Les innovations en cornée :
ARVO et World Cornea Congress

Deux congrès internationaux récents, le WCC et l’ARVO, ont permis de faire le point sur les innovations actuelles et à venir en matière de pathologies et thérapeutiques cornéennes. Le World Cornea Congress a lieu tous les 4 ans. La dernière édition s’est déroulée à Chicago en septembre 2022. L’ARVO s’est tenu cette année à la Nouvelle-Orléans.

Dystrophie de Fuchs
La dystrophie de Fuchs est une des pathologies cornéennes qui suscitent le plus de travaux de recherche. C’est une pathologie de l’endothélium cornéen à prédisposition génétique liée à l’âge, au statut hormonal et au tabac. Son importance augmente actuellement du fait du vieillissement de la population des pays industrialisés. Elle est devenue dans ces pays la première indication des greffes de cornée. L’évolution s’est faite au cours des 20 dernières années de la kératoplastie transfixiante à la greffe endothéliale (DSAEK puis DMEK). L’étape suivante est la thérapie cellulaire qui va consister à injecter dans la chambre antérieure des cellules endothéliales cornéennes humaines cultivées. Cette thérapie innovante a été développée par le groupe de Shigeru Kinoshita au Japon. Plus de 60 patients ont été traités avec succès avec cette thérapeutique. Les résultats sont aussi bons que ceux de la DMEK et les cellules endothéliales greffées semblent mieux survivre après la greffe que celles d’un greffon de DMEK. Shigeru Kinoshita a été honoré par le prix du WWC pour son travail mené sur plusieurs décennies qui a abouti à cette avancée majeure. L’étape suivante sera la transposition de cette thérapeutique dans d’autres centres hors du Japon. Sa dissémination sera bien sûr fonction de son coût et des possibilités de transfert des cellules depuis le centre de production vers le centre greffeur. Pour ce faire, la congélation des cellules cultivées est en cours de développement, avec de bons résultats chez l’animal.
Actuellement, aucun traitement visant à freiner ou à arrêter le développement de la dystrophie de Fuchs n’est disponible. Néanmoins les travaux de recherche pour atteindre cet objectif sont nombreux. Une première voie concerne les thérapeutiques qui ciblent les mitochondries. En effet, une diminution du nombre et une fragmentation des mitochondries, associée à une perte de la fonction mitochondriale, a été démontrée dans les cellules endothéliales de dystrophie de Fuchs. Les molécules candidates proposées sont des analogues de synthèse de l’ubiquinone (co-enzyme Q 10). Une deuxième voie prometteuse concerne le facteur de transcription TCF4. En effet, les anomalies génétiques les plus fréquentes dans cette dystrophie sont une répétition d’un triplet de nucléotides dans le gène de TCF4. Une édition du gène à l’aide des ciseaux à ADN CRISPR/Cas 9 pourrait permettre de réaliser une thérapie génique. Une telle thérapie a été réalisée expérimentalement dans un modèle murin muté pour le collagène 8a. La troisième voie de recherche concerne les inhibiteurs des rho kinases. Ces molécules stimulent la prolifération et la migration des cellules endothéliales et augmentent la transcription et la traduction des gènes des protéines impliquées dans les fonctions de pompe et de barrière endothéliales. Le ripasudil, utilisé hors de France dans le traitement du glaucome, pourrait être utile comme traitement adjuvant de la DSO (Descemet stripping only). Cette intervention consiste à enlever la partie centrale de la membrane de Descemet (descemétorhexis) chez des patients ayant un œdème cornéen central avec un endothélium périphérique préservé. Le ripasudil pourrait accélérer la migration des cellules endothéliales de la périphérie vers le centre, ce qui permettrait la résolution de l’œdème cornéen. Enfin, un neuropeptide, l’alpha-Melanocyte Stimulating Hormone (α-MSH), pourrait constituer une quatrième voie de traitement car il permettrait d’éviter le développement de la dystrophie dans un modèle murin de la maladie.
Une intervention plus en amont paraît actuellement envisageable. On sait que l’apoptose et le stress oxydatif sont des mécanismes majeurs de la physiopathologie de la maladie. Récemment, un blocage de la cellule endothéliale en phase G2/M du cycle cellulaire a été démontré. Cela conduit à une sénescence cellulaire et une dégénérescence de l’endothélio-Descemet. La raison pour laquelle la dystrophie est plus sévère et fréquente chez les femmes que chez les hommes n’est pas connue. Des travaux récents montrent que l’association de l’exposition aux ultraviolets A, au tabagisme ou aux œstrogènes contribue au blocage de la cellule endothéliale en G2/M. En pratique, il paraît dès lors licite de conseiller aux patients présentant une cornea guttata de se protéger des rayonnements solaires et d’éviter de fumer.

Atteintes cornéennes liées aux anticancéreux
Une session du WCC a été consacrée aux effets secondaires cornéens des nouveaux médicaments anticancéreux. Les molécules potentiellement toxiques pour la cornée sont des immunothérapies (inhibiteurs des check points, récepteurs antigéniques chimériques des lymphocytes T [CAR-T], vaccins, anticorps monoclonaux ciblant la tumeur [belantamab mafodotin]), des inhibiteurs de la sérine-thréonine kinase BRAF souvent associés aux inhibiteurs de MEK (mitogen-activated extracellular signal-regulated kinase) et des inhibiteurs du récepteur de l’EGF. Les effets secondaires cornéens rapportés sont des microkystes épithéliaux périphériques réversibles après l’arrêt du traitement, une sécheresse oculaire, des kératites immunitaires et des perforations.

Chirurgie réfractive
En matière de chirurgie réfractive, une étude rétrospective réalisée à partir de la base de données TriNetX qui inclut des millions de patients a permis d’identifier 244 393 patients ayant subi une chirurgie réfractive. Ces patients ont été appariés au même nombre de patients présentant une amétropie non opérée. Le groupe opéré avait des taux plus faibles d’épisodes de dépression (risque relatif [RR] 0,80), d’utilisation des antidépresseurs (RR 0,78), de symptômes de sécheresse oculaire (RR 0,96), de douleurs chroniques (RR 0,89) et de névralgies du trijumeau (RR 0,84) que le groupe non opéré. Ce résultat est rassurant car beaucoup de patients ont été opérés d’une chirurgie réfractive et certains présentent des signes de dépression (allant parfois jusqu’au suicide), de sécheresse ou des douleurs sans que l’on puisse établir formellement un lien de causalité entre la chirurgie et les symptômes. Cette étude tend à dédouaner la chirurgie réfractive.

Cicatrices cornéennes
Un dernier domaine de pathologie cornéenne dans lequel la recherche est très active est celui des cicatrices stromales (taies cornéennes) retentissant sur la vision. Elles sont la conséquence d’une infection, d’un traumatisme, d’un kératocône ou d’une kératite. Leur seul traitement est actuellement la greffe de cornée mais de nouvelles approches thérapeutiques sont en cours de développement. Il s’agit des cellules souches du stroma et de leurs dérivés, des exosmoses, qui contiennent des protéines d’intérêt et des fragments d’ARN. Ces thérapeutiques permettent chez l’animal de restaurer la transparence cornéenne par un effet direct ou bien paracrine par l’intermédiaire des kératocytes du stroma cornéen. Une première preuve de concept a été démontrée chez l’homme grâce à l’utilisation des cellules en application superficielle (effet paracrine).
Toutes ces avancées montrent que la recherche sur la cornée est très dynamique et que la translation des innovations du laboratoire à la clinique se fait activement. Nombre de traitements actuels (DMEK et thérapie cellulaire notamment) auraient paru être du domaine virtuel il y a 20-30 ans. Ils sont aujourd’hui du domaine de la clinique quotidienne.

Auteurs

  • Vincent Borderie

    Ophtalmologiste

    CHNO des Quinze-Vingts, Sorbonne université, Paris

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