérieurs et/ou de l’artère ophtalmique, comme dans le cadre de l’artérite à cellules géantes (ACG) ou des autres vascularites, pour aboutir à une NOIAA qui sera dite artéritique. La NOIAA non artéritique doit être comprise comme un syndrome des loges, lié à une conformation particulaire de la papille : petite et pleine sans excavation, c’est la papille dite à risque de NOIAA. C’est un événement ischémique très mineur, microvasculaire, qui, lorsqu’il survient sur une papille à risque, va déclencher la NOIA non artéritique. C’est pourquoi, dans cette pathologie comme dans le bilan vasculaire d’un glaucome, la recherche d’une cause embolique ou d’une sténose serrée n’est pas systématique et devrait être l’exception. Dans un glaucome, la part vasculaire est liée plutôt à une atteinte des petites artères qu’à une atteinte des gros troncs supra-aortiques.
Si on suspecte une hypoperfusion oculaire chronique, il faut surtout dilater le patient et rechercher les signes discrets d’un syndrome d’ischémie rétinienne. Celle-ci prédomine en périphérie, mimant un déficit campimétrique glaucomateux qui s’aggrave alors que parfois, paradoxalement, la pression intraoculaire (PIO) diminue par ischémie du corps ciliaire. L’ischémie oculaire peut gagner le segment antérieur avec une kératite ponctuée superficielle dense, voire une uvéite antérieure qui ne répond pas aux corticoïdes. Non découverte, elle va aboutir à un glaucome néovasculaire qui permettra de redresser le diagnostic. Dans le cadre d’un syndrome d’ischémie oculaire, il faut demande une IRM avec angio-IRM pour étudier les carotides, mais aussi la circulation postérieure vertébro-basilaire et le cercle anastomotique de la base du crâne. Ainsi, des patients peuvent présenter une occlusion complète d’une carotide sans accident vasculaire cérébral ni syndrome d’ischémie oculaire du fait d’une très bonne circulation collatérale. L’échographie doppler des vaisseaux du cou ne permet de voir que les carotides, ce qui est insuffisant. Si, devant un glaucome, même unilatéral, on voulait réaliser un bilan vasculaire complet, il faudrait alors une angio-IRM ou un angio-scanner.

L’IRM cérébrale 3 T permet de faire le bilan de la maladie des petites artères cérébrales (MPAC), dont les études montrent son association avec le glaucome. Les séquences FLAIR (Fluid Attenuated Inversion Recovery) permettent de détecter des hypersignaux de la substance (HSSB) d’origine vasculaire (anciennement appelée leucoaraïose) et de les répartir en 3 stades de gravité croissante selon la classification de Fazekas (figure 3). L’IRM peut aussi retrouver des infarctus lacunaires, des microsaignements, une dilatation des espaces périvasculaires (dits de Virchow-Robin). L’utilité de faire ce bilan cardiovasculaire dans le glaucome reste à démontrer. Personnellement, je ne le demande que dans le glaucome à pression normale (GPN) ou lorsqu’un glaucome traité avec une PIO très basse progresse vite, et surtout pour éliminer les autres causes de neuropathie optique et accessoirement pour faire ce bilan vasculaire. S’il n’y a pas de maladie des petites artères cérébrales ou seulement des HSSB Fazekas 1, je demande au médecin traitant de faire le bilan et le traitement des facteurs de risque cardiovasculaire du patient. S’il y a des HSSB Fazekas 2 ou 3 et/ou un des autres signes, la MAPC est plus sévère et je confie le patient à un neurologue vasculaire car la correction des facteurs de risque cardiovasculaire est alors plus stricte. La prise en charge de ces facteurs de risque a démontré son importance pour diminuer la morbi-mortalité cardiovasculaire des patients, mais il n’y a pas de preuve que cela modifie l’évolution d’un glaucome.

Conclusion

L’IRM 3T orbitaire et encéphalique est l’examen de choix dans le domaine du glaucome. Elle est surtout utile dans les formes atypiques pour éliminer les autres causes de neuropathie optique et pour diagnostiquer les hypertonies intra-oculaires par obstacle posttrabéculaire. Elle permet de rechercher une MPAC, surtout dans le GPN, justifiant une prise en charge plus stricte des facteurs de risque cardiovasculaire par un neurologue. Idéalement, elle doit être réalisée par un neuroradiologue qu’il faudra guider en précisant le contexte clinique et ce que l’on recherche. L’échographie doppler des vaisseaux du cou n’a que peu d’intérêt dans le glaucome et si on suspecte une ischémie oculaire chronique, il faut plutôt demander une angio-IRM ou un angio-scanner pour imager toute la circulation cérébrale.

Pour en savoir plus
Françoise Héran Dreyfus. L’IRM en pratique. In: Vignal-Clermont C, Lamirel C, eds. Rapport SFO 2020 : Neuro-ophtalmologie pratique. Paris : Elsevier-Masson, 2020:95-136.
Lamirel C. Et si c’était un glaucome ?  In: Vignal-Clermont C, Lamirel C, eds. Rapport SFO 2020 : Neuro-ophtalmologie pratique. Paris : Elsevier-Masson, 2020:218-222.
Leung DY, Tham CC. Normal-tension glaucoma: Current concepts and approaches-A review. Clin Exp Ophthalmol. 2022;50(2):247-59.

Auteurs

  • Cédric Lamirel

    Ophtalmologiste

    Service du Pr Isabelle Cochereau, Fondation ­ophtalmo­logique A. de Rothschild, Paris ; Service du Pr Isabelle Cochereau, hôpital Bichat, Paris

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