OCT-angiographie et glaucome

Le glaucome est une neuropathie optique progressive dont le principal facteur de risque est l’hypertonie oculaire. Cependant, la physiopathologie de cette maladie est encore mal comprise et pourrait être secondaire à d’autres mécanismes. L’hypoperfusion de la tête du nerf optique semble jouer un rôle dans le glaucome mais l’exploration de ce mécanisme physiopathologique a toujours été limitée par l’absence de technique permettant l’analyse de la vascularisation de la tête du nerf optique. En permettant une analyse précise de l’architecture vasculaire de la région papillaire mais aussi maculaire, l’OCT-angiographie pourrait aider à une meilleure compréhension des mécanismes de la neuropathie glaucomateuse. En parallèle, son utilisation pour le diagnostic et le suivi des patients glaucomateux se développe mais reste encore très limitée en pratique clinique par la variabilité des mesures et l’absence de base normative.

L’OCT-angiographie (OCT-A), décrite pour la première fois en 2006, permet une analyse non invasive et reproductible de la microvascularisation rétinienne. En répétant l’acquisition d’images, cette technique détecte les variations de signal entre chaque image et les interprète comme des indicateurs de mouvements. Les globules rouges sont ainsi utilisés comme marqueur de contraste intrinsèque et permettent l’obtention d’images tridimensionnelles du réseau vasculaire rétinien et de la tête du nerf optique.
L’étude structurale du nerf optique et de la macula repose depuis des années sur la tomographie en cohérence optique. En effet, la mesure de l’épaisseur de la couche des fibres nerveuses rétiniennes péripapillaires (RNFL) et l’étude du complexe ganglionnaire maculaire (GCC) ont révolutionné la prise en charge du glaucome en permettant un diagnostic plus précoce de la maladie, mais également en facilitant le diagnostic de progression. Cependant, ces appareils présentent des performances diagnostiques et une reproductibilité encore imparfaites, notamment dans les stades très précoces ou très tardifs de la maladie, et sont modérément corrélés à la fonction visuelle.
Depuis les premiers travaux réalisés au début des années 2010, les études explorant l’utilisation de l’OCT-A dans le glaucome se sont ainsi multipliées, afin de mieux comprendre la physiopathogénie du glaucome, mais également de mieux dépister et suivre les patients.

Principes de fonctionnement

Historiquement, l’étude de la vascularisation rétinienne reposait sur l’angiographie rétinienne, méthode invasive permettant d’obtenir des images en 2D de la rétine et de résolution limitée. Afin de pallier ces limites, l’imagerie vasculaire rétinienne a connu de nombreuses avancées, notamment avec le développement de technologies non invasives de type doppler OCT. Cependant, cette technique ne permettait que l’obtention d’images de flux vasculaires parallèles au signal OCT.
Avec le développement d’OCT à vitesses d’acquisition très augmentées, l’OCT-A a vu le jour. L’OCT-A analyse ainsi non seulement l’intensité de la lumière réfléchie, mais également les modifications du signal au cours du temps en réalisant plusieurs coupes au même emplacement dans un intervalle de temps très court. Les cellules sanguines sont alors utilisées comme marqueur de contraste. Cette acquisition, couplée à des algorithmes améliorant la qualité du signal (algorithmes de décorrélation d’amplitude de spectre fractionné et de segmentation structurelle automatique, eye tracking, logiciel d’atténuation des mouvements), permet l’obtention d’images tridimensionelles de très haute résolution du réseau microvasculaire péripapillaire et de l’ensemble des couches rétiniennes du pôle postérieur.
À partir de ces images, 3 principaux indices quantitatifs sont calculés :
- la densité vasculaire, définie comme le pourcentage de pixels occupés par des vaisseaux sanguins dans l’aire étudiée ;
- l’aire de la zone avasculaire centrale ;
- l’index de flux, ou flux vasculaire moyen, issu des données de décorrélation.
Ce dernier indice ne peut être utilisé en pratique courante en tant que mesure fiable du débit vasculaire car la fréquence du signal OCT est dépassée par la vitesse de déplacement des éléments figurés du sang.

Compréhension des phénomènes microvasculaires dans le glaucome

L’hypothèse d’une atteinte vasculaire dans la physiopathogénie du glaucome a été formulée dans de nombreux travaux. Il est évident aujourd’hui, grâce à l’OCT-A, que la neuropathie optique glaucomateuse s’accompagne de modifications vasculaires papillaires et maculaires.

En OCT-A, une diminution de la densité vasculaire papillaire, péripapillaire et maculaire a été retrouvée à tous les stades du glaucome et semble concorder avec l’atteinte structurelle et fonctionnelle de la maladie, en tenant compte des potentiels facteurs confondants que sont l’âge ou le niveau de pression intraoculaire (figure 1). L’atténuation microvasculaire retrouvée chez ces patients paraît même affecter des zones non altérées sur l’OCT GCC ou le champ visuel.
Par ailleurs, la densité vasculaire superficielle dans la région péripapillaire serait le paramètre diagnostique le plus informatif. Également, la densité vasculaire dans ces mêmes zones semble être plus élevée chez les sujets sains que chez ceux atteints d’une hypertonie oculaire isolée. La même différence a été mise en évidence entre les patients atteints d’une hypertonie oculaire isolée et ceux souffrant d’un glaucome primitif à angle ouvert ou d’un glaucome à pression normale, tous stades confondus.
Dans le glaucome à pression normale, où les modifications vasculaires semblent être particulièrement impliquées, l’atteinte microvasculaire en OCT-A serait plus importante que chez les sujets sains. Néanmoins, plusieurs travaux n’ont pas retrouvé de différence significative entre la densité vasculaire de sujets atteints d’un glaucome à pression normale et celle de sujets ayant un glaucome primitif à angle ouvert.
Dans le glaucome pseudo-exfoliatif, la densité vasculaire serait plus faible que chez les sujets atteints d’un glaucome primitif à angle ouvert. De même, dans le syndrome pseudo-exfoliatif, l’atteinte microvasculaire mesurée en OCT-A serait moins importante que dans le glaucome pseudo-exfoliatif.
Toutes ces études plaident pour la présence d’une atteinte vasculaire dans la neuropathie glaucomateuse, sans pour autant démontrer si celle-ci précède la maladie ou si elle lui succède.

Diagnostic et suivi des patients glaucomateux

De nombreuses études ont évalué les performances diagnostiques de l’OCT-A dans la détection du glaucome. Il semblerait que la mise en évidence d’une atteinte microvasculaire dans le glaucome soit aussi sensible, mais moins spécifique, que la mesure en OCT du RNFL et du GCC.
En effet, la microvascularisation rétinienne semble être modifiée par de nombreux facteurs systémiques, et notamment la présence de facteurs de risque cardiovasculaire comme l’hypertension artérielle ou le diabète. De plus, aucune base normative sur les paramètres quantitatifs mesurés en OCT-A n’a été établie jusqu’à ce jour, ce qui limite considérablement son utilisation en pratique clinique.
Par ailleurs, peu d’études longitudinales ont évalué l’apport de l’OCT-A dans le suivi des patients atteints d’un glaucome. Couplée à la réalisation d’une OCT et d’un champ visuel, la détection d’une diminution de densité vasculaire péripapillaire et maculaire pourrait constituer un argument supplémentaire pour le diagnostic de progression, en particulier dans les stades avancés de la maladie. En effet, les densités vasculaires maculaire et péripapillaire semblent diminuer plus rapidement dans les stades avancés et ne présentent pas d’effet plancher, contrairement aux mesures structurelles reposant sur l’OCT conventionnelle.
Ainsi, l’analyse de la microvascularisation rétinienne associée à la réalisation du champ visuel pourrait constituer dans le futur une réelle avancée dans la prise en charge des patients glaucomateux aux stades terminaux de la maladie.

Autre application : OCT angiographie et conjonctive

La vascularisation conjonctivale est un facteur pronostique majeur dans le suivi péri-opératoire des patients glaucomateux bénéficiant d’une chirurgie filtrante : il existe en effet une relation forte entre l’hyperhémie conjonctivale constatée en pré- et postopératoire, et le risque de fibrose des bulles de filtration.
Des travaux récents ont étudié la vascularisation conjonctivale en OCT-A de segment antérieur. En préopératoire, une augmentation de la densité vasculaire conjonctivale était ainsi liée à une pression intraoculaire postopératoire plus élevée. De même, la densité vasculaire conjonctivale postopératoire après une trabéculectomie semblait corrélée à la pression intraoculaire.
L’OCT-A conjonctivale pourrait ainsi procurer de nouvelles informations objectives utiles à l’évaluation préopératoire de la surface oculaire des patients glaucomateux.

Conclusion

Bien que peu utilisée en pratique clinique courante, l’OCT-A présente un intérêt pour la compréhension de la physiopathologie du glaucome.
En pratique, l’OCT-A ne peut être utilisée isolément pour le diagnostic de glaucome, car il n’existe aucun protocole standardisé d’analyse ni aucune base normative de densité vasculaire.
L’atteinte microvasculaire détectée en OCT-A semble tout de même constituer un nouveau biomarqueur de la maladie et pourrait apporter des informations supplémentaires pour le diagnostic et le suivi du glaucome. De nouvelles études sont ainsi nécessaires pour préciser son apport en pratique clinique.

Auteurs

  • Paul Bastelica

    Ophtalmologiste

    CHNO XV-XX, service du Pr Baudouin, Paris

  • Antoine Labbé

    Ophtalmologiste

    Hôpital Ambroise-Paré, Boulogne-Billancourt ; Centre hospitalier national d’ophtalmologie des Quinze-Vingts, IHU FOReSIGHT, Paris ; Université Paris Saclay

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