Intérêt de l’examen du fond d’œil dans les accidents vasculaires cérébraux
S’il est actuellement facile de visualiser et d’analyser les petits vaisseaux de la rétine, il reste en revanche impossible de visualiser in vivo les petits vaisseaux cérébraux. La rétine et le cerveau partagent une origine embryologique commune et des barrières hématotissulaires semblables. L’examen des petits vaisseaux de la rétine permet ainsi d’obtenir des informations sur l’intégrité de l’arbre vasculaire cérébral. Les accidents vasculaires cérébraux (AVC) surviennent le plus souvent chez des patients hypertendus âgés de plus de 50 ans. Dans ces cas, l’examen du fond d’œil, qui n’est absolument pas indispensable, pourra retrouver des signes de rétinopathie hypertensive. À l’inverse, plusieurs études retrouvent des corrélations entre la présence d’anomalies de la vascularisation rétinienne et le risque de survenue d’un AVC.
Rétinopathie et risque d’accident vasculaire cérébral
L’Atherosclerosis Risk in Communities Study (ARIC) et la Rotterdam Study ont analysé les données de plus de 15 000 individus. Une augmentation du risque d’AVC a été corrélée avec la présence d’une rétinopathie, de rétrécissements artériolaires focaux et de croisements artérioveineux (CAV). Des résultats similaires ont été rapportés par la Blue Mountains Eye Study et la Beaver Dam Eye Study. Ces dernières associaient également la présence d’anomalies de la vascularisation rétinienne à la mortalité secondaire aux AVC et à celle des accidents cardiovasculaires thromboemboliques.
Une méta-analyse de 2018, regroupant les données de 28 études incluant 56 379 individus, a permis d’associer des anomalies de la vascularisation rétinienne spécifiques à des sous-types de lésions cérébrovasculaires ischémiques. Il est ainsi ressorti que les rétrécissements artériels focaux étaient plus souvent associés à des infarctus cérébraux avec un odds ratio (OR) de 1,75 tandis que les CAV étaient plus souvent associés aux infarctus lacunaires avec un OR de 1,70 [1].
Dans une cohorte d’environ 200 patients ayant présenté un AVC, une augmentation du calibre de l’artère ou de la veine centrale de la rétine était associée à un risque environ 4 fois plus élevé de récidive d’AVC [2]. L’examen du fond d’œil ne doit pas pour autant devenir systématique dans le bilan de tous les AVC, notamment quand ils surviennent chez des sujets de plus de 50 ans hypertendus. Dans ces cas, la mise en évidence d’une rétinopathie ne modifiera en rien la prise en charge du patient.
Anomalies de la vascularisation rétinienne et accidents vasculaires cérébraux du sujet jeune
Dans environ un tiers des cas, les AVC surviennent chez des patients de moins de 50 ans ou normotendus. Dans ces cas, l’examen du fond d’œil peut apporter des éléments pouvant orienter vers un diagnostic. Dans le cadre du Centre de référence des maladies vasculaires rares du cerveau et de l’œil (CERVCO) de l’hôpital Lariboisière, un examen du fond d’œil vient ainsi compléter le bilan neurologique de ces cas atypiques. Celui-ci est le plus souvent normal mais il permet parfois d’identifier un aspect de tortuosité artériolaire rétinienne orientant vers un syndrome de HANAC ; on retrouve un aspect typique de rétinopathie hypertensive réorientant ainsi le patient vers un diagnostic plus classique d’artériolosclérose. Le syndrome de HANAC est une vasculopathie cérébrorétinienne liée à des mutations des gènes COL4A1 et COL4A2 [3].
Le spectre clinique de ces mutations associe une leucoencéphalopathie, des AVC, une néphropathie et des tortuosités artériolaires rétiniennes. L’aspect typique correspond à une augmentation de la tortuosité des artères de deuxième et de troisième ordre au pôle postérieur. Les veines sont absolument normales. Les mutations des gènes COL4A1 et A2 entraînent une fragilité des petits vaisseaux s’exprimant par une susceptibilité aux hémorragies cérébrales, rénales et rétiniennes. Ces hémorragies peuvent survenir spontanément au décours d’un effort minime. Il n’y a en revanche pas d’altération de la barrière hématorétinienne, et donc pas de diffusion de colorant en angiographie à la fluorescéine. En angiographie en tomographie en cohérence optique (OCT-A) les anomalies vasculaires sont retrouvées exclusivement au niveau du plexus vasculaire superficiel. Les capillaires et les veines ne présentent pas d’augmentation du degré de leur tortuosité (figure 1) [3].
Apport des nouvelles méthodes d’imagerie de la rétine dans les accidents vasculaires cérébraux
Chez les patients atteints de CADASIL (Cerebral Autosomal Dominant Arteriopathy with Subcortical Infarcts and Leukoencephalopathy, artériopathie cérébrale autosomique dominante avec infarctus sous-corticaux et leucoencéphalopathie), l’OCT-A a permis d’observer une réduction de la densité vasculaire au niveau du complexe capillaire profond. L’identification d’une anomalie quantifiable des petits vaisseaux rétiniens dans une pathologie vasculaire cérébrale est l’un des sujets de recherche du CERVCO. Il n’est néanmoins pas clairement établi actuellement jusqu’à quel point cette mesure pourrait correspondre à un marqueur de la maladie cérébrale. Le CADASIL est une maladie héréditaire de transmission autosomique récessive liée au gène NOCH3. Il se manifeste par une leucoencéphalopathie et des AVC par atteinte des petits vaisseaux cérébraux. Il s’agit d’une artériopathie non artérosclérotique et non amyloïde. La vascularisation rétinienne est altérée de manière discrète dans le CADASIL. Des anomalies à type de rétrécissement artériolaires focaux, de croisements artérioveineux ou de diminution du ratio artérioveineux ont effectivement été décrites [4]. On retrouve en fait les mêmes anomalies que dans la rétinopathie hypertensive, mais chez des sujets âgés souvent de moins de 50 ans et/ou normotendus. Elles sont parfaitement asymptomatiques sur le plan ophtalmologique et ne sont pas corrélées à la gravité du CADASIL.
L’optique adaptative (OA), qui n’est pour l’instant utilisée que dans le domaine expérimental, permet, grâce à la correction des aberrations optiques, d’analyser avec une très haute résolution une zone relativement petite du fond de l’œil et de visualiser différentes structures anatomiques, des photorécepteurs aux vaisseaux rétiniens. La paroi des vaisseaux rétiniens étant transparente, elle n’est habituellement pas imageable et l’on ne s’intéresse qu’à la colonne sanguine mais l’OA dispose d’une résolution telle qu’elle peut la visualiser. Elle permet aussi de calculer le calibre vasculaire et l’épaisseur de la paroi. Chez les sujets hypertendus, des rétrécissements focaux du calibre artériel, des CAV et des augmentations du rapport lumière/paroi (Wall to Lumen Ratio, WLR) ont été observés. Chez les patients diabétiques, l’OA a montré des dilatations capillaires et des altérations du WLR [5]. Celui-ci est corrélé à l’âge et à la pression artérielle. Les réductions de calibre artériolaire sont des segments plus ou moins étendus dans lesquels une partie du vaisseau présente un calibre inférieur à celui des segments précédent et suivant, avec des parois qui restent parallèles. Ce phénomène semble être principalement lié à une vasoconstriction focale. Bien qu’un rétrécissement focal du calibre artériolaire puisse être observé chez les sujets jeunes et asymptomatiques, sa fréquence est beaucoup plus élevée chez les patients hypertendus. Des rétrécissements généralisés sont fréquemment observés après un AVC chez les patients hypertendus. On retrouve également ce type d’anomalies chez les patients CADASIL (figure 2).
Conclusion
Les indications du fond d’œil dans le bilan d’un AVC restent limitées en pratique courante. Les possibilités d’imagerie des vaisseaux rétiniens peuvent néanmoins être utiles dans les cas complexes afin d’orienter de diagnostic étiologique.
Références bibliographiques
[1] Dumitrascu OM, Demaerschalk BM, Valencia Sanchez C et al. Retinal Microvascular Abnormalities as Surrogate Markers of Cerebrovascular Ischemic Disease: A Meta-Analysis. J Stroke Cerebrovasc Dis. 2018;27(7):1960-8.
[2] Zhuo Y, Yu H, Yang Z et al. Prediction Factors of Recurrent Stroke among Chinese Adults Using Retinal Vasculature Characteristics. J Stroke Cerebrovasc Dis. 2017;26(4):679-85.
[3] Giocanti-Auregan A, Gaudric A, Buffon F et al. Optical Coherence Tomography Angiography of Familial Retinal Arteriolar Tortuosity. Ophthalmic Surg Lasers Imaging Retina. 2018;49(6):397-401.
[4] Cumurciuc R, Massin P, Paques M et al. Retinal abnormalities in CADASIL: a retrospective study of 18 patients. J Neurol Neurosurg Psychiatry. 2004;75(7):1058-60.
[5] Meixner E, Michelson G. Measurement of retinal wall-to-lumen ratio by adaptive optics retinal camera: a clinical research. Graefes Arch Clin Exp Ophthalmol. 2015;253(11):1985-95.