Quel est le degré d’urgence pour une chirurgie de trou maculaire ?

Il existe peu d’études évaluant l’évolution naturelle anatomique et fonctionnelle des trous maculaires (TM) idiopathiques. La taille du trou et la durée d’évolution sont des facteurs pronostiques de récupération postopératoire connus, mais le délai pour la chirurgie reste non consensuel. Une grande partie des travaux historiques concernant l’évolution naturelle des TM a été menée sur de longues durées de suivi (1 à 5 ans) mais la vitesse d’élargissement d’un TM dans les semaines qui suivent sa constitution n’a été que peu étudiée. De même, la cinétique d’élargissement n’est pas connue même s’il semblerait que la majeure partie de l’évolution ait lieu dans les 3 premiers mois [1,2].

Dans quel délai opérer un TM ?

Il est admis que pour les TM de petite taille (inférieurs à 250 µm), une fermeture spontanée peut se produire dans les 3 premiers mois et qu’il n’y a donc pas d’urgence à planifier la chirurgie. En pratique, le patient est programmé au bloc opératoire 3 mois après le premier examen et un examen préopératoire quelques jours avant la chirurgie permet de valider la chirurgie si le trou est toujours ouvert.
Pour les TM supérieurs à 250 µm, le délai n’est pas consensuel, il est défini par le chirurgien et le patient sur une échelle de quelques jours à plusieurs semaines. Cependant, au cours de ce délai, l’évolution des caractéristiques anatomiques peut aboutir au changement de la technique chirurgicale initialement choisie et donc avoir un impact sur la chirurgie (pelage de la MLI, type de gaz) et le patient (acuité visuelle [AV] postopératoire, durée du face-down).

Une étude publiée en 2015 [3] avait pour objectif d’observer l’évolution du diamètre de 41 TM non opérés sur une durée moyenne de 8 semaines. Il a été démontré que 64% (n = 26) d’entre eux se sont élargis au cours du suivi. Ce sont les petits trous (inférieurs à 250 µm) et ceux présentant initialement une TVM (traction vitréomaculaire) qui se sont le plus élargis. L’évolution moyenne du diamètre au collet de l’ensemble des patients (n = 41) au cours des 8 semaines de suivi était de 74 µm (SD = 85 µm ; range -82 à 260 µm).
L’évolution de la taille des trous a engendré un changement de la technique chirurgicale pour 41% (n = 17) des patients. Par exemple, le nombre de patients éligibles à un traitement par ocriplasmine est passé de 49 à 15% et celui des patients nécessitant une vitrectomie + un positionnement, de 24 à 49%.
Cette étude n’a pas évalué les conséquences fonctionnelles (AV) éventuellement imputables au délai de prise en charge chirurgicale.
Nous avons donc réalisé récemment une étude rétrospective multicentrique évaluant l’évolution naturelle anatomique et fonctionnelle des TM dont la chirurgie a été reportée à cause du confinement lié à l’épidémie de Covid-19 en France. Nous avons inclus 19 patients présentant un TM idiopathique dont la chirurgie était programmée entre le 9 mars et le 11 mai 2020. Les données cliniques et OCT ont été comparées entre l’examen initial (préconfinement) et l’examen préopératoire (postconfinement).

Évolution anatomique

Le délai moyen entre les consultations initiale et préopératoire était de 13,7 semaines (SD = 4,6 ; médiane = 15,1 ; range 4-20). Le diamètre au collet moyen initial était de 356 ±139 µm et le diamètre à la base moyen initial, de 861 ± 364 µm (figures 1-3).
Au cours du suivi, 14 yeux (73%) ont présenté une augmentation du diamètre au collet d’au moins 20 µm et 5 (26%) ont gardé une taille équivalente (évolution inférieure à 20 µm). Aucun TM ne s’est rétréci ou fermé entre les 2 examens.
Le diamètre moyen au collet a significativement augmenté de 121 µm ± 4 (p < 0,0001) entre les 2 visites, soit une vitesse d’évolution moyenne de 44 µm par mois (figure 4).
Le diamètre à la base a également augmenté de façon significative de +181 µm entre les 2 visites (p < 0,0001), soit une augmentation moyenne de 59 µm par mois (figure 4).
Ce sont les TM de petite taille (inférieurs à 250 µm) qui se sont le plus élargis, avec une vitesse moyenne de 76 µm par mois au collet, et 77 µm par mois à la base.

Évolution fonctionnelle (acuité visuelle)

L’AV moyenne initiale (Eq Snellen) était de 3,2/10 (20/63) et l’AV moyenne préopératoire de 2/10 (20/100), soit une baisse de l’AV moyenne de 0,12 ±0,25 LogMAR (p = 0,048) entre les 2 consultations.
Un quart des patients (26%, n = 5) ont perdu 2 lignes d’AV ou plus entre les 2 consultations (p = 0,61). Ces 5 patients présentaient un élargissement moyen du diamètre au collet et à la base supérieur à celui des autres patients.
La BAV en fonction de l’évolution du diamètre au collet montre que 78,5% (n = 11) des patients dont le TM s’est élargi au collet (> 20 µm) ont présenté une BAV supérieure à 0,2 LogMAR (p = 0,02).

Évolution du stade chirurgical

Lors de la consultation initiale, 5 TM (26,3%) étaient de petite taille (moins de 250 µm), 6 (31,5%) de taille moyenne (250 à 400 µm), et 8 (42,2%) de grande taille (plus de 400 µm).
Lors de la consultation préopératoire, il n’y avait aucun trou de petite taille, 7 (36,8%) étaient de taille moyenne et 12 (63,2%) de grande taille.
Le taux de patients présentant un TM de grande taille, et donc une indication de pelage de MLI + positionnement postopératoire, est passé de 41% (n = 8) à 63% (n = 12).

Discussion/conclusion

Comme nous l’avons précédemment évoqué, le délai chirurgical des TM reste non consensuel. Il a déjà été évoqué dans la littérature que la majeure partie de l’évolution anatomique avait lieu dans les 3 premiers mois. L’étude que nous avons menée montre que les TM s’agrandissent à une vitesse moyenne (+44 µm/mois au collet et +59 µm/mois à la base), et que l’AV baisse au cours du temps.
Il semble donc légitime de proposer une date opératoire au patient dès que possible, et idéalement dans les 3 mois.
Le cas des TM de petite taille est intéressant puisque d’une part, ce sont eux qui s’élargissent le plus rapidement (+76 µm/mois en moyenne au collet) et qui nécessiteraient donc une chirurgie rapide, mais d’autre part leur évolution naturelle peut aboutir à une fermeture spontanée (4 à 12%). La balance bénéfice/risque entre les 2 situations semble tout de même être en faveur d’une chirurgie rapide.
Pour les TM de grande taille se pose une autre question intéressante : le TM est-il grand parce qu’il évolue depuis longtemps ? ou bien est-il « né » grand ? Dans la première situation, le TM peut être considéré comme étant en fin d’évolution avec un faible potentiel de croissance et la chirurgie peut donc être différée ; dans l’autre cas, le TM, même s’il est de grande taille, doit être considéré comme « un jeune » TM qui présente donc un fort potentiel de croissance et dont la chirurgie ne doit pas être différée.
L’examen de l’œil adelphe, lorsque celui-ci est sain, peut être utile pour évaluer la durée d’évolution des grands TM. En effet, il a été démontré récemment que la largeur de la fovéa de l’œil adelphe était corrélée à la taille du TM de l’œil atteint [4]. Plus la fovéa est large, plus le trou est grand, indépendamment de sa durée d’évolution.

Références bibliographiques
[1] Kim JW, Freeman WR, El-Haig W et al. Baseline characteristics, natural history, and risk factors to progression in eyes with stage 2 macular holes results from a prospective randomized clinical trial. Vitrectomy for macular hole study group. Ophthalmology. 1995;102 (12):1818-28.
[2] Johnson RN, Gass JD. Idiopathic macular holes. Observations, stages of formation, and implications for surgical intervention. Ophthalmology. 1988;95(7):917-24.
[3] Madi HA, Dinah C, Rees J, Steel DHW. The case mix of patients presenting with full-thickness macular holes and progression before surgery: implications for optimum management. Ophthalmologica 2015;233’3-4):216-21.
[4] Murphy DC, Melville HJR, George G et al. The association between foveal floor measurements and macular hole size. Ophthalmol Retina. 2020;S2468-6530(20)30403-6. 

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