Lasik et polyarthrite rhumatoïde : conduite à tenir
Nous rapportons le cas d’une patiente de 53 ans, opérée de presbyLasik le 30 avril 2020 lors du premier confinement. Elle se présente aux urgences du CHU de Bordeaux 2 semaines après pour une sensation de corps étranger, associée à une baisse d’acuité visuelle sévère de son œil droit. À l’interrogatoire, on retrouve comme antécédent principal une polyarthrite rhumatoïde (PR) traitée par méthotrexate, avec une poussée inflammatoire récente datant de moins de 6 mois.
Observation
L’examen aux urgences met en évidence une dislocation du capot avec nécrose inférieure du volet et doute sur une kératite infectieuse surajoutée (figure 1). L’acuité visuelle sans correction est à « compte les doigts » (vs 10/10 P4 OG). La patiente est donc hospitalisée et opérée en urgence pour repositionnement du capot et irrigation de l’interface par des antibiotiques fortifiés. L’évolution n’est pas satisfaisante et nous décidons de réaliser une amputation du capot de Lasik 4 jours après (figure 2). Aucun germe n’est retrouvé et le bilan biologique ne met pas en évidence de syndrome de Gougerot-Sjögren secondaire.
La réépithélialisation est complète au bout d’une semaine mais à distance, il persiste un haze limitant la récupération visuelle (3/10 à M6 avec -1 (-0,75) 45°) malgré une régularisation progressive de la topographie (figure 3). La patiente, ambulancière, ne peut plus travailler et présente une photophobie invalidante au quotidien.
Discussion
La PR est une maladie auto-immune systémique considérée comme une contre-indication relative à la chirurgie réfractive (FDA 1990, ASCRS 2002), car pouvant entraîner des réponses inflammatoires et immunitaires anormales et non prévisibles.
Alio et al., sur une série de 44 patients atteints de maladies rhumatismales inflammatoires, dont 9 de PR, ne retrouvent pas de complication postopératoire grave [1]. Ils notent 4 cas de syndromes secs oculaires non résolutifs sous traitement lubrifiant seul. Étaient inclus uniquement les patients sans poussée inflammatoire récente, c’est-à-dire de moins de 6 mois.
D’autres études, telles que celles de Cobo-Soriano et al. ou de Smith et al., ne retrouvent pas de complication postopératoire sévère non plus mais les critères d’inclusion sont stricts : pas d’atteinte oculaire active, pas de poussée inflammatoire dans les 6 mois, pas de syndrome de Gougerot-Sjögren secondaire [2,3].
Cependant, il, existe dans la littérature des case reports de kératolyses aseptiques ou de kératites ulcéreuses périphériques survenant dans les suites de Lasik réalisés chez des patients atteints d’une PR [4].
Il faudra dans tous les cas éviter la réalisation d’une chirurgie réfractive dans un contexte de maladie auto-immune. En cas d’exigence professionnelle par exemple, si et seulement si les conditions suivantes sont respectées, une chirurgie réfractive peut être envisagée :
- absence de poussée inflammatoire dans les 6 derniers mois ;
- consultation avec le rhumatologue en préopératoire ;
- monothérapie seule ;
- réalisation d’un dosage des anticorps anti-SSa et anti-SSb attestant de l’absence d’un syndrome de Gougerot-Sjögren secondaire ;
- confirmation, lors de la consultation préopératoire, de l’absence de syndrome sec oculaire (réalisation systématique du BUT et du test de Schirmer).
Références bibliographiques
[1] Alió JL, Artola A, Belda JI et al. LASIK in patients with rheumatic diseases: a pilot study. Ophthalmology. 2005;112(11):1948-54.
[2] Cobo-Soriano R, Beltrán J, Baviera J. LASIK outcomes in patients with underlying systemic contraindications: a preliminary study. Ophthalmology. 2006;113(7):1118.e1-8.
[3] Smith RJ, Maloney RK. Laser in situ keratomileusis in patients with autoimmune diseases. J Cataract Refract Surg. 2006;32(8):1292-5.
[4] Lahners WJ, Hardten DR, Lindstrom RL. Peripheral keratitis following laser in situ keratomileusis. J Refract Surg. 2003;19(6):671-5.