Les plaies orbitaires

Les plaies orbitaires sont des pathologies rares pouvant menacer le pronostic vital du patient. Elles sont l’apanage des hommes jeunes dans un contexte de rixe et d’éthylisme. Certains pièges diagnostiques et thérapeutiques peuvent engager la responsabilité de l’ophtalmologiste.

Rappels anatomiques

L’orbite osseuse est constituée de 4 parois (le plancher, la paroi médiale, le toit et la paroi latérale) et 7 os. Les parois les plus fragiles sont, dans l’ordre : la paroi médiale (lame papyracée éthmoïdale), le plancher (en particulier la portion située en dedans du canal infra­orbitaire), le toit de l’orbite et la paroi latérale. L’apex orbitaire correspond à l’extrémité postérieure de la pyramide orbitaire délimitée par l’os sphénoï­de. Au niveau de l’apex, on retrouve le canal optique, la ­fissu­re orbitaire supérieure et la ­fissu­re orbitaire inférieure (figure 1).
Les rapports entre l’orbite et le crâne sont étroits et résumés dans la figure 2.

Étage antérieur du crâne
L’étage antérieur est en rapport avec le toit de l’orbite. Il comprend principalement le sinus frontal, le lobe frontal et le nerf olfactif (lame criblée). Dans le cas d’une fracture du toit de l’orbite, les risques sont avant tout :
- infectieux (cellulite orbitaire, mé­ningite, abcès parenchymateux), favorisés par l’ouverture du sinus frontal ;
- lésions du lobe frontal : contusion, œdème, hématome ;
- fuites de liquide céphalo-rachidien (LCR) par la paupière et l’orbite (oculor­­rhée) ou par le nez (rhinorrhée).

Étage moyen/intermédiaire du crâne
L’étage moyen/intermédiaire est en rapport avec l’apex orbitaire. Il est principalement constitué du sinus caverneux – dans lequel chemine notamment le siphon carotidien –, de la portion latérale du pont (tronc cérébral) et de la portion médiale du lobe temporal. Un corps étranger orbitaire peut pénétrer en intracrânien par 3 voies d’accès (figure 3).

Classifications

On recense plusieurs classifications des plaies orbitaires :
- les plaies orbitaires isolées versus les plaies orbito-crâniennes. Il s’agit de la dichotomie la plus importante en pratique, car le pronostic vital du patient peut être engagé ;
- les plaies orbitaires avec ou sans corps étranger ;
- en présence d’un corps étranger, il convient de distinguer ceux survenus à haute cinétique (> 100 m/s : traumatismes balistiques) de ceux survenus à faible cinétique (< 100 m/s : bouts de bois, automutilation) ;
- les plaies orbitaires avec ou sans fracture orbitaire.

Examen clinique aux urgences

Interrogatoire
L’interrogatoire peut être non contributif (contexte ­éthylique). Il faut se renseigner auprès du patient sur le mécanisme lésionnel, la présence éventuelle d’un corps étranger et l’heure du dernier repas.

Examen ophtalmologique
L’examen ophtalmologique doit être complet (acuité visuelle [AV], lampe à fente, pression intraoculaire, fond d’œil). Dans ce contexte, l’AV est médico-légale. Une baisse d’AV importante avec un déficit pupillaire afférent relatif évoque une contusion du nerf optique, retrouvée dans les atteintes de l’apex orbitaire et de l’étage moyen du crâne. L’examen recherchera principalement une plaie du globe associée.

Examen orbitaire
L’examen orbitaire recherchera une porte d’entrée cutanée. Toute plaie, aussi banale soit-elle, peut cacher un corps étranger intraorbitaire volumineux +++. Un scanner orbitaire et cérébral est donc systématique. L’examen recherchera une exophtalmie (figures 4A et 4B), une ophtalmoplégie avec ou sans diplopie binoculaire, un emphysème cutané à la palpation (témoin d’une fracture orbitaire avec communication sinusienne ou d’une cellulite nécrosante à germes anaérobies). Une ophtalmoplégie associée à une hypoesthésie frontale réalise un syndrome de l’apex orbitaire évocateur d’une lésion de la fissure orbitaire supérieure. Si elle est associée à une hypoesthésie du nerf V2, une lésion du sinus caverneux doit être suspectée. Des photographies et un mot dans le dossier sont systématiques.

Examen neurologique
L’examen neurologique est généralement réalisé par l’urgentiste : score de Glasgow, état de somnolence (atteinte frontale et/ou du tronc), motricité des 4 membres, syndrome méningé, recherche de rhinorrhée et anosmie.

Prise des constantes
Température, tension artérielle et saturation (atteinte tronc cérébral).

Imagerie en urgence

Scanner orbitaire et cérébral
Le scanner orbitaire et cérébral (± injecté) est l’examen de choix en urgence. Il est systématique dans le cas d’une plaie orbitaire. L’étude de l’orbite recherchera la présence d’un corps étranger et de fractures. Le scanner doit être réalisé en coupes fines millimétriques et interprété dans les 3 plans de l’espace, si possible avec des reconstructions en 3D. Les corps étrangers végétaux en bois représentent un véritable piège diagnostique +++. Le bois sec est hypodense et peut être confondu avec un emphysème orbitaire, surtout dans le cas d’une fracture orbitaire associée (figures 4C et 4D). Le bois humide, quant à lui, a une densité souvent identique à celle du parenchyme cérébral. Les corps étrangers métalliques et en plastique sont généralement hyperdenses.

Étude de l’étage antérieur
L’étude de l’étage antérieur du crâne recherchera une fracture du toit de l’orbite, et notamment de la paroi postérieure du sinus frontal en raison du risque de méningite et d’oculorrhée/rhinorrhée associée.

Étude de l’étage moyen
L’étude de l’étage moyen du crâne recherchera la présence d’un corps étranger, une fracture de l’os sphénoïde, une lésion hémorragique du sinus caverneux, et vérifiera l’état du tronc cérébral et de lobe temporal.

IRM orbitaire
L’IRM orbitaire est indiquée si l’on suspecte la présence d’un corps étranger végétal en bois. Elle est contre-indiquée dans le cas d’un corps étranger métallique/ ferro-magnétique.

Artériographie, angio-scanner, angio-IRM
L’artériographie, l’angio-scanner ou l’angio-IRM sont recommandés dans le cas d’une lésion de l’étage moyen, à la recherche d’une atteinte du siphon carotidien et du sinus caverneux. Ces examens sont généralement réalisés en urgence différée.

Traitement

Dans tous les cas
On procède à une hospitalisation, idéalement dans un centre hospitalier universitaire (CHU) proche possédant un service de neurochirurgie. Un traitement antibiotique est systématique : il doit couvrir les germes anaérobies et disposer d’une pénétration suffisante dans le LCR. Les antibiotiques suivants sont généralement associés au métronidazole : amoxicilline + acide clavulanique ou clindamycine ou lévofloxacine pour une durée de 7 à 10 jours. Un rappel antitétanique est systématique en cas de doute. Les vaccinations antipneumococcique et anti-Haemophilus doivent être réalisées en présence d’une brèche méningée. L’usage de la cortisone est déconseillé dans ce contexte septique.

Dans le cas d’une plaie orbitaire isolée (figures 4E et 4F)
Les corps étrangers végétaux doivent être retirés en raison du risque de surinfection. Les corps étrangers métalliques peuvent être laissés en place si leur extraction est jugée trop dangereuse. Le timing idéal est non consensuel. Dans notre expérience, l’exérèse en urgence permet de diminuer le risque de surinfection et de s’affranchir de la fibrose, qui pourrait compliquer l’exérèse du corps étranger. La voie d’abord est toujours, dans la mesure du possible, celle que le corps étranger a empruntée. Des prélèvements bactériologiques par écouvillon sont systématiques. Une dissection douce est réalisée autour du corps étranger afin de le mobiliser et l’extraire en monobloc. Il est ensuite envoyé en bactériologie ± mycologie ± parasitologie (amibe). Un lavage abondant de la cavité est réalisé (rifamycine diluée ou bétadine diluée). Dans le cas d’une fracture orbitaire associée, cette dernière peut être réparée secondairement compte tenu du risque de surinfection lié à la pose d’un matériel d’ostéo­synthèse.

Dans le cas d’une plaie orbito-crânienne
Une prise en charge pluridisciplinaire en double équipe avec les neurochirurgiens est indispensable. L’état neurologique guidera l’urgence du traitement. Schématiquement :
- lésion de l’étage antérieur : voie d’abord bicoronale, cranialisation du sinus frontal, exérèse du corps étranger sous contrôle direct de la vue, réparation des fractures frontales, plastie de dure mère, drain lombaire si besoin ;
- lésion de l’étage moyen : un bilan neuro-radiovasculaire doit être réalisé au moindre doute sur une complication carotido-caverneuse. La chirurgie est réalisée en urgence en présence de troubles neurologiques (lésion du tronc cérébral +++).

Complications

Elles dépendent de la topographie lésionnelle.
- Plaies orbitaires isolées : cécité, cellulite orbitaire, diplopie binoculaire, énophtalmie, ptosis.
- Lésion de l’étage antérieur du crâne : fuite de LCR ; oculorrhée (figure 5) ou rhinorrhée, encéphalocèle et complications infectieuses (méningite, abcès frontal, cellulite orbitaire), anosmie.
- Lésions de l’étage moyen du crâne : décès, fistule carotido-caverneuse, anévrysme traumatique, atteinte des nerfs crâniens.

Conclusion : que faut-il retenir ?

- Toute plaie orbitaire est une plaie orbito-crânienne jusqu’à preuve du contraire. Un examen neurologique et un scanner orbito-crânien doivent être systématiquement réalisés.
- Ne pas se fier à l’aspect faussement rassurant d’une plaie : toute plaie palpébrale, même punctiforme, peut dissimuler un énorme corps étranger intraorbitaire pouvant conduire à un retard diagnostique et thérapeutique préjudiciable.
- Le bois sec est matérialisé par une hypodensité sur le scanner pouvant être injustement interprétée comme un emphysème orbitaire, surtout dans le cas d’une fracture orbitaire associée. Dans ce cas très précis, une IRM orbitaire doit être réalisée.
- Dans le cas d’une plaie orbito-crânienne, il conviendra de distinguer les plaies intéressant l’étage antérieur du crâne de celles concernant l’étage moyen. Une prise en charge pluridisciplinaire avec les neurochirurgiens est alors obligatoire.
- L’extraction d’un corps étranger doit systématiquement s’effectuer au bloc opératoire, jamais aux urgences !

Remerciements au Dr Antoine Gennari, chef de clinique dans le service de neurochirurgie au CHU de Nice, pour sa relecture et ses corrections. 

Auteurs

  • Arnaud Martel

    Ophtalmologiste

    Service d'ophtalmologie, Hôpital Pasteur 2, CHU de Nice

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