Prévention de l’évolution myopique

Lors du 129e congrès de la SFO, nous avons eu le plaisir de présenter en avant-première les résultats des études cliniques menées en Chine et en France sur l’efficacité des lentilles de nuit DRL® pour la freination de la myopie infantile.
Symposium Precilens.
Jaume Pauné (Barcelone), inventeur de la lentille DRL, a argumenté les détails géométriques qui caractérisent les différentes lentilles d’orthokératologie (OK) dont nous disposons dans le monde, au travers des résultats de plusieurs études prospectives d’efficacité conduites en Chine et parues en 2022.
En particulier les zones de dégagement inverse qui caractérisent ce type de lentilles, dont la situation par rapport à l’axe visuel et la vergence peuvent influer sur l’évolution myopique. Les lentilles les plus anciennes avaient pour but de compenser la myopie dans la journée avec un port nocturne. Au début des années 2005, Pauline Cho a mis en évidence une freination myopique chez les enfants porteurs de lentilles d’OK, et les recherches se sont focalisées sur ce qui était à l’origine un effet secondaire de la lentille pour en affiner les formes. Il restait une lacune d’efficacité en dessous d’une myopie de -2,50 D.
Le diamètre de la zone optique limitée par l’anneau rouge en topographie est inversement corrélé à l’efficacité de la freination, ce qu’ont démontré les études chinoises de 2022. Celle de Zhang et al. comparait 3 lentilles : la progression, tant en longueur axiale qu’en réfraction sous cycloplégie, permettait une freination à 2 ans de 50% pour la lentille CRT, 55% pour la lentille Euclid (non commercialisée en France), et 85% pour la DRL, dont les diamètres de zone optique postérieure (BOZD) étaient respectivement de 6, 6,2 et 5 mm. De plus, le temps de remodelage était plus rapide avec la DRL qu’avec les 2 autres, atteignant une erreur réfractive réduite à 1,00 D en 24 heures (contre 2,00 D).
Le diamètre mesuré au centre de l’anneau était au-delà de l’aire pupillaire pour la CRT, tangent pour l’Euclid, et à l’intérieur de la pupille pour la DRL.
La réfringence de l’anneau est également contributive car plus le flux lumineux concentré sur la périphérie de la rétine est important, meilleure est la freination.
Les auteurs en ont donc conclu qu’une lentille d’OK, pour être efficace en freination myopique, devait avoir un anneau rouge dans l’aire pupillaire et une réfringence bien supérieure à la puissance de la myopie à corriger, et ont préconisé d’utiliser systématiquement les lentilles avec des diamètres de zones optiques customisées.
Aurélia Chaume (Laxou, Meurthe-et-Moselle) a rapporté une étude rétrospective faite en collaboration avec le Dr Rolland en pratique libérale sur 25 patients équipés avec la lentille d’OK DRL-Prevention, vs un nombre identique de cas témoins, et appariés et séparés en 2 groupes selon l’âge (7 à 13 ans et 14 à 17 ans). Le résultat à 1 an, à la fois sur la longueur axiale et sur la réfraction, a permis de mettre en évidence une efficacité freinatrice de l’ordre de 75% de la lentille DRL (72% en dessous de 13 ans et 79% au-delà).
Louisette Bloise (Saint-Laurent-du-Var, Alpes-Maritimes) a participé à l’étude rétrospective de suivi sur 2 ans (avec contrôle à 1 an) de patients équipés ayant consulté entre 2016 et 2020.
Huit centres en France y étaient inclus, les patients avaient entre 7 et 17 ans, leur myopie était comprise entre -0,50 et -7,00 D, avec un astigmatisme associé jusqu’à 4,00 D.
Réfraction et acuité, genre, centrage du traitement et éventuels effets indésirables ont été colligés. Deux cent onze patients en DRL ont été retenus, ainsi que 149 témoins en lunettes non freinatrices.
La variable M, correspondant à l’équivalent sphérique, a été retenue pour être comparée avec la valeur dioptrique de la myopie des cas témoins.
La freination s’est amplifiée avec le temps : 77% la première année, 80% à l’issue de la seconde.
Trois groupes par classe d’âge ont été distingués : de 5 à 9 ans, de 10 à 12 ans et au-delà de 13 ans. Dans tous les groupes, la deuxième année a consolidé et amplifié le pouvoir freinateur du système : la meilleure réponse (80% à 1 an, 83% à 2 ans) a concerné les 10-12 ans, suivis de peu (60% à 1 an, 82% à 2 ans) par les 13-17 ans, et était paradoxalement moins marquée à 2 ans pour les plus jeunes (79% à 1 an et 73% à 2 ans).
Les projections d’évolution sur 6 ans sont largement en faveur de cette stratégie de contrôle myopique, la courbe moyenne de progression donnant -0,50 D vs -2,25 D sans traitement.
Le Dr Bloise a exprimé sa satisfaction devant cette preuve tangible de l’efficacité du traitement par cette lentille d’OK, pour laquelle tous les adaptateurs avaient l’impression d’un résultat exceptionnel.
Jean-Philippe Colliot a terminé le symposium en évoquant l’intérêt de la mesure de la longueur axiale dans le suivi des myopies. Sa présentation comportait 4 chapitres : la notion de risque, la prédiction, la levée du doute et la stratégie de traitement.
Notion de risque
Si l’évolution myopique se mesure par la réfraction, le port d’une correction optique dont la puissance augmente d’année en année comporte peu de danger en lui-même. Cependant, c’est la croissance anatomique du globe oculaire qui est délétère.
Les patients avec une morbidité oculaire liée à la myopie forte, classiquement au-delà de 6,00 D mais surtout au-delà de 26 mm en longueur axiale, ont un risque de 40% de cécité. Chaque quart de dioptrie augmente de 17% le risque d’une pathologie liée à la myopie. Pour chaque dioptrie gagnée, ce sont 40% de risque de maculopathie myopique en moins.
Prédiction
La mesure ultrasonore (US), avec sonde au contact de la cornée, a, jusque dans les années 2000, été la référence (échographie A).
L’apparition du premier biomètre non-contact (BNC) à lumière infrarouge a fait diminuer les écarts d’une mesure à l’autre d’un facteur 4 à 5.
Les résultats diffèrent légèrement (200 µm), car la mesure de la longueur axiale s’effectue entre le plan antérieur de la cornée et l’épithélium pigmentaire rétinien (pour les BNC), alors qu’en US, c’est la limitante interne qui est le plan postérieur de réflexion.
Aucun de ces appareils ne mesure la distance rétine-sclère, excluant donc la membrane de Bruch et la choroïde.
On peut mesurer l’épaisseur choroïdienne en OCT, mode Enhance Depht Incidence (EDI).
La mesure de l’épaisseur choroïdienne est manuelle, perpendiculaire au plan rétinien au niveau fovéolaire.
Lors des traitements freinateurs de la myopie, l’augmentation précoce de l’épaisseur de la choroïde sous-fovéolaire est un marqueur prédictif de l’efficacité de tout traitement freinateur. L’augmentation est de l’ordre de quelques dizaines de µm.
Si la distance cornée-sclère est stable, alors la turgescence choroïdienne fait diminuer la longueur axiale.
Levée du doute
Il arrive que, lors du contrôle d’un patient en orthokératologie, la réfraction semble avoir dérapé : par exemple une évolution de -0,75.
La comparaison avec l’évolution de la longueur axiale va faire la différence entre un artefact (problème de géométrie ou déformation de la lentille) et une réelle évolution myopique.
Stratégie de traitement
Une stratégie freinatrice est proposée, qui a suscité un débat avec la salle.
Recommandations :
- mesures d’hygiène visuelle (20%) : éloignement des appareils électroniques, diminution du temps passé à l’écran, désaccommodation régulière, 2 heures quotidiennes à la lumière du jour, lampes de luminothérapie…) ;
- pas de filtre anti-lumière bleue sur les lunettes ;
- pas de filtre UV sur les lentilles ;
- rééducation des hétérophories.
Systèmes freinateur disponibles (tableau)
Que proposer, dans quel ordre ?