Origines de l’astigmatisme et son évolution avec l’âge

Un système optique est dit astigmate (a : privatif et stigma : point) lorsque l’image d’un point n’est pas ponctuelle. La focalisation d’un point objet ne se fait pas en un point unique sur la rétine mais sur une surface sous forme d’ellipse, de trait ou de disque. Il s’oppose ainsi au système stigmate, système optique idéal, où l’image d’un point de l’espace produit un point unique. L’amélioration de la qualité visuelle des astigmates est aujourd’hui un véritable défi, c’est pourquoi il est important de comprendre quelles sont ses origines et quelle est son évolution avec l’âge pour proposer le traitement le plus adéquat possible.
L’astigmatisme irrégulier
Il est le plus souvent acquis. Les étiologies les plus fréquemment retrouvées sont le kératocône, le traumatisme, l’abcès de cornée ou le ptérygion.
La puissance du rayon de courbure cornéen est variable d’un méridien donné à l’autre. Pour reconnaître un astigmatisme irrégulier, il est indispensable de disposer des techniques modernes d’exploration comme la vidéotopographie par disque de Placido, ou d’une topographie d’élévation par fente (l’Orbscan®), ou enfin de l’aberométrie. La correction optique se fait principalement par verres de contacts car elle échappe à toute modélisation.
L’astigmatisme régulier
L’astigmatisme régulier est le plus souvent congénital. Chez les sujets jeunes, il existe un astigmatisme physiologique de 0,50 à 0,75 D. Soixante-dix pourcent des patients qui consultent en ophtalmologie présentent un astigmatisme cornéen supérieur ou à égal à 0,50 D. Seuls 30 à 40% des patients présentent un cylindre cornéen supérieur ou égal à 1,00 D.
Sa correction par verres correcteurs, lentilles et chirurgie réfractive cornéenne ou cristallinienne est possible. Une bonne connaissance de sa valeur et de son axe est nécessaire.
L’astigmatisme de la cornée est lié à la déformation géométrique de celle-ci, encore appelée la toricité (figure 2). C’est la variation de courbure du méridien le plus cambré au méridien le plus plat.
Dans le cas d’un astigmatisme régulier, ces 2 méridiens principaux sont orthogonaux et la variation de courbure entre les méridiens est continue et régulière d’un méridien donné à son voisin immédiat. L’image sur la rétine d’un objet est alors représentée par 2 droites focales.
On distingue l’astigmatisme direct de l’astigmatisme inverse (ou contre la règle), ou oblique, en fonction de l’orientation des méridiens principaux de la cornée (figure 2). En fonction de la position des 2 droites focales par rapport à la rétine, on différencie encore 5 variétés d’astigmatisme (figure 3).
En pratique, si certains astigmates présentent des céphalées ou une vision floue, certains peuvent supporter un astigmatisme faible non corrigé.
Les astigmatismes non corrigés les mieux supportés sont ceux où la rétine est située spontanément, ou avec une très faible accommodation au niveau d’une focale, ou du cercle de moindre diffusion du conoïde de Sturm.
L’astigmatisme direct est mieux supporté que l’inverse ; l’astigmatisme myopique simple direct est généralement bien toléré s’il est faible. Un astigmate mixte peut emmener le cercle de moindre diffusion sur la rétine après une accommodation légère. Un astigmate hypermétrope simple ou composé peut emmener sa focale verticale sur la rétine.
Comment mesurer l’astigmatisme oculaire total ou l’astigmatisme réfractif ?
L’astigmatisme réfractif est la somme vectorielle des astigmatismes de la cornée antérieure et de l’astigmatisme interne lorsqu’il existe : cornée postérieure, cristallin et rétine. L’astigmatisme interne serait négligeable dans 49% des cas, inverse dans 44% et direct dans 7%.
En pratique courante, c’est l’auto-kérato-réfractomètre automatique qui a supplanté la skiascopie pour mesurer l’astigmatisme réfractif en l’absence de coopération du patient. Il permet, grâce à la kératométrie, de déterminer quelle est la part interne de l’astigmatisme et quelle est la part cornéenne antérieure (figure 4). Il mesure l’astigmatisme réfractif à 0,50 D près dans plus de 95% des cas, mais il prédit moins bien l’axe du cylindre. Si, aujourd’hui, il est facile de connaître la géométrie de la cornée antérieure grâce à l’émergence de nouvelles technologies, l’astigmatisme interne demeure encore difficile à appréhender car l’accès à la face postérieure de la cornée ainsi qu’à la face antérieure du cristallin reste difficile.
L’astigmatisme kératométrique, ou cornéen antérieur, représente la composante dominante de l’astigmatisme total, surtout si le cylindre est important, c’est-à-dire supérieur à 2,00 D [1]. La topographie spéculaire par disque de Placido, seule ou couplée à une topographie d’élévation Orbscan® est aujourd’hui indispensable à son analyse. Elle utilise les propriétés de la réflexion de la face antérieure liée au film lacrymal qui se comporte comme un miroir. Ainsi, des mires de taille connues sont projetées sur la cornée (représentant plus de 10 000 points), on en déduit la courbure de celle-ci et sa puissance réfractive. Ces données sont ensuite représentées via des cartes colorimétriques.
L’astigmatisme de la cornée postérieure est mieux appréhendé de nos jours grâce à la technique du ray tracing associée à la caméra Scheimpflug de l’OCT, ou grâce aux données issues de l’élévation de l’Orbscan®. Néanmoins, elle repose sur des données théoriques et non pas réelles – utilisation d’un indice de réfraction kératométrique standard de la cornée de 1,3375, hypothèse que le rapport entre les rayons de courbure antérieur et postérieur reste constant –, qui sont parfois imprécises pour des cornées irrégulières ou asymétriques.
La face postérieure de la cornée induirait un certain degré d’astigmatisme de plus ou moins 0,30 D ; dans 87% des cas il est inverse. Chez 5% des patients, il est supérieur à 0,50 D. Cet astigmatisme postérieur inverse est fortement lié à la valeur de l’astigmatisme direct de la face antérieure de la cornée. Il tend à le compenser et lui est donc inversement proportionnel [2,3].
L’évaluation de l’astigmatisme cristallinien est encore plus difficile car ce dioptre change lors de l’accommodation ou lors d’apparition d’une cataracte cortico-nucléaire. Il est habituel de penser que le cristallin présente une portion nasale plus antérieure que sa portion temporale, cela induit un petit tilt vertical. Il est responsable d’un astigmatisme contre la règle évaluée de 0,10 à 0,30 D.
Quelle est l’évolution de l’astigmatisme avec l’âge ?
L’astigmatisme, surtout s’il est important, est généré par la toricité de la cornée. Il est donc fixé à l’âge de 3 ans, contrairement aux amétropies sphériques. Celles-ci dépendent de la courbure de la cornée et de la longueur axiale et augmentent encore au cours de l’enfance et de l’adolescence.
Avec l’âge, la prévalence des axes « inverses » augmente au détriment des axes « directs », tandis que le degré d’énantiomorphisme des axes tend à diminuer.
Les forts astigmatismes et les axes inverses semblent plus stables dans le temps, aussi bien sur le plan des axes que de leur symétrie [1].
L’astigmatisme direct tend à devenir inverse chez les hommes dès l’âge de 50 ans, alors que ce changement semble apparaître plus tardivement chez les femmes, vers 70 ans [4].
Les propriétés optiques, et en particulier l’asphéricité du cristallin, varient avec l’accommodation et vraisemblablement avec la sénescence. Ainsi, l’apparition de la cataracte est souvent accompagnée d’une modification de la composante interne de l’astigmatisme.
De nombreuses études ont retrouvé des facteurs étiologiques associés à l’astigmatisme qui pourraient expliquer ces variations au cours de la vie.
Ainsi, la tension musculaire des paupières et des muscles extraoculaires, en particulier le droit interne, qui diminuent après 40 ans, pourraient être une des causes du changement de l’axe de l’astigmatisme. Il a aussi été retrouvé des changements d’astigmatisme après chirurgie de strabisme chez des enfants. Enfin, la comparaison des astigmatismes en fonction de l’origine ethnique des populations étudiées permet de corroborer cette hypothèse.
Le gène PDGFRA (récepteur A du facteur de croissance dérivé des plaquettes) sur le chromosome 4 en position q12 pourrait intervenir dans le développement oculaire, en particulier de l’astigmatisme cornéen. Ces résultats restent à confirmer car si on a mis en évidence une relation entre l’astigmatisme du père et de la mère avec celui de l’enfant, celle-ci n’est pas retrouvée chez les jumeaux monozygotes.
Enfin, il semblerait que des modifications de la forme de la cornée puissent être en relation avec des modifications de la physiologie de l’élasticité et de la rigidité de la cornée. Ces changements pourraient provenir d’une glycation des fibres de collagène et d’un épaississement de la membrane de Descemet.
Conclusion
Chez les patients candidats à une correction de l’astigmatisme, le fait de ne mesurer que la cornée antérieure et de négliger sa face postérieure pourrait entraîner une évaluation incorrecte de l’astigmatisme total. Pour pouvoir traiter au mieux l’astigmatisme réfractif, il est souhaitable de disposer d’instruments modernes capables de déterminer sa forme, sa régularité, sa valeur et son axe pour le corriger au plus juste.
Références bibliographiques
[1] Touzeau O, Gaujoux T, Bulle J et al. Relationships between refractive parameters: sphere, cylinder and axis. J Fr Ophtalmol. 2012;35(8): 587-98.
[2] Lu WL, Rocha de Lossada C, Rachwani-Anil R et al. The role of posterior corneal power in 21st century biometry: A review. J Fr Ophtalmol. 2021;44(7):1052-8.
[3] Koch DD, Ali SF, Weikert MP et al. Contribution of posterior corneal astigmatism to total corneal astigmatism. J Cataract Refract Surg 2012:38(12):2080-7.
[4] Ken Hayashi, Sato T, Sasaki H et al. Sex-related differences in corneal astigmatism and shape with age. J Cataract Refract Surg. 2018;44(9):1130-9.