La dystrophie de Fuchs : une pathologie dont la compréhension et le traitement sont en plein essor (2)
Deuxième partie : la prise en charge thérapeutique
La dystrophie de Fuchs, autrefois dénommée cornea guttata, fait l’objet d’une prise en charge thérapeutique de plus en plus précoce. Le développement de la greffe endothéliale, dont les résultats visuels sont très bons, explique que la décision d’intervenir soit prise actuellement à un stade relativement précoce de la pathologie.
Quel traitement proposer devant un œdème cornéen débutant, installé ou évolué ?
Un œdème cornéen, source de brouillard matinal avec une vision conservée dans la journée, peut être amélioré par un collyre hypertonique qui réduit l’œdème matinal (ODM5R – chlorure de sodium 5%, hyaluronate de sodium 0,15%, eau purifiée, citrate trisodique dihydraté, acide citrique monohydraté, hydroxypropylméthylcellulose ; chlorure de sodium 5% – préparation pharmaceutique hospitalière). Ces collyres sont instillés le matin au réveil, voire 4 fois par jour. Ils ne sont utiles que s’ils réduisent la gêne fonctionnelle. Ils n’ont en effet pas d’impact sur l’évolution de la dystrophie.
Lorsque l’œdème cornéen entraîne une baisse de la vision, la greffe endothéliale devient utile. Elle peut être combinée, si nécessaire, à la chirurgie de la cataracte en tenant compte du shift hypermétropique. Il n’existe pas de consensus sur le niveau de vision à partir duquel la greffe devient justifiée. Les progrès techniques, depuis la greffe transfixiante jusqu’à la greffe endothélio-descemétique, ont été associés à des acuités visuelles préopératoires de plus en plus élevées. Il n’est pas rare actuellement que des patients soient greffés avec une acuité visuelle supérieure à 5/10. Dans certaines études, l’acuité préopératoire dépasse les 8/10. Il faut néanmoins considérer que tous les patients ne vont pas récupérer 10/10 en postopératoire, que le taux de survie de la greffe à moyen terme n’est pas de 100% et que les complications postopératoires générées par la greffe existent (kératite infectieuse de l’interface, glaucome, calcification de l’implant, invasion épithéliale, rejet, décompensation de la surface oculaire, décompensation endothéliale). Le taux de survie à 5 ans est de 90% pour la DMEK (Descemet Membrane Endothelial Keratoplasty) [1]. Il faut donc, comme avant toute chirurgie, évaluer le rapport bénéfice/ risque sans mésestimer les risques d’une greffe à court, à moyen et à long terme.
Les techniques de la greffe endothéliale comportent la DMEK et la DSAEK (Descemet Stripping with Automated Endothelial Keratoplasty) que l’on classe en nanofine (greffon de moins de 50 µm d’épaisseur), ultrafine (50 à 100 µm), fine (100 à 150 µm) et conventionnelle (plus de 150 µm) [2]. À terme, toutes ces techniques donnent des récupérations visuelles similaires et génèrent très peu d’aberrations d’ordre élevé. En l’absence d’une autre pathologie limitant la récupération fonctionnelle, l’acuité visuelle moyenne postopératoire est supérieure ou égale à 8/10 dans plus de 80% des cas [1]. Néanmoins, la DMEK et la DSAEK nanofine permettent les récupérations visuelles les plus rapides, de l’ordre de 1 à 6 mois, sans différence notable entre les 2 techniques [3]. Globalement, plus le greffon est épais et plus la récupération visuelle est lente. Une DSAEK fine ou conventionnelle demande plusieurs années (3 à 5 ans) pour obtenir une récupération visuelle complète, comme c’est le cas pour une greffe transfixiante.
La préparation des greffons pour la greffe endothéliale est actuellement bien codifiée. Plusieurs techniques permettent d’obtenir un greffon endothélio-descemétique ou un greffon ultrafin sans trop léser l’endothélium. L’échec de la préparation du greffon est un événement rare, passé la courbe d’apprentissage de la technique. En outre, certaines banques de tissus fournissent des greffons prédécoupés, ce qui raccourcit beaucoup le temps opératoire – la préparation du greffon est aussi longue que la greffe elle-même.
La greffe endothéliale est réalisée sous anesthésie générale ou locale, avec une incision cornéenne ou sclérale dont la taille est généralement de 2,4 mm pour la DMEK et de 4 mm pour la DSAEK. Un descemétorhexis est réalisé sous air ou sous viscoélastique. Le greffon est implanté à l’aide d’un injecteur, déplié et centré. La greffe est très largement facilitée par l’utilisation de l’OCT peropératoire, qui permet de contrôler le sens du greffon et son centrage. Un tamponnement par air ou bien par un mélange air + SF6 20% permet de maintenir le greffon le temps de la reprise de la fonction de pompe de l’endothélium greffé. Une iridectomie périphérique inférieure est nécessaire pour prévenir le blocage pupillaire. Le patient est positionné en décubitus dorsal tête à plat en postopératoire pendant environ 1 semaine. Il faut vérifier dans les heures qui suivent la greffe que la bulle d’air reste bien en chambre antérieure. Lorsqu’elle passe en chambre postérieure, elle entraîne un blocage pupillaire et une fermeture de l’angle iridocornéen avec un glaucome aigu. Cela nécessite une aspiration d’air pour lever le blocage et faire repasser l’air en chambre antérieure. Une réinjection d’air est nécessaire lorsque le greffon n’est pas partout adhérent en postopératoire – un détachement même partiel du greffon est source de perte cellulaire endothéliale postopératoire accélérée – [4]. Le taux de réinjection est plus important avec les greffons endothélio-descemétiques et nanofins qu’avec les greffons plus épais. Le traitement postopératoire comporte un collyre hypotonisant pendant quelques jours et une association corticoïde + antibiotique.
Face à un œdème cornéen évolué avec fibrose stromale, la greffe endothéliale reste toujours possible mais elle ne permet pas une récupération visuelle complète car la fibrose stromale est une lésion irréversible. Si l’on veut obtenir une bonne récupération fonctionnelle, il faut alors réaliser une kératoplastie transfixiante classique qui peut être combinée à la chirurgie de la cataracte.
La greffe de cellules endothéliales est-elle indispensable ?
Lorsqu’il existe un œdème cornéen purement central avec un endothélium cornéen périphérique encore fonctionnel, un simple descemétorhexis central (Descemet Stripping Without Endothelial Keratoplasty [DWEK] ou Descemet Stripping Only [DSO]) peut permettre une recolonisation de la cornée centrale par les cellules endothéliales périphériques et une disparition de l’œdème cornéen. La récupération fonctionnelle postopératoire est assez lente (environ 6 mois), car les cellules endothéliales migrent lentement. Un collyre inhibiteur des Rho kinases peut être utile pour favoriser la migration cellulaire endothéliale. Malheureusement, ces collyres ne sont pas disponibles en France et leur coût est très élevé. La DWEK/DSO est une technique actuellement peu répandue car la récupération visuelle est lente, avec un taux de succès inférieur à 100%, et les patients sont d’abord aggravés par la chirurgie avant d’en percevoir le bénéfice. La dernière possibilité est de réaliser une greffe de cellules endothéliales cultivées [5]. Cette greffe n’est actuellement pratiquée que par une équipe japonaise dans le cadre d’un essai clinique. Les premiers résultats sont encourageants, sans être aussi bons que ceux de la DMEK ou de la DSAEK ultra ou nanofine.
Références bibliographiques
[1] Birbal RS, Ni Dhubhghaill S, Bourgonje VJA et al. Five-year graft survival and clinical outcomes of 500 consecutive cases after Descemet membrane endothelial keratoplasty. Cornea. 2020;39(3): 290-7.
[2] Tourabaly M, Chetrit Y, Provost J et al. Influence of graft thickness and regularity on vision recovery after endothelial keratoplasty. Br J Ophthalmol. 2019;pii:bjophthalmol-2019-315180. doi: 10.1136/ bjophthalmol-2019-315180.
[3] Kurji KH, Cheung AY, Eslani M et al. Comparison of disual acuity outcomes between nanothin Descemet stripping automated endothelial keratoplasty and Descemet membrane endothelial keratoplasty. Cornea. 2018;37(10):1226-31.
[4] Oellerich S, Ham L, Frank LE et al. Parameters associated with endothelial cell density variability after Descemet membrane endothelial keratoplasty. Am J Ophthalmol. 2019;211:22-30.
[5] Kinoshita S, Koizumi N, Ueno M et al. Injection of cultured cells with a ROCK inhibitor for bullous keratopathy. N Engl J Med. 2018;378(11):995-1003.