Le point sur l’adaptation des services hospitaliers à la crise du Covid

Lors de la pandémie liée au virus Covid-19, les services hospitaliers se sont trouvés confrontés à de nombreux défis. Le premier d’entre eux a été d’assurer la continuité des soins ophtalmologiques tout en protégeant les personnels avant que la vaccination soit disponible. Lors de la première vague, l’activité d’ophtalmologie s’est trouvée réduite à la prise en charge des urgences. Par la suite, la discipline a dû s’adapter à pénuries de personnels, certains restant accaparés par les soins aux patients infectés par le Covid-19, d’autres ayant quitté l’hôpital public. Le Ségur de la santé, qui avait pour objectif de redonner de l’attractivité à l’hôpital, a constitué une réponse d’urgence à la crise. Par ailleurs, les défaillances de certains circuits d’approvisionnement ont constitué un autre problème. La pandémie a également été l’occasion de simplifier certains modes de prise en charge des patients et d’innover dans le domaine des pratiques télémédicales.

Exposition particulière des ophtalmologistes

Avec l’ORL et la stomatologie, l’ophtalmologie est l’une des spécialités où la proximité des visages entre patients et personnels de santé est la plus marquée. Cette distance réduite entre la sphère oropharyngée des patients et le visage des ophtalmologistes expose à un risque élevé de contamination par les coronavirus. Les risques particuliers liés à l’exercice de l’ophtalmologie ont été illustrés par une enquête menée auprès des internes new-yorkais pendant la première vague de contamination : avec un taux de 5,1% d’internes contaminés, l’ophtalmologie s’approchait des taux de la médecine d’urgence (6,5%) et de l’anesthésie (7,4%) [1].

Le Dr Li Wenliang, ophtalmologiste à l’hôpital central de Wuhan, décédé à l’âge de 33 ans de son infection par le Covid-19, a été la figure emblématique du lanceur d’alerte de l’épidémie (figure 1) [2]. Ayant alerté ses confrères sur des cas de SARS (Severe Acute Respiratory Syndrome) chez des patients ayant des liens avec le marché aux poissons de Wuhan, il fut sévèrement réprimandé. La police chinoise le força à signer une rétractation dans laquelle il reconnaissait avoir fait des « commentaires erronés » ayant « sévèrement perturbé l’ordre social ». Il fut ensuite infecté par un patient qu’il soignait pour un glaucome aigu. Décédé en réanimation, Li Wenliang était père d’un enfant et son épouse en attendait un deuxième.

2020 - Le début de la pandémie : assurer la permanence et la continuité des soins, y compris en période de confinement

La progression de l’épidémie et les décisions de confinement ont plongé le monde dans une phase de stupeur et de sidération. Applaudis quotidiennement par la population, les personnels de santé ont été au cœur des « services essentiels », au même titre que les autres grandes fonctions logistiques (police, pompiers, éboueurs, fournisseurs d’électricité, métiers de l’alimentaire…). De manière générale, la place de l’ophtalmologiste à cette période a consisté à poursuivre la prise en charge des urgences ophtalmologiques ou à s’intégrer – au mieux des compétences de chacun – dans des unités où les patients infectés étaient hospitalisés. Dans les cas où les difficultés d’approvisionnement en matériels se sont fait sentir, des solutions innovantes ont été mises en place, en particulier grâce à l’impression 3D de certains consommables (figure 2).

Le confinement, avec la limitation des transports, a entraîné une spectaculaire baisse des accidents de la voie publique. En revanche, la traumatologie oculaire liée aux activités de bricolage a continué à nécessiter des consultations d’urgence. De même, les poussées d’uvéite, les décollements de rétine, les glaucomes aigus ont connu la même fréquence qu’en période hors pandémie.

À ce stade de la pandémie, l’adaptation des services hospitaliers a consisté à essayer de protéger les personnels médicaux et paramédicaux en imposant les mesures barrières. Un des éléments les plus visibles a été la mise en place de plaques de plexiglas sur les lampes à fente et autres appareils d’examen (figure 3). En parallèle, l’organisation de téléconsultations a permis de distinguer les patients ayant réellement besoin d’une consultation dans les meilleurs délais de ceux pour lesquels celle-ci pouvait être différée. Pour les patients opérés de la cataracte juste avant le confinement en particulier, un contact téléphonique permettant de vérifier que la vision était améliorée et qu’ils n’avaient ni rougeur, ni douleur a permis d’éviter des déplacements à l’hôpital [3].

Dans les CHU, les activités présentielles universitaires ont été rapidement transformées en séances distancielles. Celles-ci ont été essentielles pour maintenir le contact entre internes et seniors et pour assurer la continuité de l’enseignement.

En mai 2020, à la fin de la période de confinement, l’activité a repris avec la mise en place de jauges, l’espacement des patients et un étalement des plages de consultation (figure 4). À ce stade, l’un des facteurs de restriction de l’activité d’ophtalmologie était dû à l’indisponibilité des personnels – en particulier d’anesthésie-réanimation – encore accaparés par les soins aux patients infectés par le Covid-19 [4]. Pour pallier le manque de ressources, l’allégement des procédures pour la chirurgie de la cataracte a été généralisé selon des modalités qui avaient émergé avant la pandémie [5]. L’abandon de la consultation d’anesthésie pour toutes les interventions sous anesthésie topique a notamment été définitivement entériné. Les circuits de prise en charge ont été simplifiés pour réduire le plus possible la durée de présence avant et après les interventions.

2021 : les services d’ophtalmologie à l’heure de la vaccination et du passe sanitaire

En dépit de la généralisation de la vaccination, les services hospitaliers d’ophtalmologie ont continué à devoir modifier leur organisation pour faire face aux conséquences de la pandémie. La première des difficultés a été de devoir s’adapter au manque chronique de personnel, en particulier d’infirmiers de bloc opératoire. Plusieurs raisons expliquent cette pénurie. Dans un premier temps, celle-ci était due à l’affectation de personnel dans des services participant à la prise en charge de ces patients infectés par le Covid-19. Toutefois, la réduction du nombre de patients hospitalisés a montré que les motifs réels de cette situation étaient bien plus profonds, avec une véritable crise de l’attractivité de l’hôpital. Le Ségur de la santé a apporté une réponse financière au problème, mais avec des salaires mensuels nets revalorisés après 5 ans d’ancienneté à 1 839 € pour un aide-soignant et 2 207 € pour un infirmier, ces niveaux de rémunération restent trop faibles pour attirer les personnels, en particulier en région parisienne ou dans les autres grandes agglomérations urbaines françaises.
Les services hospitaliers d’ophtalmologie ont donc dû s’adapter à cette pénurie en limitant leur programmation d’actes chirurgicaux, tandis que dans le même temps, la demande d’interventions de patients contraints de différer leurs rendez-vous en raison de la pandémie augmentait. Un allongement des délais entre rendez-vous de consultation et rendez-vous opératoires s’est donc ensuivi. Dans certains cas, les difficultés des services hospitaliers ont accentué le déséquilibre entre l’offre de soins des établissements privés et celle des hôpitaux publics.

2022 : où en est-on ?

Comme dans de nombreux autres secteurs de la société, la pandémie liée au Covid-19 a été pour l’hôpital public un révélateur de maux qui préexistaient depuis longtemps. La lourdeur de la bureaucratie hospitalière, la gouvernance centralisée et le défaut d’attractivité de l’hôpital public sont apparus de manière plus éclatante. Si la prise de conscience de ces problèmes est partagée, les solutions proposées diffèrent radicalement selon les points de vue. L’ophtalmologie hospitalière a plutôt bénéficié de la tarification à l’activité (T2A), laquelle a incité l’administration des hôpitaux à donner aux services les moyens de développer leur activité. Sa remise en question risquerait de pénaliser fortement les secteurs hospitaliers d’ophtalmologie, forts consommateurs d’équipements coûteux. Le retour au « budget global », c’est-à-dire à une dotation hospitalière fixe, priverait alors les hôpitaux de toute incitation à investir dans ces domaines.
Les choix politiques à venir seront déterminants pour l’avenir des services hospitaliers. La sortie de la crise liée à la pandémie de Covid-19 peut aboutir à une autonomie accrue des services et à la mise en place de mécanismes de renforcement de l’attractivité hospitalière pour toutes les catégories de personnel, tout en rationalisant les circuits de prise en charge des patients. Toutefois, un autre destin ne peut être exclu : celui qui verrait l’hôpital public restreindre encore davantage son activité à la prise en charge des urgences et de la réanimation, tandis que l’apoptose des services hospitaliers d’ophtalmologie serait inévitable.

Références bibliographiques
[1] Breazzano MP, Shen J, Abdelhakim AH et al. New York City COVID-19 resident physician exposure during exponential phase of pandemic. J Clin Invest. 2020;130(9):4726-33.
[2] Petersen E, Hui D, Hamer DH et al. Li Wenliang, a face to the frontline healthcare worker. The first doctor to notify the emergence of the SARS-CoV-2, (COVID-19), outbreak. Int J Infect Dis. 2020;93: 205-7.
[3] Toro MD, Brézin AP, Burdon M et al. Early impact of COVID-19 outbreak on eye care: Insights from EUROCOVCAT group. Eur J Ophthalmol. 2021;31(1):5-9.
[4] Clausener M. La crise de la COVID-19. Bulletin de l’ordre national des médecins. 2022;78:8-9.
[5] Tognetto D, Brézin AP, Cummings AB et al. Rethinking elective cataract surgery diagnostics, assessments, and tools after the covid-19 pandemic experience and beyond: Insights from the EUROCOVCAT group. Diagnostics (Basel). 2020;10(12):1035.

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