Organiser sa consultation pour gérer le flux de patients atteints d’un dysfonctionnement des glandes de Meibomius
La sécheresse oculaire représente aujourd’hui la cause la plus fréquente de consultation ophtalmologique après la cataracte, le glaucome, la DMLA et le diabète. Elle touche de plus en plus de personnes (15 à 25% selon les études) et de plus en plus jeunes, ce qui nous fait penser que ce taux va augmenter dans les années à venir. Cela représente un véritable enjeu de santé publique. Il est donc indispensable d’organiser cette prise en charge pour éviter d’être débordés, voir boudés par nos patients pour ne pas nous y être intéressés. Cet article n’a pas la prétention de faire une synthèse de toute la littérature, ni de tous les moyens technologiques à notre disposition, mais d’aider ceux qui n’ont pas (encore) commencé à trouver la solution la plus adaptée pour gérer leur prise en charge du DGM dans leur cabinet. En effet, mal organisée, cette activité devient vite énergivore et chronophage.
Le rapport du Dry Eye Workshop (DEWS) définit la sécheresse oculaire comme une maladie chronique évolutive et multifactorielle. L’œil sec est une maladie multifactorielle des larmes et de la surface oculaire qui entraîne des symptômes d’inconfort, des perturbations visuelles et progressivement des lésions potentielles de la surface oculaire (figure 1). La sécheresse oculaire est rythmée par une augmentation de l’osmolarité des larmes et une inflammation de la surface oculaire. La sécheresse oculaire provient soit d’un déficit qualitatif secondaire à un dysfonctionnement des glandes de Meibomius (DGM) (sécheresse évaporative), soit d’un déficit quantitatif (sécheresse hyposécrétoire). On admet à présent que la sécheresse oculaire est due soit à un DGM pur (50%), soit à un déficit quantitatif (15%), soit à un déficit mixte (35%). Il est donc logique de s’intéresser au DGM puisqu’il intervient dans 85% des sécheresses oculaires. L’essentiel du diagnostic peut se faire en grande partie en consultation générale grâce à l’anamnèse et à l’examen à la lampe à fente.

En consultation générale
Évaluation des symptômes et des facteurs de risque
Des questionnaires types (OSD1, SPEED…) permettent aux patients d’apprécier leurs symptômes. Nous en avons développé un, le QCOS (Questionnaire consultation œil sec), qui permet en 20 questions d’estimer à la fois les symptômes du patient mais aussi ses facteurs de risque. Assisté par l’orthoptiste, le patient pourra également, à l’aide de ce QCOS, calculer un score sur 40 points.
Évaluation du déficit quantitatif
Test de Schirmer (5 minutes sans anesthésie).
Examen soigneux à la lampe à fente
Blépharite, télangiectasies, bouchons de meibum, Demodex, KPS…
Évaluation du déficit qualitatif
• Qualité du film lipidique : fluorescéine > évaluation du BUT.
• Évaluation du DGM : pression digitale du bord libre de la paupière inférieure ou utilisation du MGE (Meibomian Gland Evaluator).
Si le patient présente des symptômes de sécheresse et des facteurs de risque (QCOS > 10), des signes cliniques (Schirmer, BUT, KPS, blépharite, Demodex, télangiectasies…), un meibum anormal en quantité, consistance et couleur, on lui conseille de s’inscrire à une consultation œil sec appelée COS et on lui remet un livret dans lequel sont expliqués les symptômes, les causes, les examens diagnostiques, les soins de base et les soins spécifiques, avec un lien vers une vidéo développée par notre équipe. Ce livret et cette vidéo lui permettront de mieux comprendre le déroulement de sa future consultation, dédiée uniquement au bilan de sa sécheresse.
En consultation œil sec n° 1 (COS 1)
Le patient est pris en charge par un membre du personnel paramédical qu’on a appelé hygiéniste palpébral. Celui-ci réalise pour chaque patient :
- une meibographie LipiView en mode infrarouge (détermination du stade d’atrophie des glandes de Meibomius [AGM]) (figure 2) ; et en mode transillumination (quantification des télangiectasies et du degré d’inflammation) ;
- le calcul de l’épaisseur de la couche lipidique (ECL) par interférométrie ;
- une meibographie IDRA : ECL, NIBUT, AGM, hauteur du ménisque lacrymal ;
- un OCT épithélial (CIRRUS) : recherche d’une atrophie épithéliale ;
- un test de Schirmer (s’il n’a pas été réalisé lors de la consultation générale) ;
- une expression des glandes de Meibomius des paupières inférieures = meibo-expression à la pince plate afin de déterminer leur degré d’obstruction.
L’hygiéniste palpébral contacte ensuite l’ophtalmologiste qui analyse tous les examens et qui définit le traitement à adopter.
Dans le cas d’une atteinte modérée et de symptômes mineurs, l’hygiéniste palpébral apprend au patient les soins de base afin qu’il puisse les reproduire journalièrement chez lui :
- masque chauffant (micro-onde 15 secondes) : application pendant 10 minutes (figure 3) ;
- massage digital des bords libres des 4 paupières ;
- nettoyage des bords libres ;
- éducation du clignement : 10 clignements serrés de 3 secondes/heure d’écran ;
- instillation des larmes : différentes marques en fonction du type d’atteinte ;
- prise journalière d’oméga-3.

Si l’atteinte est avancée et/ou si les symptômes sont importants, l’hygiéniste palpébral montre au patient les soins de base et ils reprennent rendez-vous pour que le patient puisse bénéficier d’un ou de plusieurs des soins spécifiques suivants (figure 4) :
- 3 ou 4 séances d’IPL (20 flashs OptiClear ALMA ou 5 flashs E-EYE) en fonction de la sévérité ;
- 1 séance de LPF (LipiFlow) ; -
3 séances d’IPL + 1 séance de LPF ;
- 2 ou 4 bouchons seuls ou associés aux IPL et/ou LPF.
En consultation œil sec n° 2 (COS 2)
Ces consultations ne sont destinées qu’aux patients que les soins déjà proposés ne soulagent pas suffisamment. Il faut constater que leur nombre est peu important.
Au cours d’une journée de consultation COS, l’hygiéniste palpébral gère sous la supervision de son ophtalmologiste à la fois des COS 1 (30 minutes), des IPL (20 minutes), des LPF (20 minutes), des COS 2 (20 minutes), des IPL annuels (une fois par an).
À chaque séance, l’hygiéniste veille à redonner toutes les explications et réalise la meibo-expression dès la fin de la séance d’IPL.
Investissements pour démarrer cette activité
Comme signalé, une grande partie du diagnostic peut se faire en consultation générale avec un examen soigneux à la lampe à fente. Ce dysfonctionnement des glandes de Meibomius doit cependant être objectivé et imagé, surtout si l’on veut proposer des soins spécifiques.
On peut commencer cette activité en investissant de manière raisonnée dans des pinces plates de meibo-expression, un meibographe et un appareil de lumière pulsée que l’on peut combiner ainsi :
- meibographe IDRA + appareil IPL E-EYE + pinces plates : ± 40 000 € (prévoir le coût des lampes > quote-part patient 25 €/séance) ;
- meibographe LipiView + appareil IPL OptiClear ALMA + pinces : ± 60 000 € ;
- meibographe LipiView + appareil OptiClear ALMA + LipiFlow + pinces : ± 80 000 € (prévoir le coût des coques à charge du patient).
Importance de cette activité dans notre clinique
Dans notre clinique (17 ophtalmologistes, 67 000 consultations/an), nous avons lancé notre département COS en juin 2019. Nous avons commencé avec une journée de consultation par semaine. À ce jour, notre hygiéniste palpébral a besoin de 3 journées complètes (entre 16 et 20 patients/jour) par semaine pour faire face à cette demande.
Fin 2022, soit 3 ans et demi après le lancement de ce département, notre équipe a vu 222 620 patients. Parmi eux, 2 190 (soit à peine 1%) ont eu un bilan sécheresse COS 1. Ces 2 190 patients bilantés ont généré 5 825 consultations sécheresse et séances de soins spécifiques (COS1-IPL-LPF-bouchons-IPL annuels), soit 2,6% de l’ensemble de l’activité de la clinique.
Sur les 2 190 patients bilantés en COS 1 :
- 968 ont eu une première séance d’IPL, 776 une deuxième séance et 688 une troisième séance ; nous avons constaté une petite perte de compliance ;
- 46 ont reçu une quatrième séance d’IPL et 166 ont souhaité une nouvelle séance annuelle d’IPL ;
- 320 ont eu une séance de LPF ;
- 39 patients ont reçu des bouchons clous.
En conclusion, sur les 2 190 patients bilantés, 1 327 ont bénéficié de soins spécifiques (IPL-LPF-bouchons), soit 60% des patients adressés en COS1 (dans la proportion suivante : IPL 73%, LPF 24%, bouchons 3%).