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Œdème maculaire dans l’uvéite : un signe de gravité ?

Les uvéites sont des inflammations intraoculaires correspondant à un groupe très hétérogène d’étiologies différentes. Elles représentent 10% des causes de cécité légale dans les pays développés et entraînent une morbidité importante, notamment dans une population en âge de travailler. L’œdème maculaire chez les pateints atteints d'uvéite (OMU) est une complication fréquente des uvéites (30%) et il est le plus souvent bilatéral. Il est la principale cause de baisse visuelle au cours de ces affections inflammatoires ou infectieuses.

Épidémiologie et physiopathologie

La prévalence des uvéites est de 58 à 115/100 000 habitants. L’âge moyen des patients est de 46 ± 21,4 ans. Chez les enfants, l’OMU représente la troisième cause de baisse visuelle [1] et sa prévalence augmente en fonction de la chronicité de l’inflammation : il est présent dans 17% des cas à 1 an et 35% à 5 ans [2].
L’OM inflammatoire peut compliquer tous les types d’uvéites mais il survient plus fréquemment dans les atteintes intermédiaires (25 à 70%), postérieures (19 à 34%) ou panuvéites (18 à 66%). Il est moins fréquent au cours des uvéites antérieures. Il se développe dans certaines uvéites antérieures non granulomateuses associées au HLA-B27 (17,5%), surtout lorsqu’elles sont correctement traitées. L’OMU se développe aussi dans les uvéites antérieures de l’enfant associées à l’arthrite juvénile idiopathique (60%) et devient un critère de sévérité supplémentaire.
Dans les uvéites non infectieuses, la complication la plus fréquente est l’OMU (30%), suivi par la membrane épirétinienne (6,3%) et le glaucome (4,2%).
Les médiateurs pro-inflammatoires (telles les cytokines IL-1,2,6, TNF alpha) jouent un rôle majeur dans le développement de l’OMU. Ils modifient l’intégrité de la barrière hématorétinienne interne et/ou externe, ainsi que la fonction de pompe de l’épithélium pigmentaire et la perméabilité vasculaire rétinienne, entraînant un épaississement rétinien maculaire.
L’OMU est plus souvent la conséquence d’une inflammation chronique que d’une inflammation aiguë. Il peut persister même si l’affection générale est contrôlée. Dans les uvéites antérieures aiguës, un OMU peut survenir lorsque l’inflammation antérieure est très importante, par propagation au segment postérieur de l’œil : on parle alors d’œdème maculaire de contiguïté. En phase aiguë, le contrôle de l’inflammation est primordial. La chronicité implique des altérations structurelles et donc une susceptibilité accrue aux phénomènes tractionnels et aux effets d’une ischémie parafovéolaire, avec des séquelles sévères définitives.

Traitement

L’OMU a un impact sur la qualité de vie, à la fois par la baisse visuelle associée, la nécessité de consultations spécialisées rapprochées et le traitement qu’il requiert. Il représente un facteur décisionnel majeur dans le choix thérapeutique des uvéites. Un traitement efficace de l’OMU est primordial pour éviter les dommages visuels irréversibles mais il peut s’avérer difficile en raison de sa nature récidivante et de sa tendance à persister – malgré un bon contrôle de l’inflammation intraoculaire. Le traitement dépendra de l’étiologie de l’uvéite, la sévérité de l’OMU, la localisation uni- ou bilatérale, l’ancienneté, les précédentes réponses thérapeutiques et les antécédents du patient [3].
Les corticoïdes demeurent la pierre angulaire du traitement. Lorsque l’OMU est associé à une uvéite antérieure, un corticostéroïde topique est utilisé en première intention, à fortes doses puis en décroissance progressive même si cette stratégie peut s’avérer insuffisante dans un nombre non négligeable de cas. Un traitement locorégional par injection sous-ténonienne de triamcinolone ou intravitréenne d’un implant de dexaméthasone peut être utilisé suivant l’étiologie et le degré d’inflammation si l’uvéite est unilatérale. L’administration locale de stéroïdes présente un risque de complications comme la cataracte ou le glaucome, avec rarement la nécessité de recourir à une chirurgie filtrante. Devant des inflammations plus importantes ou un OMU bilatéral, les corticoïdes sont utilisés par voie orale, voire intraveineuse en dose de charge. Ils ont des effets secondaires comme le diabète, l’ostéoporose et l’hypertension artérielle. Devant ces effets indésirables et la nature parfois récalcitrante de l’OMU, des traitements immunomodulateurs ou des agents biologiques sont de plus en plus populaires et sont utilisés en deuxième intention. Ils renforcent l’efficacité et permettent l’arrêt ou la diminution des corticoïdes aux doses minimales efficaces. Ces traitements sont prescrits par les médecins internistes qui surveillent en particulier les risques d’insuffisance rénale ou hépatique ou l’exacerbation des maladies infectieuses et auto-immunes iatrogènes [4]

Pronostic visuel

L’OMU est un facteur de risque important de baisse visuelle sévère [3]. L’épaississement de la fovéa neurosensorielle a eu un impact majeur à la fois sur l’acuité visuelle, la sensibilité rétinienne [5] et la sensibilité globale du champ visuel [6]. Les patients se plaignent de la perte de vision centrale vécue comme un scotome central relatif affectant la vision de près et de loin, de métamorphopsies, de l’absence de stéréopsie, ou de troubles de la vision des couleurs.
Lorsque l’œdème maculaire est de durée limitée, les symptômes sont réversibles. L’OMU chronique peut laisser des cicatrices car il induit des lésions neurales et gliales rétiniennes irréversibles persistant même après la résolution de l’œdème. Les lésions définitives des photorécepteurs se manifestent sur l’OCT par l’amincissement de la couche nucléaire externe, l’atrophie des segments externes des photorécepteurs et l’altération de la zone ellipsoïde. Les altérations de la zone ellipsoïde ont été corrélées avec le degré de dysfonctionnement visuel dans l’OM des uvéites postérieures, ou dans celui lié au diabète ou aux occlusions de la veine centrale de la rétine [7].
L’OMU chronique entraîne une baisse visuelle permanente chez 30% des patients. Parmi ceux ayant un OMU, 44% présentent une acuité visuelle inférieure à 20/60 sur au moins un œil. L’acuité visuelle moyenne est inférieure pour les patients atteints d’une uvéite avec un OMU que pour ceux sans OMU (0,25 vs 0,4 ; p = 0,003) [8].
Les facteurs de risque de baisse visuelle lors d’une uvéite sont les uvéites non antérieures, la hyalite, le décollement de rétine, les atteintes maculaires et les neuropathies optiques. La cause la plus fréquente de baisse visuelle modérée est l’OMU (3,55%), et celle responsable de baisse visuelle sévère est la cicatrice maculaire (4%).
Les principaux facteurs de risque d’OM chez un patient avec une uvéite sont le caractère chronique de l’uvéite, son étiologie, l’importance de l’activité inflammatoire, l’uvéite intermédiaire ou postérieure, la présence d’une membrane épirétinienne associée, l’âge et le tabagisme (tableau).
Le pronostic visuel dépend de l’étiologie de l’uvéite, de la sévérité de l’inflammation oculaire et de l’activité de la maladie systémique potentielle associée. Un OMU secondaire à une maladie de Behçet ou à une rétinochoroïdopathie de type Birdshot est de plus mauvais pronostic qu’un OM sur sarcoïdose ou une uvéite rhumatismale.
Le pronostic des OMU des uvéites pédiatriques s’est considérablement amélioré au cours des dernières décennies malgré leur chronicité, et la cécité légale a diminué de plus de 50% grâce à un contrôle strict de l’inflammation. Cela souligne l’importance et la nécessité d’un traitement agressif.

Conclusion

L’œdème maculaire est une complication fréquente des uvéites avec un risque de baisse visuelle parfois irréversible. C’est un signe de sévérité devant attirer l’attention de l’ophtalmologiste. Le traitement doit être approprié pour diminuer efficacement l’inflammation et faciliter la résolution de l’œdème afin d’éviter sa chronicisation et les séquelles visuelles définitives.

Références bibliographiques
[1] Koronis S, Stavrakas P, Balidis M et al. Update in treatment of uveitic macular edema. Drug Des Devel Ther. 2019;13:667-80.
[2] Smith JA, Mackensen F, Sen HN et al. Epidemiology and course of disease in childhood uveitis. Ophthalmology. 2009;116(8):1544-51.
[3] Tallouzi MO, Moore DJ, Barry RJ et al. The effectiveness of pharmacological agents for the treatment of uveitic macular edema (UMO): a systematic review. Ocul Immunol Inflamm. 2019;27(4):658-80.
[4] Fardeau C, Champion E, Massamba N, LeHoang P. Uveitic macular edema. Eye (Lond). 2016;30(10):1277-92.
[5] Munk MR, Kiss CG, Huf W et al. Visual acuity and microperimetric mapping of lesion area in eyes with inflammatory cystoid macular oedema. Acta Ophthalmol. 2014;92(4):332-8.
[6] Taylor SR, Lightman SL, Sugar EA et al. The impact of macular edema on visual function in intermediate, posterior, and panuveitis. Ocul Immunol Inflamm. 2012;20(3):171-81.
[7] Daruich A, Matet A, Moulin A et al. Mechanisms of macular edema: beyond the surface. Prog Retin Eye Res. 2018;63:20-68.
[8] Lardenoye CW, van Kooij B, Rothova A. Impact of macular edema on visual acuity in uveitis. Ophthalmology. 2006;113(8):1446-9.

Auteurs

  • Adélaïde Toutée

    Ophtalmologiste

    Service d’ophtalmologie, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Sorbonne université, Paris

  • Pr Bahram Bodaghi

    Ophtalmologiste

    Service d’ophtalmologie de la Pitié-Salpêtrière, Paris

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