La thérapie génique : une réalité en ophtalmologie ?
Jusqu’au début de l’année 2018, la thérapie génique, qui est l’apport d’un gène « médicament » à une cellule cible, était pour l’ophtalmologie encore synonyme de recherche, d’hypothétique traitement éloigné de notre pratique. Or, cette année, le premier médicament de thérapie génique avec une indication en ophtalmologie a été approuvé par la FDA (Food and Drug Administration).
Ce médicament, le Luxturna® (voretigene neparvovec-rzyl), est pour le moment seulement disponible aux États-Unis. Il a pour indication le traitement de l’adulte ou de l’enfant ayant une dystrophie rétinienne secondaire à une mutation biallélique confirmée du gène rpe65. Il faut toutefois que les patients aient encore suffisamment de cellules rétiniennes viables pour pouvoir bénéficier de ce traitement. L’autorisation auprès de la FDA a été obtenue sur l’amélioration des capacités de déplacement des patients lors de luminosités scotopiques au cours d’une étude de phase III réalisée chez 29 sujets [1]. Cette étude, chez les patients traités, a également montré une amélioration des acuités visuelles et des sensibilités rétiniennes lors des enregistrements FST après la réalisation du traitement [1]. Le produit peut être injecté chez des enfants de plus de 12 mois. Il est administré par une injection sous-rétinienne à chaque œil à quelques jours d’intervalle. L’administration doit être encadrée d’une prise de corticoïdes per os. Les mises en garde concernant l’utilisation de ce médicament sont le risque d’endophtalmie, de déclin permanent de l’acuité visuelle et des anomalies rétiniennes, d’augmentation de la pression intraoculaire, d’expansion des bulles d’air intraoculaires, et de cataracte à la suite de l’injection. Pour l’Europe, la demande d’autorisation de mise sur le marché (AMM) est en cours auprès de l’Agence européenne des médicaments (EMA).
L’amaurose congénitale de Leber a ouvert la voie
Ce nouveau médicament de thérapie génique en ophtalmologie est probablement le premier d’une série. En effet, dans le monde, quarante essais cliniques de thérapie génique ont été déposés sur le site officiel « clinical trial ». Le tableau rappelle toutes les indications ophtalmologiques de ces divers essais, les divers gènes à l’étude, les phases des essais, les numéros des essais ainsi que leurs critères d’inclusion et le lieu des recherches. Historiquement, c’est l’amaurose congénitale de Leber liée à la mutation du gène rpe65 qui a été la première maladie ophtalmologique génétique étudiée. L’équipe de Jean Bennett a été la première à publier des résultats de sécurité de ces essais cliniques en 2008 [2]. Au total, 6 équipes différentes ont publié leurs résultats concernant la thérapie génique des mutations du gène rpe65 (tableau). Toutes ces études rapportent une sécurité générale des injections de vecteurs AAV-rpe65 en sous-rétinien. Les améliorations fonctionnelles suite à l’injection unilatérale de ces vecteurs varient d’un sujet à l’autre, mais il est notamment rapporté des modifications plus ou moins importantes du niveau d’acuité visuelle et de la sensibilité du champ visuel [3-5] ou de la surface du champ visuel [6]. Il est aussi décrit une diminution du nystagmus [7] avec le développement d’une fixation de suppléance [8]. Le déplacement de ces patients, qui présentent une dystrophie rétinienne de type bâtonnets-cônes, est modifié par le traitement, avec une diminution du temps de déplacement associée à une diminution du nombre de percussions, notamment en faible éclairage lors d’un parcours minuté [7,9]. Les enregistrements d’IRM fonctionnelles, chez les patients, montrent des modifications de l’activité corticale suite aux injections [10]. L’équipe de Bennett a montré qu’il était possible de réaliser une injection dans les 2 yeux sans réaction immunitaire [11].
Des essais en cours pour d’autres maladies rétiniennes
Le traitement d’autres maladies rétiniennes héréditaires a également été étudié. Ces dernières années, il y a eu plusieurs déposes de dossiers d’essais cliniques concernant la choroïdérémie liée à l’X. Les premiers résultats de Mac Laren concernant cette maladie montrent une augmentation de la sensibilité rétinienne et le développement d’une fixation de suppléance au niveau des yeux traités suite à l’injection [12]. D’ailleurs, une étude de phase III va débuter. Concernant l’atrophie optique de Leber, actuellement seule la mutation G11778A, la plus fréquente en Europe, bénéficie de ces essais cliniques dont certains sont déjà en phase III. Ces essais ont démonté une sécurité des injections intravitréennes des produits de thérapie génique [13], avec parfois une hypertonie oculaire transitoire ou une inflammation oculaire résolutive sous traitement anti-inflammatoire [14]. L’acuité visuelle semble être améliorée suite aux injections [13,14]. Les autres maladies rétiniennes dont le traitement par thérapie génique est étudié sont l’achromatopsie, la maladie de Stargardt, le syndrome de Usher de type 1 lié au gène MYO7A, le rétinoschisis lié à l’X, les dystrophies rétiniennes liées au gène Mertk, au gène Pde6ß, au gène RLBP1, ou à l’X (tableau).
Cette dernière année, un traitement de thérapie génique en ophtalmologie a vu le jour. Le nombre d’essais cliniques actuellement en cours laisse à penser que nous devrions avoir à notre disposition dans les années futures des médicaments de thérapie génique pour nos patients atteints de maladies rétiniennes héréditaires.
Références bibliographiques
[1] Russell S, Bennett J, Wellman JA et al. Efficacy and safety of voretigene neparvovec (AAV2-hRPE65v2) in patients with RPE65-mediated inherited retinal dystrophy: a randomised, controlled, open-label, phase 3 trial. Lancet. 2017;390(10097):849-60.
[2] Maguire AM, Simonelli F, Pierce EA et al. Safety and efficacy of gene transfer for Leber’s congenital amaurosis. N Engl J Med. 2008; 358(21):2240-8.
[3] Maguire AM, High KA, Auricchio A et al. Age-dependent effects of RPE65 gene therapy for Leber’s congenital amaurosis: a phase 1 dose-escalation trial. Lancet. 2009;374(9701):1597-605.
[4] Jacobson SG, Cideciyan AV, Ratnakaram R et al. Gene therapy for Leber congenital amaurosis caused by RPE65 mutations: safety and efficacy in 15 children and adults followed up to 3 years. Arch Ophthalmol. 2012;130(1):9-24.
[5] Weleber RG, Pennesi ME, Wilson DJ et al. Results at 2 years after gene therapy for RPE65-deficient Leber congenital amaurosis and severe early-childhood-onset retinal dystrophy. Ophthalmology. 2016;123(7):1606-20.
[6] Le Meur G, Lebranchu P, Billaud F et al. Safety and long-term efficacy of AAV4 gene therapy in patients with RPE65 Leber congenital amaurosis. Mol Ther. 2018;26(1):256-68.
[7] Simonelli F, Maguire AM, Testa F et al. Gene therapy for Leber’s congenital amaurosis is safe and effective through 1.5 years after vector administration. Mol Ther. 2010;18(3):643-50.
[8] Cideciyan AV, Aguirre GK, Jacobson SG et al. Pseudo-fovea Formation after gene therapy for RPE65-LCA. Invest Ophthalmol Vis Sci. 2014;56(1):526-37.
[9] Bainbridge JW, Mehat MS, Sundaram V et al. Long-term effect of gene therapy on Leber’s congenital amaurosis. N Engl J Med. 2015;372(20):1887-97.
[10] Ashtari M, Cyckowski LL, Monroe JF et al. The human visual cortex responds to gene therapy-mediated recovery of retinal function. J Clin Invest. 2011;121(6):2160-8.
[11] Bennett J, Ashtari M, Wellman J et al. AAV2 gene therapy readministration in three adults with congenital blindness. Sci Transl Med. 2012;4(120):120ra15.
[12] MacLaren RE, Groppe M, Barnard AR et al. Retinal gene therapy in patients with choroideremia: initial findings from a phase 1/2 clinical trial. Lancet. 2014;383(9923):1129-37.
[13] Guy J, Feuer WJ, Davis JL et al. Gene therapy for Leber hereditary optic neuropathy: low- and medium-dose visual results. Ophthalmology. 2017;124(11):1621-34.
[14] Vignal C, Uretsky S, Fitoussi S et al. Safety of rAAV2/2-ND4 Gene Therapy for Leber hereditary optic neuropathy. Ophthalmology. 2018;125(6):945-7.