Quand et comment suivre avec un champ visuel ?

Le glaucome est une neuropathie optique progressive qui entraîne des déficits structuraux et fonctionnels qui sont liés et méritent d’être corrélés pour éviter des erreurs d’interprétation. 

Les déficits structuraux (figure 1) [1] sont classiquement explorés en OCT et touchent la tête du nerf optique (TNO), la couche des fibres nerveuses rétiniennes péripapillaires (RNFL) et le complexe cellulaire ganglionnaire maculaire (GCC). L’exploration des déficits fonctionnels (figure 1) [1] se résume souvent, en prati­que clinique quotidienne, à l’évaluation du champ visuel, en périmétrie standard automatisée (PSA).

Le B.A BA

Principes de base
La prise en charge du glaucome vise à limiter la perte fonctionnelle pour préserver la fonction visuelle et la ­qualité de vie des patients. L’évaluation et le suivi de cette atteinte fonctionnelle sont donc essentiels à tous les stades de la pathologie, mais plus encore au stade périmétrique, c’est-à-dire lorsque le champ visuel (CV) est atteint. La stratégie sera choisie en fonction du stade évolutif de la neuropathie optique et adaptée aux capacités physiques et cognitives du patient. Une fois la stratégie choisie pour un patient donné, le suivi évolutif se fera idéalement sur la même stratégie pour comparer les ­examens dans le temps sur une base commune.

Principes d’interprétation des relevés
Les données démographiques du patient doivent être renseignées et vérifiées. Il convient de prendre garde à la date de naissance puisque toute l’analyse du CV en découle. La réfraction de près est en règle utilisée et l’examinateur doit prendre en considération cette valeur. Les critères de fiabilité (figure 2) doivent être respectés, on validera ainsi le taux de faux positifs, de faux négatifs, de perte de fixations… Le seuil fovéal est à rapprocher de la vision centrale, de l’acuité visuelle mesurée. L’analyse du relevé de CV s’attachera à l’analyse statistique des points déficitaires, en particulier sur les schémas de déviation totale et individuelle ; elle se poursuivra par l’analyse des indices globaux qui seront également rapprochés des schémas de déviation précités (figure 3).

Croisement des résultats du CV avec les autres éléments du tableau clinique
Les informations du CV sont à mettre en parallèle avec les éléments du tableau clinique, en particulier l’aspect de la TNO, mais également avec les résultats des tests structuraux. La relation structure-fonction [2], quand elle est retrouvée, a une puissante valeur diagnostique et permet de poser des décisions raisonnées (figure 4).

CV et dépistage

Le CV fait partie des examens que l’on peut proposer pour dépister un glaucome, en complément d’un examen clinique complet comportant la recherche des facteurs de risque de glaucome, l’analyse de la TNO, la prise de la pression intraoculaire (PIO), la mesure de la pachymétrie cornéenne centrale, la gonioscopie. On proposera volontiers dans ce cas une stratégie rapide et facile à réaliser : le CV FDT peut convenir dans cet objectif de dépistage, tout comme une stratégie SITA en CV blanc-blanc. Il faut bien entendu tenir compte dans ce cadre des phénomènes d’apprentissage et confirmer les éventuels premiers résultats. 

CV et diagnostic

Les examens à visée diagnostique utilisés en médecine sont caractérisés par une sensibilité et une spécificité, avec des faux positifs et des faux négatifs inéluctables. Les examens utilisés en matière de glaucome, aussi performants soient-ils, n’échappent pas à la règle. L’OCT est un outil diagnostique puissant mais le diagnostic de glaucome ayant des répercussions non négligeables, il est ­important de corroborer les résultats avec une périmétrie adaptée au cas clinique, et ainsi de croiser les examens de la structure et ceux de la fonction (figure 1).

En cas de glaucome prépérimétrique
Les anomalies fonctionnelles pourront être recherchées par le biais de stratégies dites « non conventionnelles » telles que le CV FDT-Matrix ou le CV bleu-jaune. Ces périmétries explorent respectivement les voies visuelles magno-cellulaire et konio-cellulaire ; la ­première est sensible aux mouvements et aux contrastes, la seconde aux couleurs. Ces voies visuelles représentent à elles deux environ 10% des cellules ganglionnaires rétiniennes, avec des champs récepteurs moins redondants, ce qui ­permet de démasquer des anomalies périmétriques plus précocement [3] qu’avec la PSA « blanc-blanc ». Si un scotome est retrouvé sur une de ces périmétries, confirmant l’atteinte structurale à l’OCT, la puissance diagnos­tique des 2 tests est importante. Les critères de Polo [4] définissent un résultat anormal en périmétrie bleu-jaune et nécessitent la présence d’un cluster de points déficitaires cohérents, soit 4 points avec p < 5% ou 3 points adjacents avec p < 1%. Des critères plus ou moins sévères définissent un résultat anormal en FDT [5], à savoir 3 ou 4 champs adjacents moins performants par rapport à la base de données normative.

En cas de glaucome périmétrique
La PSA est l’examen de choix pour diagnostiquer les anomalies fonctionnelles du glaucome et les rapprocher des déficits structuraux. L’exploration s’intéresse aux 30, 24 ou 10 degrés centraux en fonction de l’atteinte suspectée. Classiquement en France, on utilise les tests 24-2 pour les machines Humphrey ou les tests explorant les 30° centraux pour les machines Octopus. Les stratégies proposées initialement représentent un compromis entre les renseignements fournis et la facilité de réalisation du test. Les explorations de « seuils complets » sont réalisées de façon exceptionnelle à l’heure actuelle, car trop longues et avec une plus-value insignifiante par rapport aux stratégies plus modernes et efficientes comme les stratégies SITA pour Humphrey ou Dynamique pour Octopus. Les critères définissant un résultat anormal sont plus ou moins stricts : les critères classiques sont un GHT anormal avec un groupement cohérent de 3 ou 4 points déficitaires avec p < 5% non adjacents à la tache aveugle. Un résultat anormal sera systématiquement vérifié pour éliminer les sources d’erreurs liées à ­l’apprentissage.

Diagnostic différentiel
Les déficits périmétriques induits par le glaucome sont assez systématisés et sont en rapport avec la distribution architectonique des fibres nerveuses rétiniennes. Les scotomes fréquemment rencontrés dans le glaucome sont les ressauts nasaux, les déficits arciformes dans l’aire de Bjerrum, les déficits paracentraux ; ces scotomes sont régulièrement associés. Ce caractère systématisé ne permet pas pour autant d’affirmer un glaucome devant un scotome évocateur ; il existe en effet d’autres neuropathies ou d’autres pathologies oculaires ou extra­oculaires pouvant mimer le déficit périmétrique induit par un glaucome. Il faut savoir se méfier de toute discor­dance anatomo-fonctionnelle, du respect du méridien vertical, de tout intrus par rapport à la présentation ­clinique, et pousser les investigations afin d’éliminer une autre étiologie que le glaucome, en particulier les atteintes neuro-ophtalmologiques.

CV et suivi évolutif du glaucome

Tout patient glaucomateux traité ou non traité est susceptible d’évoluer sur le plan périmétrique. Le contexte et certains facteurs de risque peuvent favoriser cette aggravation, mais il est important de comprendre que la vitesse d’évolution n’est pas superposable d’un patient à l’autre et doit être déterminée individuellement. Toute la difficulté consiste à distinguer une variation intertests attendue d’une véritable évolution. Les recommandations en matière de suivi périmétrique se sont affinées et encouragent à multiplier les examens de CV dans les 2 ans suivant le diagnostic [6], afin justement d’évaluer la vitesse de progression du patient considéré. Cette vitesse de progression fait désormais partie des paramètres à intégrer dans le calcul de la PIO cible [1], en vue de limiter le déficit périmétrique et le handicap visuel à terme.

L’aggravation du CV peut se manifester de 3 façons non exclusives les unes des autres :
- apparition d’un nouveau scotome ;
- approfondissement d’un scotome préexistant ;
- élargissement d’un scotome préexistant.

Le diagnostic d’aggravation du CV peut se faire de différentes façons également, mais il est classiquement recommandé de croiser les différentes sources d’informations et de confirmer ces informations. On peut ainsi utiliser des analyses de tendance ou des analyses ­d’événements ; les logiciels de suivi intégrés dans les machines, tels que le GPA2 de Humphrey (figures 5 et 6), sont d’une grande aide. L’analyse de tendance suit un paramètre dans le temps et dans le cas du GPA2, l’indice VFI (indice de champ visuel) fait l’objet d’une courbe de régres­sion linéaire au cours du suivi ; cette courbe permet de ­visualiser l’évolution de cet indice dans le temps et, éventuellement, de projeter son évolution à moyen terme, permet­tant ainsi au patient de comprendre les enjeux et au praticien de prendre une décision sans attendre le moyen terme. Si l’on ne dispose pas de cet outil, on peut tout à fait suivre manuellement un indice global tel que le MD (déficit moyen) et, éventuellement, produire soi-même une courbe de régression analogue.
L’analyse d’événements va s’intéresser au comportement des seuils étudiés d’un examen à l’autre. La machine détermine s’il existe une dégradation et confirme potentiellement cette dégradation sur le ou les examens suivants. Cette analyse permet de détecter une aggravation plus précocement et se doit d’être prise en compte.
Les examens de CV seront proposés de façon rapprochée dans les 2 ans suivant le diagnostic ; le suivi sera ensuite ajusté en fonction du tableau clinique, avec classiquement pour les glaucomes à peu près maîtrisés un CV annuel, dont les informations seront corrélées aux tests structuraux pour plus de valeur encore. En cas de ­facteurs de risque de progression, c’est-à-dire une PIO élevée, un âge avancé, la présence d’une hémorragie parapapillaire, la non-observance thérapeutique manifeste, un syndrome pseudo-exfoliatif, ils seront plus rapprochés afin, là encore, de détecter une dégradation rapide et de mettre en place une stratégie thérapeutique adaptée.
Le CV proposé pour le suivi dépend bien entendu du stade évolutif de la pathologie et on pourra ainsi suivre des glaucomes prépérimétriques par le biais d’un CV FDT par exemple, alors que dans le cas d’un glaucome très avancé, on se concentrera sur les 10° centraux. Une remarque également par rapport à l’OCT qui a une importance plus grande dans les stades précoces de glaucome, alors que le CV prend plus d’importance dans le suivi alors que la pathologie avance.

Conclusion

En cas de neuropathie optique glaucomateuse, le CV reste incontournable. Le glaucome étant une maladie évolutive, le suivi périmétrique permet de juger de l’évolutivité de la pathologie. Néanmoins, cette progression « variable » d’un patient à l’autre, déterminer la vitesse d’évolution, autorise un ajustement de la prise en charge en fonction, et ce de façon individualisée. Retenir que toute aggravation du CV doit être confirmée, et qu’il faut se donner les moyens d’éliminer toute autre cause d’aggravation autre que le glaucome.

Références bibliographiques
[1] European Glaucoma Society. Terminology and guidelines for glaucoma. 4th Edition, PubliComm : Savona. 2014.
[2] Garway-Heath DF, Poinoosawmy D, Fitzke FW, Hitchings RA. Mapping the visual field to the optic disc in normal tension glaucoma eyes. Ophthalmology. 2000;107(10):1809-15.
[3] Ferreras A, Polo V, Larrosa JM et al. Can frequency-doubling technology and short-wavelength automated perimetries detect visual field defects before standard automated perimetry in patients with preperimetric glaucoma? J Glaucoma. 2007;16(4):372-83.
[4] Polo V, Larrosa JM, Pinilla I et al. Optimum criteria for short-­wavelength automated perimetry. Ophthalmology. 2001;108(2):285-9.
[5] Liu S, Yu M, Weinreb RN et al. Frequency-doubling technology perimetry for detection of the development of visual field defects in glaucoma suspect eyes: a prospective study. JAMA Ophthalmol. 2014;132 (1):77-83.
[6] Chauhan BC, Garway-Heath DF, Goñi FJ et al. Practical recommendations for measuring rates of visual field change in glaucoma. Br J Ophthalmol. 2008;92(4):569-73.

Auteurs

  • Esther Blumen-Ohana

    Ophtalmologiste, Chirurgien des hôpitaux

    Centre médico-chirurgical œil et paupière, Paris

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