OCT : l’intelligence de l’épithélium
Les récentes évolutions de l’imagerie cornéenne par OCT ont permis d’individualiser l’épithélium cornéen et de générer une cartographie pachymétrique de son épaisseur, mettant en perspective ses capacités de compensation et de remodelage en fonction des différents troubles de la surface oculaire et des modifications du stroma cornéen. La carto graphie épithéliale cornéenne suscite de plus en plus d’intérêt en pratique clinique et nous allons évoquer les principales conditions des remaniements de l’épithélium cornéen observés à l’aide de la cartographie épithéliale en OCT.
OCT et mapping épithélial : aspects techniques
Les récentes évolutions de l’OCT, notamment en matière de résolution axiale, nous permettent grâce à des outils de segmentation de pouvoir isoler la couche de l’épithélium cornéen en détectant automatiquement le film lacrymal en avant, et l’interface basale épithéliale-couche de Bowman en arrière (figure 1). Ainsi, à partir de la même acquisition radiaire que la pachymétrie cornéenne totale, il est possible de générer simultanément une cartographie de l’épithélium cornéen. Les dernières améliorations de la segmentation épithéliale nous ont permis de passer respectivement d’une cartographie épithéliale de 6 à 9 mm de diamètre, voire 10 mm pour certains systèmes OCT. La difficulté à obtenir une cartographie plus large résidait essentiellement dans la capacité à pouvoir segmenter de manière efficace la périphérie cornéenne, là où la rétrodiffusion du signal est plus atténuée en raison d’une perte de la perpendicularité du signal. Ensuite, à l’instar du mode « AutoScale » de la topographie cornéenne et des faibles variations d’épaisseur de l’épithélium cornéen, il convient d’adapter le pas de l’échelle avec un mode norma lisé qui passe respectivement de 5 à 2 microns, soulignant les plus fines modifications de l’épithélium. Ces récentes évolutions ont permis une meilleure diffusion de cette imagerie en pratique clinique grâce à une meilleure corrélation avec l’examen biomicroscopique et la topographie cornéenne. Il est raisonnable de penser que plus la cartographie épithéliale est large, plus elle est contributive en clinique (figure 2).
Il existe à ce jour 6 systèmes commercialisés proposant des cartes épithéliales :
- l’OCT XR AVANTI (Optovue, Fremont, États-Unis) ;
- l’OCT Solix (Optovue, Fremont, États-Unis) ;
- l’iVue 80 (Optovue, Fremont, États-Unis) ;
- Xephilio A1 (Canon, Japon) ;
- Cirrus HD 6000 (Zeiss Meditec, Dublin, Irlande) ;
- MS 39 (CSO, Florence, Italie).
On notera que tous ces systèmes utilisent la technologie Spectral Domain, preuve que la qualité de la résolution axiale optique favorise la qualité de la segmentation. L’épaisseur épithéliale moyenne selon Li et Huang [1] serait chez un sujet sain de 52 ± 3,6 µm au centre, 49 ± 3,5 µm en supérieur et 51 ± 3,4 µm en inférieur, ce qui corrobore les travaux menés avec l’Artémis. Une étude menée par Kanellopoulos [2] a montré une certaine précision des mesures OCT de l’épithélium cornéen avec une répétabilité des mesures de 1 µm et avec une variabilité de l’épaisseur topographique de l’ordre de 0,25 µm. Cette précision est importante à rappeler quand on connaît les faibles variations observées, de quelques microns, dans les modifications de l’épithélium cornéen.
Remodelage épithélial et sécheresse oculaire
La pachymétrie épithéliale varie en fonction de l’état de la surface oculaire [3]. Le remodelage de l’épithélium cornéen ainsi que sa capacité compensatrice pour conserver un équilibre biomécanique de la cornée sont connus et son rôle est important pour le maintien d’une qualité optique élevée. La pachymétrie épithéliale met en évidence, au stade débutant de la sécheresse oculaire, une hyperplasie de l’épithélium cornéen avec une prédominance en inférieur de l’apex cornéen. Le niveau d’hyperplasie semble également être étroitement lié au niveau de dysfonctionnement meibomien et il est ainsi fréquent de retrouver une hyperplasie plus prononcée sur l’œil présentant le dysfonctionnement meibomien le plus important. La zone hyperplasique de l’épithélium corres pond souvent à la localisation cornéenne où sont observés les premiers signes de rupture du film lacrymal lors de l’examen du break up time. Cette hyperplasie peut être retrouvée dans d’autres localisations cornéennes en fonction de la chronicité de la sécheresse oculaire (figure 3). Cette hyperplasie épithéliale semble être réactionnelle aux microlésions induites, que ce soit en raison d’un stress hyperosmolaire ou de l’effet microabrasif du clignement pour le maintien de la surface oculaire dans les atteintes de sécheresse modérée. Les mécanismes ne sont pas encore complètement élucidés mais l’hypothèse la plus plausible serait que la sécheresse oculaire pourrait être à l’origine d’une inflammation neurogène ou non, et que l’augmentation de cytokines pro-inflammatoires serait impliquée dans la prolifération cellulaire et la kératinisation [4,5]. La régression de l’hyperplasie épithéliale met en évidence le fait que ces modifications sont bien en rapport avec des troubles de la surface oculaire. D’autre part, cette corrélation entre les zones d’hyperplasie de l’épithélium cornéen et la zone des premiers signes de rupture du film lacrymal suggère un mécanisme d’autorégulation entre l’épithélium cornéen et le film lacrymal pour garantir une certaine qualité optique (figure 4). L’hyperplasie de l’épithélium cornéen observée sur les topographies épithéliales en OCT dans la sécheresse oculaire pourrait être compensatoire au début de la maladie ; ensuite, une dégradation trophique s’installerait au cours de la phase chronique de la maladie, comme en témoignent les amincissements épithéliaux observés. En effet, une diminution des larmes va par la suite induire une augmentation de la fréquence de clignement et conduire à un frottement mécanique plus accru, et ainsi à un amincissement plus marqué en supérieur de l’apex. Dans les stades plus sévères, on observe un amincissement épithélial global plus marqué et diffus [6] . En effet, il a été démontré que l’apoptose excessive ou la destruction mécanique de l’épithélium cornéen, si elles ne sont pas compensées par un renouvellement rapide, pouvaient conduire à un amincis sement global de l’épithélium cornéen dans les cas de sécheresse oculaire sévère.
Remodelage épithélial et chirurgie réfractive
La corrélation entre la topographie cornéenne et l’épi-mapping met en évidence le fait que les modifications épithéliales induisent des changements de la courbure cornéenne, avec une atténuation de la kératométrie dans les zones où il existe une hyperplasie épithéliale (figure 5) [7]. L’épaississement épithélial au niveau de la zone optique ablatée est un phénomène naturel et systématique, anticipé par les nomogrammes de photoablation qui prennent en compte celui-ci mais dont l’excès peut aussi être à l’origine de régression. L’épithélium se modifie en regard des modifications stromales non seulement dans la chirurgie ablative telle que la PKR, le Lasik ou le Smile, mais également en regard de modifications de la courbure induites par les incisions cornéennes relaxantes ou les kératotomies radiaires. L’aspect de la compensation épithéliale après une chirurgie cornéenne peut être majoré par des troubles de la surface oculaire – comme dans le cas de la figure 6 témoignant d’une nette diminution de l’hyperplasie après le traitement de la blépharite et de sa sécheresse oculaire – et par un retour à l’emmétropie. Cette réponse au traitement soulève des interrogations quant au rôle des troubles de la surface oculaire dans la compen sation épithéliale réactionnelle, et donc de son influence sur la régression réfractive. En association avec le B-scan et l’OCT en face, l’OCT épithéliale permet une analyse multimodale des complications de la chirurgie réfractive cornéenne.
Remodelage épithélial et kératocône
La cartographie épithéliale contribue également au dépistage du kératocône fruste. En effet, on observe un amincissement de l’épithélium au sommet du cône, souvent associé à une hyperplasie de l’épithélium cornéen prenant un aspect « Donuts » tel que décrit par Reinstein [8]. L’analyse de la cartographie épithéliale est indissociable de la cartographie de l’épaisseur stromale pour s’affran chir de l’effet masque de l’épithélium, qui peut également induire des faux positifs sur la topographie cornéennne. L’approche analytique des cartes épithéliales est multimodale et en association avec l’examen clinique. La cartographie épithéliale nous permet également de suivre les modifications de l’épithélium au cours du suivi (figure 7). Parfois, il nous arrive d’observer une amélioration du profil épithélial et de la topographie cornéenne après l’arrêt des frottements, dont on connaît désormais le degré d’implication dans la physiopathologie du kératocône. Les anneaux intracornéens font partie de l’arsenal thérapeutique dans la prise en charge du kératocône, avec pour objet de modifier le profil kératométrique. En comparaison de ces modifications de courbure, l’épithélium réagit avec des aspects d’hyperplasie en regard des segments d’anneaux intracornéens, et même parfois en regard du site d’incision du tunnel. Le cross-linking (CXL) entraîne un remodelage épithélial. Un amincissement de l’épithélium périphérique et une diminution de l’épithélium cornéen sont notés 1 et 3 mois après le CXL [9]. Les améliorations de l’acuité visuelle après un CXL peuvent, dans une certaine mesure, être attribuées au remodelage épithélial résultant en une surface cornéenne antérieure plus lisse.

Remodelage épithélial et orthokératologie
L’orthokératologie représente une alternative séduisante pour son effet freinatoire de la myopie, avec des modifications biomécaniques de la cornée induisant un amincissement de l’épithélium cornéen central à l’origine de l’aplatissement de la courbure cornéenne centrale et un épaississement épithélial paracentral correspondant à la zone de dégagement de la lentille [10]. Le mapping épithélial jouera un rôle également au niveau du bilan initial pour l’éligibilité à cette adaptation, notamment chez les enfants présentant des antécédents allergiques, avec des papilles tarsales qui participent au dysfonctionnement meibomien et pouvant induire des hyperplasies réactionnelles mais cliniquement non détectées. Le contrôle du centrage de l’amincissement de l’épithélium pourra être un facteur de surveillance du bon positionnement nocturne de la lentille. L’effet de l’orthokératologie qui s’estompe en fin de journée pourrait induire une blépharite « accommodative » à l’origine de modifications épithéliales en rapport avec les troubles de la surface oculaire et parfois altérer la qualité de l’adaptation dans le temps.
Remodelage épithélial et taie cornéenne
Le remodelage épithélial, en cas de cicatrice cornéenne ou de fibrose stromale, est relativement proportionnel à l’importance de l’atteinte stromale (figure 8).
Conclusion
La cartographie épithéliale permet de quantifier le remodelage épithélial dans différentes situations cliniques, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives dans la compréhension des mécanismes d’autorégulation physiologiques et pathologiques de l’épithélium. Elle trouve toute sa place en association avec l’examen clinique et dans le cadre d’une approche multimodale de l’OCT de cornée incluant la pachymétrie globale, stromale, les images en B-scan ainsi que l’OCT en face.
Références bibliograhiques
[1] Li Y, Tan O, Brass R et al. Corneal epithelial thickness mapping by Fourier-domain optical coherence tomography in normal and keratoconic eyes. Ophthalmology. 2012;119:2425-33.
[2] Kanellopoulos AJ, Asimellis G. In vivo 3-dimensional corneal epithelial thickness mapping as an indicator of dry eye: preliminary clinical assessment. Am J Ophthalmol. 2014;157(1):63-8.
[3] El Maftouhi A, Baudouin C. OCT et sécheresse oculaire. Les Cahiers d’Ophtalmologie. 2019;225:32-7.
[4] Fabiani C, Barabino S, Rashid S, Dana MR. Corneal epithelial proliferation and thickness in a mouse model of dry eye. Exp Eye Res. 2009;89(2):166-71.
[5] Baudouin C, Aragona P, Messmer EM et al. Role of hyperosmolarity in the pathogenesis and management of dry eye disease: proceedings of the OCEAN group meetig. Ocul Surf. 2013;11(4):246-58.
[6] Edorh NA, El Maftouhi A, Djerada Z et al. New model to better diagnose dry eye disease integrating OCT corneal epithelial mapping. Br J Ophthalmol. 2021;bjophthalmol-2021-318826.
[7] El Maftouhi A, Denoyer A. Quelle est la place de l’OCT dans le bilan de chirurgie réfractive. Réflexions ophtalmogiques. 2020;231.
[8] Reinstein DZ, Archer TJ, Gobbe M. Corneal epithelial thickness profile in the diagnosis of keratoconus. J Refract Surg. 2009;25(7): 604-10.
[9] Hwang ES, Schallhorn JM, Randleman JB. Utility of regional epithelial thickness measurements in corneal evaluations. Surv Ophthalmol. 2020;65(2):187-204.
[10] Kim WK, Kim BJ, Ryu IH et al. Corneal epithelial and stromal thickness changes in myopic orthokeratology and their relationship with refractive change. PLoS One. 2018;13(9):e0203652.