Place des traitements systémiques au cours des uvéites chroniques non infectieuses

L’uvéite représente près de 10% des causes de cécités légales dans les pays industrialisés. Le pronostic visuel sévère est lié aux complications oculaires, ce qui justifie un diagnostic précoce et une prise en charge adaptée [1]. Le but de cette revue est de fournir au lecteur une mise à jour actualisée sur la prise en charge des uvéites non infectieuses, et notamment la place des traitements systémiques via une approche multidisciplinaire.

Le traitement systémique a pour but de contrôler l’inflammation oculaire afin d’éviter les séquelles irréversibles, de prévenir les récidives inflammatoires et de limiter l’utilisation de la corticothérapie systémique.
Si le traitement local est plutôt l’apanage des atteintes antérieures isolées, des formes unilatérales et, en cas de contre-indication, des traitements systémiques, ces derniers sont privilégiés, surtout au cours des atteintes sévères du segment postérieur, des atteintes bilatérales, en cas de pathologies sous-jacentes, et en cas de contre-indication ou d’échec du traitement local. Le traitement systémique peut se discuter aussi au cours de certaines uvéites antérieures sévères et compliquées (synéchie, glaucome, cataracte) ou secondaires à certaines pathologies telles la spondylarthrite ankylosante et l’arthrite juvénile idiopathique.

Corticothérapie systémique

La corticothérapie systémique constitue la première ligne de traitement des uvéites sévères compte tenu de son délai d’action rapide.
Une corticothérapie intraveineuse par des bolus de méthylprednisolone de 500 mg sur 3 jours successifs peut être nécessaire, surtout en présence de signes de gravité (atteinte maculaire et/ou papillaire avec une baisse d’acuité visuelle inférieure à 20/200, vascularites occlusives). Un bilan préthérapeutique comportant une numération formule sanguine (NFS), un bilan inflammatoire (C réactive protéine ou CRP), un ionogramme sanguin et une glycémie doit être réalisé avant l’administration du bolus. Un relais oral à la dose de 0,5 à 1 mg/kg/j d’équivalent de prednisone est par la suite maintenu pendant en moyenne 3 à 4 semaines, suivi d’une réduction progressive des doses selon l’évolution [2].

Immunosuppresseurs

Ils sont indiqués dans le cas d’une inflammation sévère ou persistante malgré une corticothérapie bien menée et dans le cas d’une corticodépendance. Ils doivent être instaurés d’emblée, en association avec la corticothérapie générale, dans le cas d’une uvéite postérieure au cours de la maladie de Behçet, compte tenu du pronostic visuel redoutable de la maladie. Cette stratégie reste valable aussi au cours de certaines uvéites ayant un mauvais pronostic visuel.
Dans le cas d’une corticorésistance (absence de réponse à une corticothérapie supérieure ou égale à 0,5 mg/kg/j), il faut toujours éliminer une infection, une pseudo-uvéite ou un défaut d’observance avant d’envisager une escalade thérapeutique.
Un bilan préthérapeutique doit être réalisé avant l’initiation d’un traitement immunosuppresseur.
Les principaux immunosuppresseurs utilisés sont le méthotrexate, le mycophénolate mofétil et l’azathioprine. Les effets secondaires sont souvent mineurs et transitoires. Plus rarement, une cytopénie ou une atteinte hépatique peut survenir, ce qui explique l’importance d’une surveillance biologique régulière.
Le méthotrexate (0,3 mg/kg/semaine) reste l’immunosuppresseur utilisé en première intention, comme traitement d’épargne cortisonique, au cours des uvéites sarcoïdosiques.
L’azathioprine (2 à 2,5 mg/kg/j) est prescrite préférentiellement dans les uvéites postérieures liées à la maladie de Behçet, sans menace à court terme du pronostic visuel.
Le mycophénolate mofétil (2 à 3 g/j) est utilisé dans les autres situations ou en cas d’échec au méthotrexate.
Bien que ces molécules permettent le plus souvent un contrôle parfait de la maladie, un échappement thérapeutique peut survenir dans près de 30% des cas [3].

Biothérapies

Les biothérapies ont permis une révolution thérapeutique pour les uvéites potentiellement cécitantes et elles sont de plus en plus utilisées pour traiter ces inflammations sévères ou réfractaires;

Anti-TNFα
Les anti-TNFα agissent rapidement sur l’inflammation, diminuant significativement le risque de rechute et de baisse d’acuité visuelle lors de la décroissance de la corticothérapie. L’infliximab et l’adalimumab ont un profil de tolérance et d’efficacité assez proche dans les uvéites non infectieuses réfractaires, avec un taux de réponse à 6 et 12 mois de 87 et 93%, respectivement [4].
L’adalimumab, anticorps monoclonal humanisé, dispose de l’AMM depuis 2017 pour le traitement des uvéites non infectieuses non antérieures en cas de corticodépendance ou de contre-indication aux corticostéroïdes chez les adultes, ou d’inefficacité ou de non-tolérance aux médicaments immunosuppresseurs conventionnels. Il l’a aussi dans les uvéites antérieures récidivantes liées à une spondylarthrite ankylosante axiale. Le schéma recommandé est de 80 mg, par voie sous-cutanée, en dose de charge la première semaine, puis de 40 mg tous les 15 jours en commençant une semaine après l’administration de la première dose. Chez l’enfant, l’AMM s’applique au traitement des uvéites liées à l’arthrite juvénile idiopathique en cas d’échec du méthotrexate. La posologie recommandée est de 40 mg toutes les 2 semaines pour les enfants pesant 30 kg et plus, et de 20 mg toutes les 2 semaines pour les enfants de moins de 30 kg [2].

L’infliximab, anticorps monoclonal chimérique, est recommandé comme traitement de première intention si l’uvéite menace la vision dans la maladie de Behçet. Il est prescrit à la dose de 5 à 6 mg/kg en perfusion intraveineuse à S0, S2, S6, puis toutes les 5 à 6 semaines. En cas d’échappement thérapeutique sous anti-TNFα il convient de doser le taux résiduel du médicament et de rechercher des anticorps dirigés contre le médicament (figure 1). 

Alternativement, d’autres molécules anti-TNFα peuvent être utilisées, surtout en présence d’une uvéite réfractaire, comme le golimumab ou le certolizumab. Contrairement aux anticorps monoclonaux, l’étanercept, récepteur soluble du TNF, n’a pas démontré d’efficacité dans les uvéites non infectieuses [5]. Les effets indésirables les plus fréquents des anti-TNFα incluent les infections dont la tuberculose, les réactivations virales, les réactions anaphylactoïdes, le développement de maladies auto-immunes et de pathologies démyélinisantes.

Anti-IL6

Le tocilizumab est un anticorps monoclonal humanisé dirigé contre les récepteurs de l’interleukine 6. Il est utilisé par voie intraveineuse à la dose de 8 mg/kg/4 semaines (10 mg/kg chez l’enfant de moins de 30 kg) ou sous-cutanée (162 mg/semaine). De façon remarquable, il permet une correction durable de l’œdème maculaire chez 80% des patients ayant un œdème maculaire réfractaire aux immunosuppresseurs conventionnels et aux anti-TNFα (figures 2 et 3) [6].

D’autres molécules, comme les anti-CD20, anti-IL1, anti-IL17 et les inhibiteurs de Janus kinases, peuvent être utilisées dans certaines formes réfractaires, au cas par cas après discussion pluridisciplinaire.
Chez un patient avec un traitement biologique, une diminution ou un arrêt du traitement ne doit être discuté, sauf cas exceptionnel, qu’après 2 ans au moins de rémission ophtalmologique dans le cadre d’une maladie de Behçet, et au moins 1 an dans les autres uvéites non infectieuses, avec une surveillance ophtalmologique prolongée.

Immunomodulateurs

L’interféron α-2a (Pegasys 135 à 180 µg/semaine en sous-cutané) peut être prescrit dans le traitement des uvéites, particulièrement en présence d’un œdème maculaire.

Conclusion

Le traitement des uvéites chroniques non infectieuses doit contrôler rapidement l’inflammation intraoculaire, prévenir les séquelles et permettre une épargne cortisonique. Les uvéites intermédiaires et/ou postérieures et panuvéites, notamment bilatérales, justifient un traitement par voie systémique. Les biothérapies sont recommandées en cas d’inefficacité ou de non-tolérance aux médicaments immunosuppresseurs conventionnels. Les agents anti-TNFα sont les plus utilisés. Devant un œdème maculaire bilatéral et réfractaire, un traitement par un anti-IL6 ou interféron α peut être utilisé.

Références bibliographiques
[1] Leclercq M, Desbois AC, Domont F et al. Biotherapies in uveitis. J Clin Med. 2020;9(11):3599.
[2] Quartier-Dit-Maire P, Saadoun D, Belot A et al. Protocole national de diagnostic et de soins sur les uvéites chroniques non infectieuses de l’enfant et de l’adulte. 2020.
[3] Gangaputra SS, Newcomb CW, Joffe MM et al. Comparison between methotrexate and mycophenolate mofetil monotherapy for the control of noninfectious ocular inflammatory diseases. Am J Ophthalmol. 2019;208:68-75.
[4] Vallet H, Sève P, Biard L et al. Infliximab versus adalimumab in the treatment of refractory inflammatory uveitis: a multicenter study from the french uveitis network. Arthritis Rheumatol. 2016;68(6):1522-30.
[5] Lie E, Lindström U, Zverkova-Sandström T et al. Tumour necrosis factor inhibitor treatment and occurrence of anterior uveitis in ankylosing spondylitis: results from the Swedish biologics register. Ann Rheum Dis. 2017;76(9):1515-21.
[6] Leclercq M, Le Besrenais M, Langlois V et al. Tocilizumab for the treatment of birdshot uveitis that failed interferon alpha and anti-tumor necrosis factor-alpha therapy: two cases report and literature review. Clin Rheumatol. 2018;37(3):849-53.

Auteurs

  • Amine Ghembaza

    Ophtalmologiste

    Département de médecine interne et immunologie clinique, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Sorbonne université, Paris

  • Adélaïde Toutée

    Ophtalmologiste

    Service d’ophtalmologie, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Sorbonne université, Paris

  • Stéphane Abramovitch

    Ophtalmologiste

    Service d’ophtalmologie, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Sorbonne université, Paris

  • David Saadoun

    Ophtalmologiste

    Département de médecine interne et immunologie clinique, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Sorbonne université, Paris

  • Pr Bahram Bodaghi

    Ophtalmologiste

    Service d’ophtalmologie de la Pitié-Salpêtrière, Paris

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