Œdème maculaire diabétique : pourquoi le patient ne récupère-t-il pas toujours ?
L’œdème maculaire diabétique ne se résume pas seulement à l’accumulation de fluide et d’exsudats dans la rétine ; il est aussi associé à une perte capillaire centrale et à une dégénérescence neurogliale, le tout s’inscrivant dans un contexte inflammatoire. Cette maculopathie plurifactorielle, d’évolution lente et asymptomatique, peut parfois être diagnostiquée tardivement, et le retard thérapeutique, malgré l’assèchement rétinien souvent obtenu par les injections intravitréennes, explique que la récupération visuelle puisse être limitée.
La baisse visuelle dans l’œdème maculaire diabétique (OMD) est multifactorielle : elle provient, d’une part, du fait que la maladie reste longtemps asymptomatique, avec une baisse visuelle progressive amenant à un retard diagnostique et thérapeutique ; d’autre part, elle s’associe à des altérations vasculaires et neurogliales liées à la rupture chronique de la barrière hématorétinienne.
Retard au diagnostic et au traitement
La baisse d’acuité visuelle est lente au cours de l’OMD. En effet, dans l’Early Treatment Diabetic Retinopathy Study (1985-87), seuls 24% yeux présentaient une perte de 3 lignes après 3 ans de suivi. Plus récemment, le protocole V a montré que seuls 19% des patients avec une acuité visuelle supérieure à 8/10 liée à un OMD atteignant le centre présentaient une baisse visuelle de plus de 5 lettres après 2 ans de suivi [1].
De ce fait, cette maladie est méconnue par les patients, ce qui induit un retard au diagnostic, avec, pour corollaire, un retard au traitement. Les études pivotales ont montré que les patients ayant un traitement différé récupèrent moins sur le plan visuel que ceux ayant bénéficié d’un traitement plus précoce [2].
Sous-traitement en vraie vie
Le sous-traitement en vraie vie donne des résultats sous-optimaux par rapport aux études pivotales. Le suivi des patients diabétiques, du fait de certaines comorbidités, implique parfois des difficultés de compliance. On recense en effet 25% de patients perdus de vue après 4 ans de suivi, lors de l’instauration d’un traitement par injections intravitréennes (IVT). La vraie vie est donc souvent synonyme de sous-traitement, générant des résultats visuels parfois sous-optimaux [3]. Les principaux facteurs associés à une récupération visuelle moindre sont l’HbA1c élevée et l’association à une rétinopathie diabétique proliférante en périphérie, qui témoigne indirectement du degré de non-perfusion maculaire (figure 1) [4].
Altérations des cellules neuronales et gliales
La rétinopathie diabétique (RD) n’est pas une maladie microvasculaire pure. Il faut en fait la considérer en partie comme une neuropathie compliquant le diabète. Il semble en effet exister une altération précoce des cellules rétiniennes (gliales et neuronales), car des perturbations de l’électrorétinogramme liées à l’apoptose des cellules ganglionnaires ont été remarquées chez des patients diabétiques, même en l’absence de rétinopathie décelable au fond d’œil [5].
Altérations de la rétine interne
On constate, chez les patients diabétiques, une perte accrue des fibres optiques péripapillaires (RNFL) 3 fois plus importante que chez les patients sains, et ce, même en l’absence de RD, c’est-à-dire autant que chez un œil glaucomateux [6]. On ne sait pas très bien quel phénomène survient en premier lieu (la dégénérescence vasculaire ou neurogliale), mais il existe bien une défaillance du couplage neurovasculaire amenant à l’accumulation de fluide intrarétinien via la rupture de la barrière hématorétinienne.
Il a été observé que les logettes d’œdème intrarétinien colocalisaient avec les zones de raréfaction capillaire [7], faisant suspecter que l’OM se développe dans des zones ischémiques, qui pourraient affecter la vision. De même, après résolution de l’OM, on constate un amincissement des couches rétiniennes internes, expliquant le fait que la vision ne soit pas optimale [8]. Ainsi, l’accumulation chronique de liquide semble altérer l’homéostasie rétinienne, à l’origine de dommages tissulaires irréversibles car touchant la chaîne de transmission neuronale. Les DRIL (Disorganization of Retinal Inner Layers) sont un bon témoin de ces altérations tissulaires au niveau de la rétine interne (sévérité de l’atteinte rétinienne interne), et constituent un biomarqueur prédictif de l’acuité visuelle [6].
Altération de la rétine externe
La dégénérescence des photorécepteurs explique également le faible niveau de récupération visuelle après assèchement rétinien (figure 2).
Anomalies vasculaires
La diminution de la densité capillaire dans la région centrale, à l’origine d’une ischémie maculaire, explique également la baisse de la fonction visuelle et l’absence de récupération après la résolution de l’OMD. Nous avons notamment montré que le niveau d’acuité visuelle était corrélé à la densité capillaire dans le plexus profond chez des jeunes sujets diabétiques de type 1 déséquilibrés [9].
Certaines anomalies, comme les télangiectasies capillaires (TelCaps), correspondant à de volumineux anévrysmes capillaires dilatés, sont retrouvés chez près de 30% des patients diabétiques, notamment en présence d’exsudats rétiniens au pôle postérieur (figure 3). Ces dernières ne sont malheureusement pas toujours diagnostiquées, car elles sont difficiles à visualiser au fond d’œil. C’est l’angiographie au vert d’indocyanine qui permet de bien les identifier. Or, l’accumulation d’exsudats centraux est délétère pour la rétine. La photocoagulation ciblée au laser est très efficace pour traiter ces anomalies et permet souvent de limiter le nombre d’injections intravitréennes. Il est donc important, devant un OM résistant aux IVT, de rechercher ces anomalies.
Par ailleurs, même si les IVT amènent à une normalisation de l’épaisseur rétinienne, il persiste parfois une rupture de la barrière hématorétinienne, visible uniquement en angiographie à la fluorescéine, pouvant être source d’une altération visuelle (figure 4).
Enfin, il existe également fréquemment des anomalies de l’interface vitréomaculaire (épaississement hyaloïdien postérieur, membranes épirétiniennes) qui participent à la baisse visuelle et nécessitent un recours à la chirurgie.
Références bibliographiques
[1] Baker CW, Glassman AR, Beaulieu WT et al. Effect of initial management with aflibercept vs laser photocoagulation vs observation on vision loss among patients with diabetic macular edema involving the center of the macula and good visual acuity: a randomized clinical trial. JAMA. 2019;321(19):1880-94.
[2] Brown DM, Nguyen QD, Marcus DM et al. Long-term outcomes of ranibizumab therapy for diabetic macular edema: the 36-month results from two phase III trials: RISE and RIDE. Ophthalmology. 2013;120(10):2013-22.
[3] Massin P, Creuzot-Garcher C, Kodjikian L et al. Real-world outcomes with ranibizumab 0.5 mg in patients with visual impairment due to diabetic macular edema: 12-month results from the 36-month BOREAL-DME study. Ophthalmic Res. 2019;62(2):101-10.
[4] Agemy SA, Scripsema NK, Shah CM et al. Retinal vascular perfusion density mapping using optical coherence tomography angiography in normals and diabetic retinopathy patients. Retina. 2015;35(11):2353-63.
[5] Gardner TW, Antonetti DA, Barber AJ et al. Diabetic retinopathy: more than meets the eye. Surv Ophthalmol. 2002;47 Suppl 2:S253-62.
[6] Sun JK, Radwan S, Soliman AZ et al. Neural retinal disorganization as a robust marker of visual acuity in current and resolved diabetic macular edema. Diabetes. 2015;64(7):2560-70.
[7] Mané V, Dupas B, Gaudric A et al. Correlation between cystoid spaces in chronic diabetic macular edema and capillary nonperfusion detected by optical coherence tomography angiography. Retina. 2016;36 Suppl 1:S102-S110.
[8] Bonnin S, Tadayoni R, Erginay A et al. Correlation between ganglion cell layer thinning and poor visual function after resolution of diabetic macular edema. Invest Ophthalmol Vis Sci. 2015;56(2):978-82.
[9] Dupas B, Minvielle W, Bonnin S et al. Association between vessel density and visual acuity in patients with diabetic retinopathy and poorly controlled type 1 diabetes. JAMA Ophthalmol. 2018;136(7):721-8.