Lentilles multifocales : principes de fonctionnement et nouveautés
La connaissance des géométries de lentilles permet d’orienter le choix de la lentille de première intention selon l’amétropie, les habitudes de port antérieures, le désir d’un port quotidien ou occasionnel… Il existe 2 grandes classes de lentilles : vision alternée et vision simultanée. La lentille universelle confortable et donnant une vision nette à toutes distances reste à découvrir, entre-temps le succès dépend de la bonne corrélation entre géométrie et bonne indication.
Les lentilles souples
Ce sont les plus diffusées, elles reposent sur le principe de vision simultanée.
Deux géométries principales (figure 1)
Asphérique progressive
Leur surface est entièrement progressive, ce qui génère une aberration sphérique contrôlée. Cette asphéricité entraîne une variation continue de puissance de la vision de loin (VL) à la vision de près (VP), en passant par toutes les puissances intermédiaires.
Ce profil d’addition présente 2 avantages : il y a peu de perte d’énergie lumineuse et il existe une bonne vision intermédiaire.
Les inconvénients sont liés à l’accumulation d’images très proches, ce qui complique le tri cortical très sollicité. Cela peut entraîner des sensations de flou ou de relief.
D’autre part, les changements VL/VP sont interdépendants.
Sphéro-asphérique progressive
La surface optique multifocale voit l’alternance de plages de correction sphériques avec des plages asphériques. Seule la plage intermédiaire est asphérique et elle est entourée d’une zone centrale sphérique et d’une plage périphérique également sphérique (on parle de zones stabilisées).
L’avantage de ces géométries tient à la qualité des images, équivalente à celle des lentilles sphériques. Le tri cortical s’en trouve facilité.
Le changement VL/VP reste indépendant.
Deux géométries originales
Concentrique
Combinaison d’anneaux concentriques et d’un profil asphérique. La taille et le nombre des anneaux varient en fonction des puissances d’addition. L’intérêt est sa relative indépendance des variations pupillaires.
La zone centrale est consacrée à la VL.
Bifocale à zone optique décentrée
Deux zones optiques sphériques : une centrale pour la VL, une paracentrale légèrement décalée en nasal pour la VP (pour suivre le positionnement de la pupille dans le regard en bas et en dedans).
Ce n’est pas une lentille à translation, elle repose sur le jeu pupillaire : la pupille étant devant les 2 zones a des proportions variables en fonction de la taille pupillaire, de la luminosité, du myosis accommodatif et du décentrement pupillaire avec la convergence. Elle possède en outre un système de stabilisation qui lui permet de rester toujours dans la même position, condition indispensable au passage VL/VP.
L’intérêt de ce type de géométrie est la totale indépendance entre la VL et la VP, avec des zones sphériques stabilisées.
L’inconvénient réside dans la nécessité absolue d’un positionnement correct et stable.
Répartition des zones optiques
La répartition et la taille des zones optiques sur la surface des lentilles multifocales est un paramètre propre à chaque marque et déterminant dans le succès des adaptations.
Rappelons que ce sont les rayons passant par la zone optique centrale qui sont favorisés par le cerveau.
Donc, selon que la zone optique centrale est destinée à la VL ou à la VP, l’effet ressenti n’est pas le même à correction égale.
Toutes les lentilles asphériques sont à VP centrale et pupillo-dépendante, contrairement aux lentilles sphéro-asphériques qui sont proposées dans les 2 versions et qu’il est donc possible d’utiliser pour un patient soit en mode symétrique (soit 2 CD – Center Distance –, soit 2 CN – Center Near –), soit en mode asymétrique (1 CD + 1 CN).
Le mode asymétrique permet de gagner en qualité de vision aussi bien en VL qu’en VP, en procurant une certaine indépendance pupillaire.
Les lentilles concentriques sont faites d’une alternance concentrique de VL et de VP, ce qui permet une certaine indépendance du jeu pupillaire et du centrage.
Taille des zones optiques
De nombreuses études ont été réalisées sur la pupille, son diamètre, sa localisation par rapport à l’axe optique et ses variations en fonction de l’amétropie, la luminance ambiante, la proximité de l’objet et l’âge du sujet.
La luminance ambiante et le myosis accommodatif sont des éléments qui, depuis toujours, ont été pris en compte dans l’élaboration des géométries multifocales.
En revanche, peu de lentilles multifocales tiennent compte de l’amétropie et du degré de presbytie : la taille de la pupille est statistiquement plus large chez les myopes que chez les hypermétropes. Elle diminue avec l’âge, moyen bien commode d’augmenter la profondeur de champ et d’éliminer certaines aberrations.
Nous disposons maintenant de lentilles « customisées » qui prennent en considération ces 2 paramètres. Ces lentilles proposent un nombre très important profils, tous différents pour un gain de précision visuelle.
Nombre d’additions
Selon les marques, les lentilles proposent 1, 2, 3 ou 4 additions. Plus nous disposons d’additions, plus il est facile d’adapter les prescriptions en fonction de l’évolution de la presbytie. Plus l’addition est forte, plus la VL risque de se dégrader.
Il est aussi important de corriger un tout jeune presbyte sans dégrader sa VL que de corriger un presbyte plus mûr sans devoir pratiquer une forte bascule pour lui procurer une VP acceptable, mais susceptible de le déséquilibrer.
Les lentilles rigides
Segmentées
La partie supérieure est dédiée à la correction de loin, la partie inférieure à la correction de près.
Un prisme alourdit la lentille pour limiter la rotation et une troncature lui permet de prendre appui sur la paupière inférieure. Une autre technique, dite slab-off, laisse le bord parfaitement circulaire, le prisme s’arrêtant à distance et la partie amincie passant sous la paupière, ce qui diminue l’inconfort (figure 2A).
Ces lentilles peuvent être bifocales, trifocales ou progressives (on ne parle alors plus de segmentation).
Elles offrent une vision alternée, l’axe visuel étant tantôt dans le foyer de loin de la lentille quand elle est en position primaire, tantôt dans le foyer intermédiaire ou de près quand le regard s’abaisse et que la paupière inférieure fait remonter la lentille (figures 2B et C).
Multifocales à vision de loin centrale
Bifocales ou progressives, ces lentilles ont une correction concentrique : la correction de loin est centrale, la correction intermédiaire (si elle existe) et celle de près sont périphériques.
La progression peut être en face arrière et les lentilles doivent être adaptées serrées pour être bien centrées ; ou en face avant, ce qui laisse une meilleure mobilité mais peut engendrer des halos ; ou encore sur les 2 faces, ce qui est plus confortable pour les fortes additions (figures 2 D et E).
Certains modèles peuvent avoir un profil torique interne, externe ou bitorique. Une lentille stabilisée par un tore interne et un grand diamètre aura un comportement mixte vision alternée/vision simultanée : on a alors intérêt à augmenter la puissance de l’addition pour compenser la diminution de la mobilité (certains fabricants anticipent en diminuant le diamètre de la zone centrale).
Multifocales à vision de près centrale
Ces lentilles fonctionnent sur le principe de vision principalement simultanée et doivent donc avoir le moins de mobilité possible.
Le panachage VL centrale/VP centrale est surtout utile chez le myope, l’anisométrope ou dans le cas d’une VP insuffisante. On peut équiper l’œil non préférentiel en profil « near », c’est-à-dire en VP centrale.
Les lentilles d’orthokératologie
Le remodelage cornéen diminue l’aplatissement périphérique (et crée une excentricité négative), avec étalement de la zone de focalisation.
Effet amélioré par des lentilles asymétriques :
• pour les myopes, l’œil préférentiel est à VL centrale qui devient progressive sur la pente de l’anneau, l’autre œil a une zone optique plus petite focalisée sur la vision intermédiaire et une pente plus marquée de l’anneau pour la VP ;
• pour les hypermétropes, la vision intermédiaire de l’œil préféré est centrale et une VL se place sur la pente du bombement central, et pour l’autre œil, c’est la VP qui est centrale et l’intermédiaire sur la pente.
Les lentilles sclérales
La plage centrale peut être, à la demande, en VP ou en VL, de diamètre modifiable. S’agissant de lentilles sans possibilité de translation, elles proposent uniquement une vision simultanée et il est préférable, dans un premier temps, de choisir une correction de près centrale.
L’éloignement de la cornée (rappelons que la clairance centrale doit avoisiner les 300 µ) rend moins prévisible le résultat réfractif.
Les lentilles hybrides
D’une mobilité comparable aux lentilles souples, les lentilles hybrides offrent une vision simultanée.
C’est une solution appréciable pour l’astigmate équipé en lentilles souples et qui devient presbyte, quand la stabilisation des lentilles souples toriques multifocales est difficile à obtenir.
Deux modèles sont disponibles en France :
- la SynergEyes Duette Progressive, VP centrale (CN) et depuis peu disponible en VL centrale (CD) pour permettre un panachage si nécessaire. Elle existe en profil « de révolution » ;
- l’EyeBrid Silicone Multifocal est depuis l’origine en panachage CD/CN et existe également en tore interne, externe et bitorique.
Quelques nouveautés 2020
En lentilles hybrides
La SynergEyes Duette Progressive a un profil Distance pour le panachage avec la Near.
Il existe 3 additions pour la N (1, 1,75 et 2,5), et toutes les additions entre +0,75 et +5,00 par 0,25 pour la D. Les diamètres centraux sont modifiables.
En lentilles souples
Le profil Low de la Miru se décline en lentilles 1 Day Upside, avec un matériau et une géométrie légèrement différents de la 1 Month, et qui est censée assurer l’équipement de presbytes jusqu’à une addition de +2,25 en jouant sur une légère bascule.
La Sweet Progressive multifocale, entièrement asphérique, renouvellement 15 jours, 4 additions et une excellente tolérance liée à la surface polymérisée avec du hyaluronate du matériau (Innofilcon A).
Une lentille à part, EDOF, avec la technologie à profondeur de champ, bénéficiant d’une progression douce, tricourbe sphérique interne (figure 3).
En lentilles d’orthokératologie
La DRL Near vient faciliter l’adaptation chez le myope presbyte, ainsi que la presbytie avancée chez l’hypermétrope (figure 4).
Pour en savoir plus
Peyre C. Presbytie et lentilles. In: Malet F, ed. Les lentilles de contact. Rapport SFO. Paris : Masson, 2009.
Colliot JP. Comment adapter simplement le presbyte en orthokératologie. Réflexions Ophtalmologiques. 2020;239.
Pauné-Fabré J, Quevedo-Junyent L. Efficacy of a new lens for overnight orthokeratology (OK) in hyperopia and his implication in presbyopia. paunevision.com.