La nouvelle vague des inlays biologiques pour la chirurgie cornéenne
Les inlays cornéens synthétiques, tels les implants Raindrop Near Vision® (Optics Medical) et Kamra® (CorneaGen), arrivés sur le marché ces dernières années avaient pour but d’améliorer la vision de près chez des patients presbytes. Cependant, ils posent des problèmes de tolérance et exposent à des complications, notamment à des phénomènes inflammatoires locaux qui peuvent entraîner une opacification cornéenne. Cela a d’ailleurs conduit au retrait du marché de l’implant Raindrop Near Vision® à la suite d’une alerte de sécurité de la Food and Drug Administration (FDA) [1] américaine, puis de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) [2] (figure 1). Dans ce contexte, il apparaît judicieux de s’intéresser aux inlays biologiques, qui permettraient de s’affranchir des problématiques de biocompatibilité rencontrées avec les matériaux synthétiques.
Une histoire ancienne
Initialement développée par Barraquer dès les années 1940 pour la prise en charge de l’aphakie [3], la kératophakie consistait à utiliser un lenticule issu d’une cornée humaine sculptée selon les paramètres souhaités et à le positionner en inlay dans l’épaisseur cornéenne du patient (figure 2). La technique repose sur une addition tissulaire qui modifie la géométrie, et donc le pouvoir de réfraction de la cornée, par opposition aux chirurgies réfractives au laser Excimer qui s’appuient sur un principe de soustraction (photoablation).
Ultérieurement, Barraquer a présenté une technique chirurgicale appelée kératomileusis avec cryotraitement [4]. Le greffon obtenu par découpe cornéenne au microkératome était d’abord préparé pour résister à la congélation (cryoprotection) grâce à un trempage dans une solution de glycérine, avant d’être congelé durant 45 à 60 secondes. Il pouvait alors être sculpté à l’aide d’un cryotour (figure 3) suivant un calcul mathématique fondé sur l’épaisseur cornéenne et l’amétropie à traiter. Le greffon usiné était ensuite décongelé et nettoyé avec une solution saline, puis repositionné et suturé à la cornée du patient. Malheureusement, du fait de la congélation, la récupération visuelle était lente.
En 1987, Krumeich et Swinger ont amélioré cette technique en s’exemptant de la congélation [5] : après la découpe au microkératome, le greffon était placé contre un moule à rayon de courbure choisi selon le nombre de dioptries à corriger. Il subissait ensuite une seconde découpe au dépend de sa face stromale. Bien qu’encourageante, cette technique avait été abandonnée en raison de son manque de prédictibilité.
Le renouveau des inlays biologiques
Les inlays biologiques ont récemment été remis au goût du jour par différents groupes, dont la start-up Allotex [6]. Cette dernière fait intervenir les progrès technologiques modernes aux différentes étapes du traitement : l’OCT, le laser femtoseconde et les milieux de conservation viennent remplacer le kératomètre au disque de Placido ainsi que les découpes au microkératome et la congélation développées par Barraquer.
La préparation de l’inlay biologique est très exigeante (figure 4) : des cornées issues de donneurs et récusées pour une greffe endothéliale sont découpées au laser femtoseconde dans une atmosphère stérile en une quinzaine de lenticules. Après leur analyse en OCT, ces derniers sont sculptés au laser Excimer. Une nouvelle analyse en OCT identifie les lenticules conformes, qui sont alors stérilisés puis de nouveau contrôlés en OCT avant d’être empaquetés dans un milieu liquide riche en albumine humaine. Ils peuvent ainsi être conservés pendant 2 ans à température ambiante.
Deux types de lenticules sont actuellement développés : un pour la presbytie de petit diamètre (2,75 mm) et un autre plus grand pour l’hypermétropie (5,50 mm). Leur épaisseur est de 15 µm.
Le positionnement chirurgical du lenticule comporte 3 étapes (figure 5) : un volet cornéen, identique au LASIK, est découpé au laser femtoseconde à 110 µm de profondeur ; l’inlay biologique y est alors centré sur la pupille sur le lit stromal, et le volet réappliqué dessus.
Les promesses
Actuellement, de nombreux espoirs reposent sur l’utilisation des inlays biologiques. Leur principal intérêt serait tout d’abord d’offrir une excellente tolérance locale : en effet, contrairement aux implants synthétiques, ils préserveraient d’une réponse immunologique. Ainsi un positionnement cornéen plus antérieur qu’avec les inlays synthétiques est possible.
Leur deuxième atout majeur serait leur quasi-réversibilité. Effectivement, la possibilité de changer ou de retirer l’inlay, ainsi que l’absence de soustraction tissulaire sont en faveur de cette technique, qui nécessite néanmoins la réalisation d’un volet cornéen identique au LASIK.
Les inlays biologiques pourraient également représenter un espoir dans le traitement des fortes hypermétropies. En effet, le LASIK hypermétropique expose au risque d’une mauvaise qualité de vision, les implants phakes sont contre-indiqués chez ces patients aux chambres antérieures souvent étroites et la chirurgie du cristallin clair est réfutée chez les sujets jeunes. Par ailleurs, les patients avec une pachymétrie fine, qu’ils soient myopes, hypermétropes ou presbytes, pourraient bénéficier des inlays biologiques qui seraient directement positionnés sous la membrane de Bowman (positionnement en overlay), sans la réalisation d’un capot de LASIK. Il n’y aurait alors pas de pachymétrie minimale requise.
Enfin, même si leurs applications immédiates concernent la chirurgie réfractive, on imagine aisément l’intérêt que pourraient présenter ces inlays dans la prise en charge des irrégularités cornéennes, et notamment du kératocône.
Cependant ces espoirs théoriques permettant un traitement efficace des amétropies grâce à une chirurgie additive et réversible demandent à être confirmés par des études cliniques.
Premiers patients traités par les inlays Allotex
Une étude multicentrique européenne est actuellement menée afin d’évaluer les inlays biologiques développés par la start-up Allotex. Malheureusement, les centres français ne peuvent pour le moment inclure de patients, faute d’autorisation des autorités de santé.
Un premier groupe concerne des patients hypermétropes, de +1 à +8 D, traités de façon bilatérale. Le premier patient a été opéré en septembre 2018 [7]. Pour les 10 premiers traités [8], la meilleure acuité visuelle non corrigée a été améliorée, sans dégradation de la meilleure acuité visuelle corrigée. Le lenticule a été parfaitement intégré : il n’était visualisé ni à la lampe à fente ni à l’OCT (figure 6). Aucun cas de réaction inflammatoire ou d’opacités cornéennes n’a été observé. Pour les premiers patients, une tendance à la sous-correction a été constatée. Par la suite, un ajustement a été rapidement élaboré au moyen d’un inlay de plus grand diamètre (6,50 mm).
Le second groupe porte sur des patients emmétropes presbytes qui bénéficient d’un traitement unilatéral sur l’œil dominé afin de s’affranchir d’une correction optique de près. En postopératoire, tous ont affiché un gain en vision de près sans correction, néanmoins la moitié d’entre eux a eu une baisse de leur vision de loin non corrigée d’une ligne, en raison d’une myopisation. L’acuité visuelle corrigée n’était pas dégradée. Les topographies postopératoires retrouvaient des cornées hyperprolates avec une augmentation de la kératométrie centrale de 2,70 D en moyenne (figure 7) et parallèlement, les analyses aberrométriques mettaient en évidence une majoration des aberrations sphériques de haut degré (quatrième et sixième ordres).
Autres essais
L’équipe de Mehta (Singapour) travaille également depuis plusieurs années sur les inlays biologiques [9]. La technique, reprise dans plusieurs publications, consiste en la réalisation d’un ReLEx SMILE chez un patient myope. Le lenticule cornéen issu du SMILE est alors congelé pour être conservé, puis implanté à un patient hypermétrope.
Les études publiées montrent la faisabilité de cette procédure, notamment dans des modèles animaux. Néanmoins, la prédictibilité reste encore à améliorer. On peut également soulever les limites liées à l’absence de contrôle qualité de l’inlay biologique issu du SMILE, ainsi que la nécessité d’une congélation.
Conclusion
Les inlays biologiques offrent la promesse d’un traitement efficace des amétropies grâce à une chirurgie additive et réversible. De plus, ils apparaissent comme un véritable espoir pour des patients aujourd’hui non éligibles à la chirurgie réfractive, tels que les hypermétropes forts ou les patients ayant une pachymétrie fine. Même si la sécurité à court terme semble démontrée, des études sont encore nécessaires pour s’assurer de leur stabilité à long terme ainsi que de leur prédictibilité réfractive. L’avenir nous dira si cette procédure arrivera à se faire une place dans le paysage de la chirurgie réfractive.
Références bibliographiques
[1] Health C for D and R. Increased risk of corneal haze associated with the raindrop near vision inlay: FDA Safety Communication. https://www.fda.gov/ medical-devices/safety-communications/increased-risk-corneal-haze-associated-raindrop-near-vision-inlay-fda-safety-communication. Accessed February 9, 2020.
[2] Implants cornéens – Implants cornéens Raindrop Near Vision – Recommandations de l’ANSM - ANSM : Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. https://www.ansm.sante.fr/S-informer /Informations-de-securite-Autres-mesures-de-securite/Implants-corneens-Implants-corneens-Raindrop-Near-Vision-Recommandations-de-l-ANSM. Accessed February 9, 2020.
[3] Barraquer JI. Queratoplastia refractiva. Est e Inf. Oftal Inst Barraquer. 1949:2-10.
[4] Barraquer JI. Bases de la queratoplastia refractiva. Arch Soc Am Oftal Optom. 1965:179.
[5] Krumeich JH, Swinger CA. Nonfreeze epikeratophakia for the correction of myopia. Am J Ophthalmol. 1987;103(3 Pt 2):397-403.
[6] Allotex Clinical Trials. March 2020. https://allotex.com/clinical-trials/
[7] First patient treated in multicenter trial examining allotex transform allogenic refractive lenticules for treatment of presbyopia. Eyewire News. https://eyewire.news/articles/first-patient-treated-in-multicenter-trial-examining-allotex-transform-allogenic-refractive-lenticules-for-treatment-of-presbyopia/. Accessed February 9, 2020.
[8] Initial results with allograft corneal inlays. CRSToday. https://crstoday.com/articles/novdec-2018/initial-results-with-allograft-corneal-inlays/. Accessed February 16, 2020.
[9] Mohamed-Noriega K, Toh KP, Poh R et al. Cornea lenticule viability and structural integrity after refractive lenticule extraction (ReLEx) and cryopreservation. Mol Vis. 2011;17: 3437-49.