Que dois-je faire de mes lentilles pendant cette pandémie COVID-19 ?
Beaucoup de questions sont soulevées par les professionnels de l’optique et les ophtalmologistes mais également les patients depuis le début de cette pandémie inédite. Nous allons essayer de démêler les vraies informations des fausses. Bien entendu, les données évoluant constamment, elles risquent d’être obsolètes à la date de parution.

Le coronavirus dans la pandémie Covid-19
Il s’agit d’un virus à ARN simple brin, encapsulé. Contrairement à une bactérie, il a besoin, pour se reproduire, d’une cellule hôte. Seul, il ne prolifère pas. Il possède une enveloppe et pénètre dans les cellules par le biais des récepteurs de l’enzyme de conversion (EC) de l’angiotensine 2. Pour plus de détails sur les éventuelles interactions avec les IEC (inhibiteurs de l’enzyme de conversion, dont les noms se terminent par « pril ») ou les ARA II (antagonistes des récepteurs à l’angiotensine 2, dont les noms se terminent par « sartan ») dans les traitements de l’hypertension artérielle, vous pouvez, entre autres, consulter le site de la Société française d’hypertension artérielle et celui de la Société française de cardiologie.
Un article de Tang et al. [1] indique que 2 souches auraient été identifiées à Wuhan : la S et la L. La première serait la forme historique, la seconde serait plus agressive mais sa prévalence aurait diminué, probablement en rapport avec une pression de sélection plus agressive. Bien entendu, des études moléculaires à plus grande échelle sont nécessaires pour une meilleure compréhension.
La durée d’incubation du virus est estimée entre 10 et 14 jours, ce qui explique en partie la rapide contamination mondiale. En effet, la dispersion d’un virus est facilitée par des formes peu ou pas symptomatiques [2] et de longues durées d’incubation, ce qui n’est pas le cas avec une maladie d’emblée grave à courte incubation (par exemple Ebola et ses diffusions très localisées).
En l’état actuel des connaissances, nous pouvons dire que la contamination se fait par les gouttelettes de Pflügge émises en parlant, en toussant et en éternuant, par le contact direct (une main infectée), par l’intermédiaire de surfaces contaminées. Le virus a été retrouvé dans les conjonctives de patients atteints mais sans connaître le nombre de patients infectés, nous ne pouvons pas établir de pourcentage [3,4]. De même, les enfants, qui sont souvent porteurs sains et gardent longtemps le virus au niveau de la sphère nasopharyngée et dans les selles, seraient un vecteur possible de cette large contamination [5,6]. Seules les études à distance nous permettront de mieux comprendre leur rôle.
Peu résistant, le virus est détruit par les solutions hydroalcooliques, l’eau et le savon sur les mains, le vinaigre ménager. Cependant, il persiste plus ou moins longtemps sur certaines surfaces. Cette notion de persistance est chaque jour un peu plus affinée. Il semblerait que sur le plastique ou l’acier, le virus résiste mieux, mais il serait intéressant de suivre l’évolution de ces données.
Historiquement les coronavirus sont connus pour donner des infections bénignes, de type rhinopharyngite, mais certains sont à l’origine d’infections plus graves :
- SARS-CoV, agent pathogène du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) dont l’épidémie de 2002-2004 a déclenché une alerte mondiale de l’Organisation mondiale de la santé ;
- MERS-CoV, syndrome respiratoire du Moyen-Orient dont la première épidémie a débuté en Arabie Saoudite en 2012. Des épidémies de MERS-CoV résurgent régulièrement. Ce virus a un fort taux de létalité ;
- SARS-CoV-2, celui de la maladie à coronavirus 2019 (Covid-19) apparue en Chine en 2019 est responsable d’une sévère pandémie en 2020.
Informations pratiques
- La Société française d’ophtalmologie a mis en ligne des consignes de prise en charge des patients ophtalmologiques (www.sfo-online.fr/sites/www.sfo-online.fr/files/medias/documents/synthese_courte_cnp.pdf et https://www. sfo-online.fr/sites/www.sfo-online.fr/files/medias/ documents/recos_ covid_afo_15_mars_version_longue.pdf).
- La SFOALC a créé une page dédiée sur son site : http://sfoalc.info/2-2-communiques-sfoalc.html
- Centers for Disease Control : www.coronavirus.gov
- National Institutes of Health : www.nih.gov/coronavirus
- Cartographie John Hopkins University : https://coronavirus.jhu.edu/map.html
- Institut Pasteur : www.pasteur.fr/fr
- Organisation mondiale de la santé : www.who.int/fr
- Directives gouvernementales : www.gouvernement.fr/info-coronavirus
- AAO : retrait des lentilles durant l’épidémie, attitude non partagée en Europe, https://www.aao.org/salud-ocular/consejos/seguridad-ocular-por-el-coronavirus (mars 2020)
Que dire aux patients porteurs de lentilles ?
Aucune information n’est corroborée par des études cliniques car il est encore trop tôt. Le port de lentilles pour le patient sans symptômes de Covid-19 peut être maintenu.
Le bon sens doit prédominer. Il n’a pas été rapporté de sur-adhésion du virus au matériau silicohydrogel des lentilles in vivo, mais nous n’avons pas de certitude. Cependant il est vivement recommandé d’accentuer les mesures d’hygiène des mains. Le lavage pendant au moins 20 secondes avec un savon standard est essentiel avant la pose et la dépose. Le virus ne reste pas sur la lentille si celle-ci est nettoyée et massée avec le produit d’entretien classique. Aucun produit d’entretien n’a été testé sur son efficacité de décontamination sur le SARS COV 2, et dans ces conditions, il est conseillé de ne pas en changer. Rappelons que le massage est une étape essentielle de l’entretien des lentilles.
Les lentilles journalières sont les plus recommandées dans ce contexte (risque infectieux le plus faible) mais il n’existe aucune contre-indication aux lentilles à renouvellement fréquent, bien entretenues. Il est préférable pour un patient de garder une lentille à renouvellement fréquent bien adaptée plutôt que changer, à la suite d’une consultation téléphonique, pour une lentille journalière non validée – un même rayon de courbure ne suffit pas à garantir un bon équipement – [6].
Concernant les patients qui, souvent pour des raisons professionnelles, portent leurs lentilles en permanence, un retour à un port journalier peut être conseillé. La finalité étant d’éviter au maximum tout accident infectieux dans une période où l’accès aux soins est plus difficile.
Comme pour toute infection, il est impératif, en cas d’infection à SARS Cov2, de suspendre le port de lentilles et de repasser aux verres correcteurs. Les verres correcteurs n’ont cependant aucune vertue protectrice vis à vis du virus. Il est d’ailleurs également recommandé de souvent laver ses lunettes à l’eau et au savon.
Le patient ayant eu une infection et suspendu son port de lentilles reprendra à sa guérison une paire propre de lentilles et aura jeté et changé ses étuis.
Il est important que le professionnel de santé se tienne informé des évolutions, très rapides, des connaissances.
Les guidelines de la Société française des adaptateurs de lentilles de contact (SFOALC) viennent d’être publiées (figure 1).
Toute suspicion d’infection justifie une « vraie » consultation rapide.
La téléconsultation, dans ce contexte de pandémie, permettra de renouveler certaines lentilles chez des patients connus, bien adaptés et observants, après avoir validé quelques points basiques :
- existe-t-il une plainte fonctionnelle, la vision est-elle dégradée, floue, d’un côté, des deux ?
- observe-t-on une rougeur ou un inconfort lors du port ?
- vérifier le type de port (journalier, mensuel, bimensuel, pas la nuit) et les modalités d’entretien observées par le patient.
L’association des optométristes britanniques diffuse une fiche pouvant aider à la téléconsultation en contactologie (figure 2).
Ces renouvellements sont faits pour une durée brève car ils engagent notre responsabilité et ne doivent pas mettre la sécurité oculaire de nos patients en jeu. Faire déplacer un patient en cas de doute pourra se justifier, en ayant analysé la balance bénéfice/risque (risque de contamination par le covid-19) pour chaque cas (comorbidités, âge du patient) [7].
Des mesures simples et cohérentes
Cette pandémie bouscule nos pratiques et nous pousse à nous interroger. Nous obtiendrons probablement de multiples réponses, un peu tard cependant. Gardons à l’esprit des mesures simples et cohérentes pour nos porteurs de lentilles et profitons-en pour remettre au centre de nos adaptations la qualité de l’entretien et l’hygiène. Beaucoup de notions encore imprécises s’affineront avec le temps et l’expérience. Surveillez l’évolution des données, adaptez votre travail aux directives gouvernementales, aux instances ophtalmologiques nationales et à votre bon sens clinique pour le bien-être de vos patients.
Il faut espérer que nous garderons un enseignement de cette pandémie si peu anticipée.
Références bibliographiques
[1] Tang X, Wu C, Li X et al. On the origin and continuing evolution of SARS-CoV-2. National Science Review, nwaa036, https://doi.org/ 10.1093/nsr/nwaa036.
[2] Guan W, Ni Z, Hu Y et al. Clinical characteristics of coronavirus disease 2019 in China. New Eng J Med. 2020. doi: 10.1056/NEJMoa 2002032.
[3] Sommer A. Humans, viruses, and the eye – An early report from the COVID-19 front line. JAMA Ophthalmol. 2020 Mar 31. doi:10. 1001/jamaophthalmol.2020.1294.
[4] COVID-19_ Low risk of coronavirus spreading through tears - ScienceDaily (PDF)
[5] Travel Med Infect Dis. 2020 Mar 28:101649. doi: 10.1016/j.tmaid. 2020.101649. Ref 1 recommandation BCLA WEBINAR coopervision 7/4/20
[6] COVID-19 in children: More than meets the eye. Hagmann SHF.
[7] Zeri F, Naroo SA. Contact lens practice in the time of COVID-19. Cont Lens Anterior Eye. 2020 Mar 19. pii: S1367-0484(20)30050-3. doi: 10.1016/j.clae.2020.03.007.
Pour en savoir plus
Jones L, Walsh K, Willcox M et al. The COVID-19 pandemic: Important considerations for contact lens practitioners. Cont Lens Anterior Eye. 2020 Apr 3. pii: S1367-0484(20)30055-2. doi: 10.1016/j.clae.2020.03.012