Multifocalité : implant ou laser ?

Derrière le choix de la technique opératoire pour un patient exigeant et soucieux de voir bien et sans correction à toutes les distances se posent en réalité trois questions : celle de la capacité résiduelle d’accommodation, au moment de la chirurgie mais aussi par anticipation dans les années à venir, celle de l’amétropie initiale et celle des activités visuelles préférentielles. Lors de la première consultation, il faut ainsi impérativement faire la synthèse de ces trois points clés, en parallèle de l’examen clinique et paraclinique systématiquement réalisé pour le bilan d’une chirurgie réfractive.

Capacité résiduelle accommodative

Les capacités d’accommodation diffèrent selon les individus, leur âge, leur ethnie. La presbytie serait la première cause de dégradation de la qualité de vie après 40 ans dans les pays « développés ». La mesure de l’addition utile s’évalue généralement par la méthode de l’addition minimale (addition minimum pour lire P2 à 40 cm + 0,5 à 1 D), ou plus rarement en réalisant une courbe clinique de défocalisation. Les capacités d’accommodation moyennes diminuent avec l’âge, en passant de plus de 10 D à 20 ans, puis 4 D à 40 ans, à moins de 2 D après 50 ans. Cette décroissance progressive résulte essentiellement de la rigidification du cristallin et de son augmentation de volume, lesquelles contrarient progressivement les mécanismes physiologiques de l’accommodation.
Dès 40 ans, une addition de +1 D améliore déjà le confort visuel de près. Si la question d’une chirurgie cornéenne de la presbytie ne se pose pas avant la quarantaine, la question du futur doit être envisagée chez les patients myopes à l’approche de cet âge, car une myopie résiduelle sur l’œil non directeur peut être laissée afin de mieux anticiper l’avenir. On peut ainsi simuler en lentille une monovision (myopie résiduelle de -1 à -2 D maximum sur l’œil non directeur) qui, si elle est bien tolérée, permettra de conserver une profondeur de champ utile dans le futur, au moins pour la vision intermédiaire. Jusqu’à 55 ans, ou bien quand l’accommodation résiduelle dépasse 1,5 à 2 D, une photoablation cornéenne demeure la solution de choix, alors que la chirurgie du cristallin sera préférée en deçà.

Technique chirurgicale et amétropie initiale

Quand une addition supérieure à +1 D devient nécessaire, la chirurgie cornéenne de la presbytie doit être envisagée. Les principes du presbyLasik – ou du presbySurf dans le cas d’une photoablation de surface – reposent sur l’association d’une micro-monovision à une augmentation de la profondeur de champ sur 1 œil ou sur les 2 yeux.
Il existe différents profils de photoablation pour la presbytie :
- création d’une zone décentrée cambrée (« coma iatrogène », peu réalisé aujourd’hui) ;
- création d’une zone centrale plus cambrée (hyperprolate) sur l’œil non directeur ;
- création d’une zone annulaire cambrée ;
- profils d’ablation asphériques avec vision de près centrale sur l’œil non directeur et modulation de l’asphéricité de quatrième ordre sur 1 œil ou sur les 2 yeux.
Le choix du profil d’ablation dépend des résultats cliniques publiés et de la plateforme à disposition. En revanche, le choix de la réfraction cible par œil ainsi que celui de la puissance du profil multifocal dépendent du patient et reposent sur le chirurgien. Pour simplifier, les patients myopes n’ont pas les bénéfices de cette chirurgie cornéenne de la presbytie, à l’exception des cornées très peu cambrées. On préférera dès lors une monovision après simulation en lentilles, ou bien une chirurgie du cristallin si la presbytie est suffisamment évoluée. Les patients hypermétropes sont les bons candidats au presbyLasik. Cette méthode, réalisée s’il reste une capacité d’accommodation supérieure à 1 D (avant 55 ans généralement), donnera d’excellents résultats chez ces personnes qui voient leur vision de loin et de près diminuer en raison de l’association de leur hypermétropie à une presbytie croissante. Restent les emmétropes… De façon générale, un patient habitué à bien voir de loin sans correction supportera mal une dégradation de sa vue de loin, même au bénéfice d’une meilleure vision de près. Il faudra donc très soigneusement poser l’indication dans ce cas et s’assurer que le futur opéré comprend que la vision de loin, dégradée par les profils d’ablation asphériques et/ou la micro-monovision, sera moins qualitative qu’avant.

Activités résiduelles préférentielles et information des patients

Dès lors, l’intégration des activités visuelles préférentielles dans l’algorithme de décision du traitement devient essentielle. Pour le presbyLasik, on préférera une myopie résiduelle inférieure à 0,75 D sur l’œil non directeur et une parfaite emmétropie sans profil d’ablation « presbyte » sur l’œil directeur pour les personnes nécessitant une bonne vision de loin (conduite, sport…). A contrario, une franche micro-monovision associée à un profil d’ablation asphérique franc sur les 2 yeux bénéficiera à ceux qui favorisent la vision intermédiaire et la vision de près dans leur métier et leurs activités du quotidien. Il ne faudra pas oublier d’informer les patients qu’une myopie transitoire peut exister initialement, voire nécessiter une correction temporaire pendant quelques mois pour la vision de loin, avant de régresser. Il faut aussi garder à l’esprit que les retouches sur les profils asphériques sont plus complexes.
Passé 55 ans, quand les capacités d’accommodation résiduelles passent sous la barre de la dioptrie, la chirurgie de la cornée devient moins pertinente car elle ne permet pas de restaurer en toutes circonstances une bonne fonction visuelle sans correction. L’alternative repose alors sur la chirurgie du cristallin, clair ou bien présentant une cataracte débutante, avec la mise en place d’un implant de la presbytie. Chez les patients très myopes, l’abstention est généralement la règle, le risque de décollement de rétine sur ce terrain, et en l’absence d’un décollement postérieur du vitré, étant à mon sens trop important pour justifier une telle chirurgie. Pour les autres, il reste à déterminer le type d’implant et là encore, les activités visuelles préférentielles vont guider le choix. Une optique diffractive bi- ou trifocale avec une bonne addition sera utilisée pour des patients exigeants en vision de près et acceptant certaines limites pour la vision de loin (effets photiques, surtout en conduite de nuit, et diminution des contrastes en ambiances mésopique et scotopique). Pour ceux qui privilégient la vision de loin, les optiques EDOF, et particulièrement EDOF réfractives par modulation d’aberrations optiques, trouvent ici toute leur place. Ces implants récents assurent globalement la même performance visuelle de loin que les optiques monofocales et offrent une réelle profondeur de champ. On obtient alors ainsi une vision de loin et intermédiaire sans correction, et une vision de près à 40 cm avec une correction d’addition réduite.
La chirurgie du cristallin ne s’envisage bien entendu que si celle-ci est bilatérale, si l’état neurorétinien est satisfaisant et si la topographie cornéenne est régulière. Rappelons ici qu’il existe des optiques diffractives toriques et EDOF toriques pour compenser les astigmatismes cornéens réguliers à partir de 0,75 D. En parallèle, le résultat visuel des implants de la presbytie sera largement conditionné par l’état de la surface oculaire. En préopératoire, une sécheresse préexistante doit être traitée et peut faire préférer une optique réfractive EDOF plutôt qu’une diffractive. En postopératoire, la sécheresse sera systématiquement anticipée et traitée car elle dégrade fortement la qualité de vision des patients après une chirurgie du cristallin, et plus encore ceux ayant reçu des implants de la presbytie. À nouveau, l’information de chaque patient sera primordiale, d’une part sur les éventuelles dégradations de qualité de vision inhérentes à certaines optiques, et d’autre part sur les conséquences d’une sécheresse ou bien d’une opacification de la capsule postérieure, même minimes, sur ses futures performances visuelles.

Conclusion

La pyramide des âges nous montre que plus de la moitié de la population française sera presbyte passé 2030. Face à la demande croissante de solutions de correction de la part des patients concernés, les profils de photoablation cornéenne poursuivent leur optimisation et l’offre d’implants de la presbytie s’étoffe afin d’apporter une réponse à la majorité des cas. Le presbyLasik n’est pas parfait, ni destiné à tout le monde, mais il est aujourd’hui très efficace si l’indication est adaptée. La chirurgie du cristallin offre souvent les meilleurs résultats de près, mais elle s’adresse à des patients plus âgés et peut entraîner certaines dégradations de la qualité de vision. Les inlays intracornéens demeurent confidentiels. Ils reposent néanmoins sur des principes séduisants (modification de la courbure centrale, trou sténopéique ou, plus intéressant encore, modification de l’indice de réfraction au centre) et les recherches actuelles sur les lenticules organiques pourraient les relancer dans la chirurgie de la presbytie. Quelle que soit la méthode, le résultat visuel et la satisfaction de nos patients reposeront souvent sur une bonne compréhension des attentes visuelles de la part du chirurgien et une bonne compréhension des résultats visuels escomptés du côté du patient.
Les chirurgies de la presbytie, cornéennes ou cristalliniennes, demeurent des actes spécifiques réalisés par des ophtalmologistes habitués qui contrôlent l’ensemble du parcours patient, de l’indication au suivi postopératoire, maîtrisent les techniques opératoires et délivrent une information raisonnée.

Auteurs

  • Alexandre Denoyer

    Ophtalmologiste

    CHU Robert-Debré, université de Reims Champagne-Ardenne, Reims

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