Nouvelles classes thérapeutiques médicales

Le glaucome est une neuropathie optique dégénérative progressive d’origine multifactorielle, mais dans laquelle la pression intraoculaire (PIO) joue en rôle important. À ce jour, de nombreuses possibilités thérapeutiques médicales, laser ou chirurgicales peuvent contrôler la maladie mais la PIO reste la seule cible thérapeutique disponible, et ce probablement encore pour de nombreuses années. Cependant, les besoins restent importants dans le traitement du glaucome. Le développement de nouvelles molécules améliorant ou potentialisant la baisse de PIO et de nouvelles voies d’abord devraient nous aider à améliorer les résultats cliniques pour nos patients, en particulier sur le long terme. Le but de cet article est donc d’exposer les principales innovations médicales et les nouvelles voies d’administration dans le glaucome qui devraient apparaître dans le futur.

Toutes les grandes études thérapeutiques randomisées montrent que même si le mécanisme de développement et de progression du glaucome est complexe, l’abaissement de la PIO permet de stabiliser ou de ralentir la maladie, y compris lorsque la PIO est dans la norme statistique. Les différentes classes thérapeutiques disponibles (analogues de prostaglandines, bêtabloquants, inhibiteurs de l’anhydrase carbonique et alpha2-agonistes) ont largement montré leur efficacité pour abaisser la PIO, seules et en association [1]. Par la suite, le développement de collyres associant notamment 2 molécules ainsi que les collyres sans conservateurs ont également amélioré la prise en charge de la maladie en optimisant la tolérance et l’observance de ces molécules.

Nouvelles molécules

Inhibiteurs des Rho-kinases
Les protéines G sont impliquées dans la transduction du signal intracellulaire et à une cascade biochimique intracellulaire. La Rho-kinase est l’une de ces protéines qui affectent la régulation de la structure cellulaire, sa division, son chimiotactisme et son apoptose. Elles jouent un rôle particulièrement dans la régulation du cytosquelette des cellules trabéculaires notamment, et donc dans la pathogenèse de l’hypertonie oculaire.
Nétarsudil 0,02% (Rhopressa, Aerie Pharmaceuticals) est un inhibiteur de Rho-kinase approuvé par les agences du médicament américaine et européenne (FDA et EMA) dans le traitement du glaucome primitif à angle ouvert et de l’hypertonie oculaire. Le mécanisme d’action implique 3 voies. En premier lieu, il relaxe la contraction cellulaire et l’adhésion cellulaire, et diminue la fibrose extracellulaire dans le trabéculum en inhibant l’effet du TGF-Beta2, ce qui augmente l’élimination de l’humeur aqueuse à travers la voie classique. La molécule agit également en dilatant les vaisseaux épiscléraux, ce qui abaisse la pression dans les veines épisclérales, et enfin en diminuant la production de l’humeur aqueuse par le corps ciliaire.
Les études ROCKET ont démontré la non-infériorité du nétarsudil comparé au timolol et l’effet pressionnel est similaire à celui du latanoprost [2]. La baisse pressionnelle était de l’ordre de 18,7 à 21,4%. Les études MERCURY ont évalué l’efficacité de la combinaison fixe nétarsudil/ latanoprost (Rocklatan, Aerie Pharmaceuticals) et ont retrouvé une baisse de la PIO supérieure à 30% chez 58,8 à 64,5% des patients (vs 20,6 à 28,8% pour le nétarsudil seul et 37,2 à 29,4% pour le latanoprost seul), et même de 40% chez 35,2% des patients à 12 mois [3].
Les effets indésirables les plus fréquents du nétarsudil sont essentiellement locaux. Il s’agit principalement de l’hyperémie conjonctivale par relaxation des fibres musculaires lisses des vaisseaux conjonctivaux (47,9 à 60,6%) et de l’hémorragie conjonctivale (5 à 19%). Une cornée verticilée réversible à l’arrêt du traitement peut également être rencontrée chez 5 à 25% des sujets traités.
À ce jour, le médicament n’est pas encore disponible en France, ni en forme simple ni en combinaison fixe avec une prostaglandine.

Analogues des prostaglandines et agonistes des prostanoïdes
Le latanoprostène bunod (Vyzulta, Bausch+Lomb) est un médicament hybride qui, après administration, est clivé au mononitrate de butanediol et au latanoprost. Le premier libère l’oxyde d’azote, qui agit en relaxant lui aussi les fibres musculaires lisses et le trabéculum, et améliore ainsi l’élimination d’humeur aqueuse à travers la voie conventionnelle. Le latanoprost, quant à lui, agit de façon classique et additionnelle sur la voie uvéosclérale.
L’étude VOYAGER a montré une différence de diminution de la PIO significative de l’ordre de 8,93 mmHg pour le latanoprostène bunod 0,024% vs 7,7 mmHg pour le groupe latanoprost 0,005% [4]. Dans les études LUNAR et APOLLO, le latanoprostène bunod s’est révélé supérieur au timolol en regard du résultat pressionnel, avec le même taux d’effets indésirables. Le pourcentage de sujets présentant une baisse pressionnelle supérieure à 25% était de 31 à 34,9% pour le groupe latanoprostène bunod vs 11,3 à 18,5% pour le groupe timolol seul. Le médicament est actuellement disponible principalement aux États-Unis et dans certains autres pays comme le Canada et la Corée du Sud, mais pas encore en Union européenne.
Les effets secondaires sont comparables à ceux rapportés avec les analogues de prostaglandine (cils, pigmentation iris), mais avec un taux d’hyperémie conjonctivale de l’ordre de 5,9 à 17,7%.
Enfin, de nouvelles molécules agonistes des prostanoïdes se fixant sur d’autres récepteurs de la voie uvéosclérale sont en cours d’évaluation, mais peu de données scientifiques sont disponibles concernant leur efficacité.

Autres molécules à l’étude
Le trabodénoson est un agoniste sélectif de récepteur d’adénosine A1. Cette molécule présente des mécanismes d’action originaux pour le glaucome. En effet, elle active une cascade surrégulant la métalloprotéinase 2 (MMP2), ce qui induit l’augmentation de l’élasticité et l’ouverture des micropores du trabéculum sur le long terme. Le trabodénoson possède aussi une action rapide et agit à travers le récepteur cholinergique M2 du corps ciliaire en diminuant ainsi la production d’humeur aqueuse. Finalement, il aurait un effet neuroprotecteur supérieur à celui de la brimonidine sur les cellules ganglionnaires rétiniennes en inhibant l’afflux de glutamate et d’ions de calcium. Malheureusement, la phase III de son essai clinique a échoué, probablement à cause d’une concentration et d’une posologie inadaptées à cette molécule de demi-vie courte [5]. D’autres études sont en cours, concernant son potentiel effet sur la membrane de Bruch et pour le traitement ou la prévention de la DMLA.
Les cannabinoïdes constituent aussi un ensemble de molécules d’intérêt dans le glaucome. Ils ont un effet connu sur la diminution de la PIO (approximativement 20%), mais également des effets systémiques potentiellement délétères pour le nerf optique tels que l’hypotension artérielle. De plus, sur le plan systémique, leur durée d’action est brève. Enfin, ils possèdent une faible pénétrance cornéenne et donc une pauvre biodisponibilité en forme topique. De nouvelles molécules sont en voie de développement mais aucune n’est entrée en phase d’étude clinique. Cependant, une étude sur les effets du dronabinol per os sur l’hémodynamique oculaire est actuellement en cours de recrutement.
Les ARNs interférents sont des ARNs double brin qui se fixent sur l’ARN messager et perturbent son bon fonctionnement en empêchant sa translation. Le bamosiran est une molécule à ARN qui inhibe l’adénorécepteur β2 diminuant la production d’humeur aqueuse, similairement aux bêtabloquants. La molécule a malheureusement échoué aux tests de phase II en ne démontrant pas sa non-inferiorité face au timolol. Le bamosiran était cependant efficace dans le groupe de patients avec une pression intraoculaire élevée (supérieure à 25 mmHg) et était mieux toléré que le timolol d’un point de vue systémique.

Nouvelles voies d’administration

Une autre innovation dans le traitement médical du glaucome consistera à délivrer la molécule de façon prolongée et directement sur le tissu cible afin d’alléger ou de supprimer la contrainte de l’instillation quotidienne de collyres, de diminuer les concentrations quotidiennes et potentiellement d’améliorer la tolérance. Enfin, on peut espérer améliorer l’observance thérapeutique et ainsi augmenter l’espérance visuelle des patients.

Implant intracamérulaire de bimatoprost à relargage prolongé
L’implant intracamérulaire biodégradable de bimatoprost (Durysta, Allergan) a été approuvé par la FDA et est en cours d’évaluation en France. L’étude clinique ARTEMIS a démontré la non-infériorité des 3 injections intracamérulaires d’implant de bimatoprost répétées toutes 16 semaines par rapport au timolol topique. À la dose de 10 microgrammes, une réduction de la PIO moyenne de 30% était observée à la semaine 12. Les résultats à long terme de cette étude peuvent aussi suggérer un autre mécanisme de remodelage de voies d’évacuation d’humeur aqueuse, étant donné que la PIO était contrôlée chez 60% des patients 12 mois après la dernière injection et sans changement de thérapie [6].

Implant trabéculaire en titane libérant du travoprost
Un autre implant intracamérulaire est en cours d’évaluation. Il s’agit d’un implant non résorbable en titane et relarguant du travoprost pour une période de 12 mois (iDose, Glaukos). Une fois l’effet atténué, l’implant peut être remplacé par un autre dispositif. Les études de phase II rapportaient une baisse de la PIO moyenne de 33% à la douzième semaine par rapport à la visite initiale. Des essais de phase III sont en cours pour déterminer son efficacité pressionnelle et son niveau de tolérance.

Autres dispositifs à libération prolongée
D’autres dispositifs délivrant diverses molécules sont en cours d’investigation. Il s’agit notamment d’implants extraoculaires de type anneau de sac conjonctival ou de clous méatiques libérant de façon prolongé une prostaglandine. D’après les premières études, ces 2 dispositifs permettent une baisse de la PIO respectivement de l’ordre de 20% à 6 mois et de 22,3% à 4 semaines, avec un taux de rétention du clou méatique de 92% à 12 semaines. Des évaluations existent aussi, qui concernent l’injection sous-conjonctivale de nanoparticules contenant du latanoprost ou de la brinzolamide permettant une libération prolongée de molécules hypotonisantes et qui ont un effet de 3 mois approximativement.

Conclusion

Les possibilités thérapeutiques vont s’élargir dans le glaucome en conjonction avec le développement des chirurgies mini-invasives. Le but de ces nouvelles molécules et de ces nouvelles voies d’abord permettant d’abaisser la PIO est d’apporter une prise en charge plus personnalisée des patients, afin de tenir compte au mieux des problèmes de tolérance et surtout d’observance thérapeutique qui sont l’une des clés du succès du maintien de la fonction visuelle sur le long terme. Sur le plus long terme, l’arsenal thérapeutique du glaucome pourrait s’enrichir de traitements neuroprotecteurs ou de thérapie génique mais les recherches restent très préliminaires à ce jour.

Références bibliographiques
[1] Van der Valk R, Webers CA, Schouten JS et al. Intraocular pressure-lowering effects of all commonly used glaucoma drugs: a meta-analysis of randomized clinical trials. Ophthalmology. 2005;112(7): 1177-85.
[2] Khouri AS, Serle JB, Bacharach J et al.. Once-daily netarsudil versus twice-daily timolol in patients with elevated intraocular pressure: The randomized phase 3 ROCKET-4 study. Am J Ophthalmol. 2019; 204:97-104.
[3] Brubaker JW, Teymoorian S, Lewis RA et al.. One year of netarsudil and latanoprost fixed-dose combination for elevated intraocular pressure: Phase 3, randomized MERCURY-1 study. Ophthalmol Glaucoma. 2020;3(5):327-38.
[4] Weinreb RN, Ong T, Scassellati Sforzolini B et al. A randomised, controlled comparison of latanoprostene bunod and latanoprost 0.005% in the treatment of ocular hypertension and open angle glaucoma: the VOYAGER study. Br J Ophthalmol. 2015;99(6):738-45.
[5] Qiu TG. Trabodenoson on trabecular meshwork rejuvenation: a comprehensive review of clinical data. Expert Opin Investig Drugs. 2021;30(3):227-36.
[6] Medeiros FA, Walters TR, Kolko M et al. Phase 3, Randomized, 20-month study of bimatoprost implant in open-angle glaucoma and ocular hypertension (ARTEMIS 1). Ophthalmology. 2020;127(12):1627-41.

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