Les plaies palpébrales

Les paupières sont des structures complexes dont le rôle est de protéger le globe ­oculaire de la sécheresse, des traumatismes mécaniques et des corps étrangers, assurant ainsi la sauvegarde de la fonction visuelle. Elles ont également un rôle majeur dans l’expression faciale et l’esthétique du visage, permettant sa reconnaissance. La prise en charge d’une plaie palpébrale nécessite une bonne connaissance de leur anatomie et doit être confiée à un ophtalmologiste en première intention.

Épidémiologie

Il existe un portrait-robot du traumatisé palpébral : il s’agit dans 80% des cas d’un homme âgé de 15 à 45 ans. Le traumatisme est d’abord dû à un accident de travail, puis aux accidents sur la voie publique. Chez les enfants, on retrouve également une prédominance masculine, l’origine première étant la morsure animale, canine le plus souvent. Enfin, chez la personne âgée, c’est la chute qui est le plus souvent responsable du traumatisme. 

Examen clinique

Toute urgence vitale doit avoir été écartée et prime sur le traumatisme palpébral. Bien que celui-ci soit le plus souvent évident, il convient de procéder, dans la mesure du possible, à un interrogatoire complet afin de le dater et d’évaluer les risques de contamination de la plaie.
Le statut antitétanique doit être connu et une remise à jour effectuée en cas de doute. Les morsures animales doivent entraîner une prévention antirabique au besoin et une antibiothérapie orientée devra être débutée (Pasteurella dans le cas d’une morsure canine, Bartonella après une griffure féline, Clostridium en présence d’une souillure).
On s’attache à rechercher une plaie du globe associée qui modifie le délai de prise en charge : immédiat en présence d’une plaie du globe, il peut être reporté de 48 à 72 heures dans le cas d’une plaie palpébrale isolée, cela afin d’être dans les meilleures conditions possibles pour une réparation idéalement en un temps. Bien sûr, on commence toujours par la réparation du globe avant celle des paupières (risque d’éviscération).
Enfin, on s’assure de la bonne protection cornéenne ; si celle-ci n’est pas assurée, comme par exemple dans le cas d’une perte de substance intéressant la paupière supérieure, la prise en charge doit être immédiate afin d’éviter toute complication à type d’ulcère, d’infection, voire de perforation cornéenne.
Si l’inspection n’est pas possible (jeune enfant, patient non coopérant), il est nécessaire de recourir à un examen sous anesthésie générale qui permettra la reconstruction dans le même temps.

Examens paracliniques

S’ils ne sont pas indispensables dans le cas d’une plaie de paupière, les examens paracliniques deviennent nécessaires si on suspecte un corps étranger intraorbitaire ou une fracture associée (radiographie standard s’il n’est pas possible de réaliser une tomodensitométrie). 

Formes cliniques des traumatismes et prise en charge

La chirurgie réparatrice palpébrale est soumise à différents principes permettant une prise en charge optimale du patient.
- Le principe de simplicité : la reconstruction en un temps opératoire doit être favorisée dès qu’elle est possible.
- Le principe de sécurité : afin d’assurer la sécurité vasculaire, on évite l’association de deux greffes superposées (lamelle antérieure et lamelle postérieure), et on favorise plutôt l’association de deux lambeaux ou d’un lambeau et d’une greffe. De plus, la résection de tissu, lorsqu’elle est nécessaire, se doit d’être économe.
- Le principe d’homologie : on remplace idéalement un tissu par son homologue le plus strict, en l’occurrence la paupière elle-même lorsque c’est possible.
- Le principe de réparation plan par plan : chaque structure anatomique doit être respectée.

Lacérations palpébrales superficielles
Lorsque celles-ci sont horizontales, leur suture n’est pas indispensable s’il n’existe pas de tension. On peut alors avoir recours à des Steri-Strip™ et recontrôler le patient à distance. En cas de gêne au clignement ou de tension tissulaire, on réalise un plan cutané pour suturer une plaie qui se trouve devant le tarse, et un plan sous-cutané si la plaie est à distance du tarse. L’utilisation d’un fil résorbable est préférée chez l’enfant, et d’un fil non résorbable (tressé ou non) chez l’adulte. Les fils sont ôtés généralement au bout de 5 jours de cicatrisation.
Les dermabrasions nécessitent un lavage soigneux à la bétadine afin d’éliminer toute trace de corps étranger. La cicatrisation dirigée se fera au moyen de corps gras.

Plaies transfixiantes
Les plaies intéressant le bord libre sont courantes et constituent également un motif fréquent de reprise chirurgicale.
Certains repères anatomiques sont essentiels et similaires pour la paupière supérieure et la paupière inférieure :
- la ligne grise ;
- la ligne des cils ;
- la ligne des glandes de Meibomius ;
- les points lacrymaux.
On réalise une suture en 3 plans : le bord libre est suturé au niveau de la ligne grise à l’aide d’un fil non résorbable, en prenant garde à ne pas entrer en contact avec la surface oculaire. Le plan orbiculotarsal est suturé à l’aide d’un fil résorbable tressé 6.0 et le plan cutané à l’aide d’un fil non résorbable 6.0, tressé ou non.
La réparation doit impérativement respecter l’alignement du bord libre, le risque étant de voir apparaître une « marche d’escalier ».
Les plaies transfixiantes qui n’intéressent pas le bord libre sont suturées plan par plan. Si la plaie concerne la paupière supérieure, il est indispensable de rechercher un ptosis préopératoire et de contrôler le muscle releveur de la paupière supérieure en peropératoire.

Avulsions palpébrales
La rupture a souvent lieu au niveau de la zone de faiblesse des paupières, à savoir l’angle interne. Dans le cas d’une avulsion du canthus médial, une voie de dacryo-cysto-rhinostomie peut permettre d’amarrer le canthus médial à la crête lacrymale postérieure. La reconstruction se fait plan par plan en commençant par le bord libre. Le muscle releveur de la paupière su­périeure doit être réamarré au tarse. En cas d’atteinte ­canaliculaire associée, la reconstruction palpébrale doit s’attacher à diminuer autant que possible la tension ­tissulaire sur les canalicules.

Pertes de substance palpébrale
Concernant le bord libre, on peut s’appuyer sur la règle dite du « quart de Mustardé » (celle-ci est étendue au tiers en cas de flaccidité palpébrale). Lorsque la perte de substance ne dépasse pas le quart du bord libre, une suture directe en 3 plans est possible. Au-delà, on y associe une cantholyse externe, voire un lambeau de voisinage. Cette prise en charge implique un opérateur entraîné aux greffes et aux lambeaux et disposant du matériel nécessaire.

 Plaie canaliculaire
Toute plaie concernant le tiers médial de la paupière doit, jusqu’à preuve du contraire, être considérée comme une plaie canaliculaire. Si la partie latérale du canalicule est souvent aisée à trouver, le moignon médial peut s’avérer difficile à individualiser : on peut s’aider dans ce cas du bleu de méthylène ou d’un produit viscoélastique injectés par le canalicule en place. La queue de cochon est de maniement difficile et peut s’avérer iatrogène pour la muqueuse canaliculaire.
La suture canaliculaire se fait à l’aide d’un monofilament 10.0. On réalise 3 à 6 sutures transfixiantes sans ­tension. En fin de reconstruction, 2 repères sont essentiels et prédisent le pronostic de la plaie :
- l’alignement des méats lacrymaux supérieur et inférieur ;
- l’absence de diastasis entre la paupière et le globe ­oculaire.
L’intubation dépend du siège de la plaie : si elle concerne les deux tiers externes du canalicule, on peut recourir à une sonde monocanaliculaire à fixation autostable de type mini-Monoka®, que l’on ajuste à 2 millimètres après la ­section traumatique. En cas de section distale, une sonde mono-canaliculo-nasale de type Monoka® peut s’avérer utile. Enfin, en cas de section des 2 canalicules ou du canal d’union, on procède à une intubation bicanaliculonasale.

Conclusion

La traumatologie palpébrale répond à des critères de prise en charge précis et nécessite de bonnes connaissances anatomiques afin d’envisager un traitement idéalement en un seul temps. Elle doit toujours faire suspecter une plaie du globe perforante, modifiant le délai de prise en charge chirurgicale. Enfin, son pronostic est globalement bon, exception faite des pertes de substances importantes et des plaies canaliculaires ; ces plaies nécessitent d’autant plus notre attention.

Pour en savoir plus

Ruban JM, Fau JL. Plaies palpébrales supérieures et inférieures. Dans : Bourges JL, ed. Urgences en ophtalmologie. Rapport de la Société française d’ophtalmologie. Elsevier-Masson, 2018.
Chang EI, Esmaeli B, Butler CE. Eyelid reconstruction. Plast Reconstr Surg. 2017;140(5):724e-35e.
Ko AC, Satterfield KR, Korn BS, Kikkawa DO. Eyelid and periorbital soft tissue trauma. Facial Plast Surg Clin North Am. 2017;25(4):605-16.
Nezzar H, Viennet A, Chiambaretta F. Traumatismes palpébraux. EMC Ophtalmologie, 2016.
Ducasse A, Lagier J, Adenis JP. Traumatologie lacrymale. EMC Ophtalmologie, 2015.
Fayet B, Bernard JA. A monocanalicular stent with self-stabilizing meatic fixation in surgery of excretory lacrimal ducts. Initial results. Ophtalmologie. 1990;4(4):351-7.

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