Mise au point sur les lubrifiants oculaires

La sécheresse oculaire est l’un des motifs de consultation les plus fréquents en ophtalmologie. Les lubrifiants oculaires (LO) sont le traitement de première intention du syndrome sec oculaire. Le panel des collyres lubrifiants disponibles sur le marché est très large. La connaissance des avantages et des inconvénients de chacun est nécessaire afin d’adapter au mieux le traitement entrepris.

Propriétés physico-chimiques des LO

Viscosité
Plus la viscosité d’un collyre est élevée, plus sa rémanence est élevée. En contrepartie, les collyres visqueux sont responsables d’un flou visuel à l’instillation et de dépôts sur les cils et sur la peau.

Rémanence
La rémanence est corrélée à la viscosité et à l’effet mucomimétique du collyre, c’est-à-dire à sa capacité à adhérer aux cellules épithéliales cornéennes.

Osmolarité
Le syndrome sec oculaire est caractérisé par une hyperosmolarité lacrymale responsable d’une déshydratation des cellules épithéliales conduisant à leur apoptose (DEWS II). Les LO sont donc soit iso- soit hypo-osmolaires.

Propriétés cicatrisantes
Les LO favorisent la cicatrisation épithéliale par différents mécanismes physiopathologiques. Par exemple, la carboxyméthylcellulose favorise l’adhésion et la migration des cellules épithéliales en se fixant au collagène et à la fibronectine du stroma cornéen. Le hyaluronate de sodium (HS) et le tréhalose favorisent quant à eux la migration des cellules épithéliales et leur prolifération en se fixant à la fibronectine.

Propriétés optiques
Le film lacrymal est le premier dioptre oculaire. Il est classique que les patients atteints d’une sécheresse oculaire se plaignent de fluctuations visuelles. En effet, l’altération du film lacrymal génère des aberrations optiques et de la diffusion optique.

Présence de lipides
Plusieurs LO tentent de compenser la couche lipidique du film lacrymal en intégrant dans leur composition des lipides (émulsion lipidique cationique, phospholipides, triglycérides à chaîne moyenne).

Propriétés osmorégulatrices
Certains LO ont un pouvoir osmorégulateur qui tend à équilibrer les pressions osmotiques de part et d’autre de la membrane cellulaire épithéliale. Différents composés osmorégulateurs sont utilisés : la lévocarnitine (L-carnitine), l’érythritol, le tréhalose. 

Différentes classes de LO

Dérivés du sérum physiologique ou solutions salines Ces collyres sont en général très bien tolérés mais leur rémanence est faible, ce qui induit une augmentation de la fréquence d’instillation (tableau I).

Polymères de vinyle Ces LO de faible viscosité sont très liquides et sont donc très bien tolérés mais leur rémanence est limitée, ce qui amène à une instillation plus fréquente. 
Les 2 molécules utilisées sont l’acide polyvinylique et la povidone (tableau II). Ces LO sont réservés au traitement de première intention de la sécheresse oculaire de sévérité minime à modérée.

Dérivés cellulosiques
Ces LO ont une viscosité et une rémanence élevées responsables de flou visuel à l’instillation et de dépôts sur les cils et la peau. Il s’agit de polymères de méthylcellulose au pouvoir de rétention hydrique élevé, d’où leur intérêt dans le cas d’un déficit aqueux (tableau III). Les 2 molécules utilisées sont l’hydroxypropylméthylcellulose (ou hypromellose) et la carboxyméthylcellulose (ou carmellose). Ces LO sont réservés en traitement de première intention de la sécheresse oculaire de sévérité minime à modérée et dans le cas d’un ulcère cornéen (traumatique, inflammatoire ou infectieux) du fait de leurs propriétés cicatrisantes.

Carbomères
Il s’agit de polymères d’acide acrylique organisés en réseaux tridimensionnels capables également d’emmagasiner de l’eau, d’où leur consistance de gels (tableau IV). Ils sont responsables d’un flou visuel à l’instillation, qui peut être prolongé, et de dépôts. La rémanence est meilleure grâce à leurs propriétés mucomimétiques. Ils sont réservés à la sécheresse oculaire de sévérité modérée à sévère, en complément ou après l’échec de LO moins visqueux.

Collyres contenant de l’acide hyaluronique
L’acide hyaluronique (AH), ou hyaluronate de sodium (HS), est un mucopolysaccharide présent dans la plupart des tissus conjonctifs du corps humain (tableau V). Les forces de cisaillement liées au clignement entraînent une diminution de la viscosité et une augmentation de l’élasticité, ce qui favorise ainsi l’étalement du produit sur la surface oculaire. L’AH possède plusieurs propriétés intéressantes : rétention hydrique élevée, effet mucomimétique, rémanence supérieure aux polymères de vinyle et aux drivés cellulosiques, cicatrisation épithéliale.
Le Keradrop, du laboratoire Densmore, contient de l’acide glycyrrhizique, issu de la racine de réglisse, qui a un effet anti-inflammatoire. Le Repadrop, également du laboratoire Densmore, est présenté comme un lubrifiant oculaire réparateur neurocornéen grâce à la glycérophosphorylcholine. Celle-ci est un phospholipide constituant naturellement les membranes cellulaires auquel lui sont associés un cocktail de vitamines procicatrisantes (B5, B6, B12) et de l’acide hyaluronique à 0,15%.

Hydroxypropyl guar
Les gels d’hydroxypropyl guar sont des polysaccharides aux propriétés mucomimétiques assurant une rémanence élevée et cytoprotectrice (tableau VI).

LO contenant des lipides
En présence de sécheresse oculaire par hyperévaporation secondaire à une dysfonction des glandes de Meibomius, il semble judicieux d’introduire des LO contenant des lipides afin d’augmenter la stabilité du film lacrymal. Il peut s’agir de triglycérides à chaîne moyenne, de phospholipides, ou d’une émulsion lipidique cationique (tableau VII).

Osmorégulateurs
Ils protègent les cellules épithéliales cornéennes du stress osmotique et réduisent leur apoptose causée par la déshydratation (tableau VIII). Ils entraînent une diminution de l’expression des cytokines inflammatoires et une augmentation du nombre de cellules à mucus. La L-carnitine disparaît de la composition de l’Optive Fusion en flacon (pas en UD) par rapport à l’Optive, au profit de l’ajout d’AH.

Conservateurs

Le conservateur le plus utilisé et le plus toxique est le chlorure de benzalkonium (BAC). Il s’agit d’un ammonium quaternaire qui, du fait de son caractère bipolaire et de ses propriétés tensioactives, altère la couche lipidique du film lacrymal. Il entraîne une inflammation de la surface oculaire et détruit les cellules à mucus. Le polyquad (polyquaternium-1) et le chlorure de sodium (Purite) sont des conservateurs moins toxiques.

Conclusion

La prescription de LO doit être ciblée et adaptée au type de sécheresse oculaire (insuffisance lacrymale et/ou excès d’évaporation) et aux plaintes du patient. Il est essentiel de privilégier les flacons multidoses sans conservateur ou les unidoses pour éviter à long terme la toxicité des conservateurs sur la surface oculaire. À chaque consultation de suivi, la tolérance et donc l’observance doivent être vérifiées. Plusieurs facteurs peuvent être responsables d’un échec thérapeutique : inconfort à l’instillation, flou visuel prolongé, fréquence d’instillation élevée, difficultés de manipulation, coût… Dans le cas d’une dysfonction des glandes de Meibomius, des LO contenant des lipides doivent être prescrits et l’utilisation de LO aux propriétés osmorégulatrices ou neuroréparatrices cornéennes peut parfois être pertinente.

Auteurs

  • Rabia Bentata

    Ophtalmologiste

    Service d’ophtalmologie du CHU Pellegrin, Bordeaux

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