Principales clés d’adaptation en lentilles d’un kératocône

En 1888, Adolf Fick, physiologiste allemand, propose d’utiliser les lentilles de contact rigides chez les patients atteints d’un kératocône. Le film lacrymal entre la lentille rigide et la cornée crée une interface régulière permettant une amélioration de la qualité visuelle chez ces patients présentant un astigmatisme irrégulier. L’adaptation passe par plusieurs étapes permettant de choisir la lentille la mieux appropriée au type de kératocône et au patient.

Sur les 550 patients présentant un kératocône inclus dans l’étude française menée par Saunier et al. [1], 41% portent des lentilles rigides et 70,9% décrivent une amélioration de leur qualité visuelle grâce au port de lentilles. L’étude d’Ortiz-Toquero et al. [2] retrouve aussi que la qualité visuelle de ces patients est meilleure en lentilles qu’en lunettes, quel que soit le stade du kératocône. Plus le kératocône est avancé, plus cette différence lunettes/ lentilles est importante. Il est donc intéressant de proposer une adaptation en lentilles à tous les patients présentant un kératocône et une gêne visuelle en lunettes.

Étapes successives

L’adaptation en lentilles d’un patient atteint d’un kératocône se fait en 3 étapes : interrogatoire du patient destiné à définir ses besoins visuels ; évaluation du kératocône par examen clinique et topographie cornéenne ; choix de la première lentille à essayer.

Interrogatoire du patient
L’interrogatoire du patient a pour objectif d’évaluer sa motivation, son terrain et le risque lié au port de lentilles. Il convient tout d’abord de savoir pourquoi le patient souhaite porter des lentilles. Il est important de l’informer que si le port de lentilles améliore généralement la qualité visuelle, il ne ralentit cependant pas l’évolution du kératocône. Il faut donc bien évaluer ses attentes visuelles. Pour mieux y répondre, il faut connaître ce patient : sa profession, ses loisirs, ses antécédents médicaux, ses traitements et ses allergies. Le connaître, c’est aussi rechercher des éléments susceptibles d’augmenter le risque de kératite infectieuse liée au port de lentilles : un terrain immunodéprimé, un manque d’hygiène, un défaut de compréhension des consignes de port et d’entretien des lentilles

Évaluation du kératocône
L’évaluation du kératocône se déroule en 3 étapes : la mesure de l’acuité visuelle (AV), l’examen biomicroscopique et la topographie cornéenne. L’AV permet de définir le retentissement visuel du kératocône. Plus ce dernier est avancé, plus l’AV est abaissée. Celle-ci peut aussi être limitée en raison d’une opacité cornéenne dont la taille et la localisation sont recherchées lors de l’examen biomicroscopique. Une opacité cornéenne n’est pas une contre-indication au port de lentilles mais elle peut limiter l’amélioration de la qualité visuelle. Il est également important de rechercher, lors de l’examen biomicroscopique, une kératite qui devra être traitée au préalable. Enfin la réalisation d’une topographie cornéenne est indispensable à l’évaluation des caractéristiques du kératocône du patient [3]. La carte tangentielle fournit des renseignements sur le centrage du kératocône, sur sa pente abrupte ou douce, et sur sa taille. Il est classique de distinguer les cônes ovales généralement localisés en temporal inférieur avec un diamètre supérieur à 5 mm (figure 1), des nipple cones de localisation centrale et de diamètre inférieur à 5 mm (figure 2). L’adaptation en lentille des nipple cones nécessite souvent une lentille dont le diamètre de la zone optique postérieure est réduit (comme la Rose K2 NC de Menicon). La topographie cornéenne permet aussi d’évaluer le stade du kératocône par la mesure de la kératométrie moyenne. 

Choix de la lentille d’essai
Le choix de la première lentille dépend du stade du kératocône. Les kératocônes avec une kératométrie moyenne supérieure à 7,50 mm pourront être adaptés avec une lentille rigide cornéenne sphéro-asphérique ou une lentille souple torique. Les limites d’une lentille rigide sphéro-asphérique sur un kératocône consistent en un appui trop marqué sur l’apex du cône et des dégagements périphériques trop fins. La limite d’une lentille souple torique est une absence d’amélioration de la vision par rapport aux lunettes. En cas d’échec, une lentille rigide cornéenne multicourbe à géométrie « kératocône » est à essayer. Pour les autres kératocônes avec une kératométrie moyenne inférieure ou égale à 7,50 mm, une lentille rigide cornéenne multicourbe à géométrie « kératocône » est essayée en première intention. Les paramètres de cette lentille sont à déterminer dans l’ordre suivant : rayon de courbure, dégagements périphériques, diamètre et puissance. La détermination de ces paramètres se fait en suivant la règle du « triple appui » [4]. Au centre, l’apex du cône est légèrement plus sombre, entouré d’un lac de fluorescéine, suivi par un anneau plus sombre appelé zone de transition, puis par un anneau de fluorescéine appelé dégagement périphérique. Le choix du premier rayon de courbure dépend du fabricant, par exemple c’est la kératométrie moyenne pour les lentilles Rose K2 de Menicon et AirKone de LCS. Il est ensuite conseillé de resserrer le rayon de courbure jusqu’à trouver la première clairance apicale, où l’apex du kératocône n’est plus visible, puis d’aplatir de 0,10 mm (figure 3) [5]. Le rayon de courbure obtenu permet d’avoir un fin film lacrymal entre la lentille et l’apex du cône. Après avoir déterminé le bon rayon de courbure, il faut s’intéresser aux dégagements périphériques de la lentille. Ceux-ci aident au renouvellement lacrymal sous la lentille. Il est possible de les aplatir ou de les resserrer afin qu’ils mesurent de 0,5 à 0,7 mm en horizontal (figure 4). Des dégagements périphériques trop fins peuvent expliquer un inconfort du patient [6]. Après la détermination des dégagements périphériques, il convient de vérifier le diamètre de la lentille. L’apex du cône doit être situé dans la zone optique postérieure, sinon il faut augmenter le diamètre de la lentille. Si la lentille est basse et peu prise par la paupière supérieure, il faut aussi augmenter le diamètre. Enfin une réfraction sphérique par-dessus la lentille permet de déterminer la puissance de la lentille. Tous les paramètres de la lentille étant déterminés, celle-ci est prescrite en essai, sans oublier d’informer le patient des consignes de port et d’entretien.

Contrôle à 1 mois de port
Le patient est revu après 1 mois de port de la lentille d’essai. L’interrogatoire est là aussi primordial pour recueillir les plaintes du patient. La lentille est examinée sur l’œil du patient sans et avec instillation de fluorescéine. Elle est ensuite retirée pour vérifier la surface conjonctivale et cornéenne. Si le patient et l’ophtalmologiste sont satisfaits, cette lentille est définitivement prescrite et le patient est suivi régulièrement. Dans le cas contraire, on procède à un nouvel essai au cours duquel il est possible soit de garder une lentille rigide multicourbe à géométrie « kératocône » en modifiant ses paramètres, soit de changer d’équipement. Les autres possibilités à essayer sont : un piggy back, une lentille hybride, une lentille cornéosclérale et une lentille sclérale.

Conclusion

Les principales clés d’adaptation en lentilles d’un kératocône sont de bien définir les attentes visuelles du patient et de caractériser le type de kératocône sur la topographie cornéenne avant le premier test. Pour les kératocônes avec une kératométrie inférieure ou égale à 7,50 mm, une lentille rigide cornéenne multicourbe à géométrie « kératocône » est à essayer en première intention. Les paramètres de cette lentille sont déterminés grâce à la règle du triple appui. En cas d’échec, il est important de persévérer et d’autres solutions comme un piggy back, une lentille hybride, une lentille cornéosclérale, ou une lentille sclérale sont à proposer.

Références bibliographiques
[1] Saunier V, Mercier AE, Gaboriau T et al. Vision-related quality of life and dependency in French keratoconus patients: Impact study. J Cataract Refract Surg. 2017;43(12):1582-90.
[2] Ortiz-Toquero S, Perez S, Rodriguez G et al. The influence of the refractive correction on the vision-related quality of life in keratoconus patients. Qual Life Res. 2016;25(4):1043-51.
[3] Sorbara L, Dalton K. The use of video-keratoscopy in predicting contact lens parameters for keratoconic fitting. Cont Lens Anterior Eye. 2010;33(3):112-8.
[4] Edrington TB, Barr JT, Zadnik K et al. Standardized rigid contact lens fitting protocol for keratoconus. Optom Vis Sci. 1996;73(6):369-75.
[5] Romero-Jiménez M, Santodomingo-Rubido J, González-Méijome JM. An assessment of the optimal lens fit rate in keratoconus subjects using three-point-touch and apical touch fitting approaches with the rose K2 lens. Eye Contact Lens. 2013;39(4):269-72.
[6] Edrington TB, Gundel RE, Libassi DP et al. Variables affecting rigid contact lens comfort in the collaborative longitudinal evaluation of keratoconus (CLEK) study. Optom Vis Sci. 2004;81(3):182-8.

Pour en savoir plus
Narduzzi J, Malet F et al. Le kératocône en 2015. Rapport de la SFOALC. Med-Line Editions, 2015. 

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