Indications raisonnées des implants toriques
Les implants toriques sont indiscutablement une des innovations chirurgicales les plus marquantes de la chirurgie du segment antérieur au cours des 20 dernières années. La chirurgie de la cataracte étant devenue une chirurgie réfractive à part entière, il est donc impensable aujourd’hui de faire l’impasse sur ces implants. Mais l’instabilité rotationnelle qu’ils peuvent engendrer réduisant leur efficacité, il est nécessaire d’en tenir compte en attendant de trouver la parade absolue.
Si l’engouement suscité – à juste titre – par les implants toriques, a conduit à des indications très élargies de l’implantation torique, et même si leur part de marché est restée inférieure à ce qu’elle pourrait être dans l’absolu, on a vu se multiplier une complication qu’on croyait exceptionnelle : l’instabilité rotationnelle. Si une rotation modérée réduit l’efficacité réfractive de ces implants, les rotations importantes majorent l’astigmatisme réfractif, amenant à l’extrême à son doublement en cas de rotation de 90° (figures 1 et 2).
Indications classiques et freins
Les statistiques faites sur de très grandes cohortes de patients candidats à la chirurgie de la cataracte ont montré qu’il existait plus de 35% d’astigmatismes supérieurs à 1 D, dont la moitié au-delà même de 1,5 D, ce qui devrait raisonnablement conduire à au moins 20% d’indications d’implants toriques.
L’analyse du marché des implants en France montrait en 2018 des chiffres nettement en dessous de 10%. Les freins à l’implantation torique sont liés aux modifications nécessaires de la technique opératoire, au temps supplémentaire consacré au calcul et aux explications à fournir aux patients, et bien entendu au coût supplémentaire de ces implants qui fonctionnent en copaiement. Paradoxalement, il existe aussi pour des chirurgiens, qui en ont été les grands promoteurs, des freins nouveaux liés à la crainte de voir tourner des implants placés sur le bon axe, engendrant ainsi des complications, ne serait-ce qu’en termes d’organisation.
Instabilité rotationnelle
Alors qu’on la pensait anecdotique, cette instabilité n’est en fait pas rare, même s’il est difficile d’en apprécier la fréquence de façon précise. Elle est sans doute l’un des facteurs expliquant les résultats décevants souvent mentionnés dans la correction des petits astigmatismes.
Elle survient dans la quasi-totalité des cas dans les heures suivant l’intervention. Le sac capsulaire ayant un plus grand diamètre horizontal, ce sont les implants mis en position horizontale et corrigeant donc des astigmatismes inverses qui comportent le plus grand risque de rotation. Lorsque l’implant rencontre, en tournant, un diamètre sacculaire plus petit, il se stabilise dans une position qui n’était donc pas forcément sa position d’origine (figure 3). Si on a aujourd’hui compris que ce risque de rotation était indépendant de la longueur axiale, et donc de l’amétropie initiale, il est en revanche vraisemblablement très corrélé au diamètre du sac capsulaire, qui peut être extrapolé par la mesure du blanc-à-blanc.
Plus récemment, ce risque de rotation aurait été attribué au polissage des implants, ouvrant ainsi des perspectives de prévention de cette complication grâce à l’utilisation d’implants non polis.
Il n’en reste pas moins vrai qu’à modèle d’implant identique, le risque de rotation est indiscutablement plus élevé sur les grands sacs. Avec un peu d’expérience, on est même capable en peropératoire de prédire que tel implant ne tournera sans doute pas ou, à l’inverse, de nourrir quelques inquiétudes sur l’axe dans lequel on le retrouvera le lendemain matin.
Indications raisonnées des implants toriques
Pour un amateur d’implants toriques, le passage de la méconnaissance du risque rotationnel à l’obsession vouée à cette complication conduit à modifier ses indications et/ou son organisation afin d’éviter le plus possible d’y être confronté.
Mesure du blanc-à-blanc
Cette mesure devient ainsi systématique lors de la visite préopératoire lorsqu’un implant torique est envisagé. On peut schématiquement considérer que le risque de rotation est quasi nul lorsque le blanc-à-blanc est inférieur à 11,5 mm, et qu’il est en revanche non négligeable au-dessus de 12,5 mm, justifiant dans ce cas de mentionner ce risque au patient. Entre ces 2 valeurs, le risque est modéré et la décision de poser un torique doit s’appuyer sur un faisceau d’arguments.
Niveau d’astigmatisme cornéen
Il s’agit évidemment d’un critère et il n’est pas pertinent de renoncer à la correction torique pour des grands astigmatismes cornéens dépassant 2 D. Pour des niveaux plus modérés, on peut cependant retrouver un certain charme à des techniques pourtant moins prédictibles :
- incision supérieure élargie pour corriger un petit astigmatisme direct ;
- adjonction d’une seconde incision tunnélisée en position inférieure diamétralement opposée pour un astigmatisme direct un peu plus marqué ;
- incision temporale élargie pour un petit astigmatisme inverse, éventuellement associée à une incision nasale.
Contexte du patient
Le contexte du patient doit être évalué dans l’indication d’un implant torique. Chez un sujet jeune et actif gêné par sa cataracte alors que son acuité visuelle est à 6/10, la perfection réfractive sera recherchée et l’implant torique difficilement évitable le cas échéant. À l’opposé, chez un patient âgé et attendant d’être à 2/10 pour demander une chirurgie, on peut imaginer que la persistance d’une amétropie cylindrique ne sera pas vécue comme un échec. Tous les intermédiaires existent évidemment entre ces 2 extrêmes.
Contraintes d’organisation
Les contraintes d’organisation doivent être anticipées : chez un patient très âgé, pour lequel l’organisation de la chirurgie est « sportive », la perspective d’une reprise dans la semaine suivant la chirurgie peut être inacceptable. Pour un patient venant de loin, une éventuelle reprise peut aussi devenir un casse-tête. Enfin, si une reprise rotationnelle doit être envisagée, il faut aussi que l’opérateur soit disponible, ce qui peut induire quelques contraintes dans l’organisation d’une chirurgie.
Pour conclure de façon caricaturale, chez un patient de 86 ans présentant une cataracte brune avec une acuité visuelle à 2/10f et un astigmatisme inverse de 1,5 D, habitant à 600 km du lieu d’intervention et disponible uniquement le 21 décembre, on réfléchira à 2 fois avant de plonger tête baissée dans une indication d’implant torique…
Perspectives et conclusions
Il n’est évidemment pas question de remettre en question l’intérêt des implants toriques dont les résultats sont, rappelons-le, globalement excellents. Il faut pourtant garder à l’esprit un certain nombre de paramètres de la « vraie vie » et décider au cas par cas, en sachant parfois renoncer à l’implantation torique même si l’arrivée de nouveaux implants, en particulier non polis, pourrait réduire les craintes d’instabilité rotationnelle et permettre le retour au « tout-torique ».
On peut, en attendant, espérer des laboratoires d’implants des mesures qui stimuleraient l’implantation torique :
- baisse de prix des toriques, et en particulier des multifocaux toriques, dont les coûts très élevés limitent l’utilisation ;
- généralisation de la gratuité des petites corrections toriques, déjà initiée par un certain nombre de laboratoires. L’absence de paiement réduit dans ce cas l’obligation de résultat et peut même éventuellement dispenser de l’information sur le caractère torique de l’implant ;
- mise à disposition de plusieurs diamètres pour les implants toriques, choisis en fonction du blanc-à-blanc, comme c’est le cas pour les ICL. Si l’ICL à diamètre unique est impensable, pourquoi n’aurions-nous pas la même exigence pour les implants toriques ?