Indications et concepts d’adaptation des verres cornéoscléraux

Depuis plus de 100 ans, des scientifiques ont cherché à développer des lentilles de grand diamètre passant en pont par-dessus les déformations cornéennes afin d’améliorer la qualité visuelle. Dans cet article, nous nous intéresserons plus particulièrement aux lentilles cornéosclérales, à leurs indications et à leurs modalités d’adaptation.

Les lentilles de grand diamètre sont classifiées en fonction de leur site d’appui sur l’œil. Lorsque ce site s’appuie en partie sur la cornée et en partie sur la sclère, on qualifie ces lentilles de cornéosclérales. Dans la littérature, elles sont parfois appelées cornéolimbiques, limbiques ou semi-sclérales. Une lentille cornéenne, quant à elle, repose sur la cornée et une lentille sclérale sur la sclère. Cette classification en fonction de la zone d’appui sur l’œil dépend du diamètre de la lentille. Classiquement, une lentille cornéenne a un diamètre inférieur à 12,5 mm, une lentille cornéosclérale, un diamètre compris entre 12,5 et 15 mm, et une lentille sclérale, un diamètre supérieur à 15 mm. 

Indications 

La connaissance de la géométrie des lentilles cornéo­sclérales aide à la compréhension des principales indications de ce type de lentilles. L’existence d’un espace liquidien entre la lentille et la cornée permet de créer une interface régulière et de maintenir une hydratation constante de la cornée. Les deux grandes indications d’une lentille cornéosclérale sont donc optique et protectrice.

Optique
La lentille et l’espace liquidien créent une interface régulière permettant d’améliorer significativement la vision des patients qui présentent une cornée irrégulière. Ces lentilles sont donc proposées en première ou en seconde intention chez les patients avec une baisse de vision secondaire à une pathologie (ou irrégularité) cornéenne comme :
- les ectasies cornéennes primitives (kératocône, ­kérato­globe, dégénérescence marginale pellucide) ;
- les ectasies cornéennes secondaires faisant suite à une chirurgie réfractive (lasik, KR…) ;
- les greffes de cornée ;
- les irrégularités cornéennes acquises, comme après une plaie cornéenne transfixiante, une pathologie infectieuse de la cornée, une pathologie inflammatoire de la cornée…

Protection cornéenne
La stabilité de cette lentille cornéosclérale et l’espace liquidien protègent la cornée et aident à la cicatrisation de l’épithélium cornéen. Cette propriété de protection cornéenne est utilisée dans les pathologies suivantes :
- défaut de fermeture palpébrale (paralysie faciale, colobome palpébral, exophtalmie…) ;
- malformations palpébrales avec trichiasis (entropion…).
L’existence d’un réservoir de larmes sous la partie centrale de la lentille aide à la cicatrisation des défects de l’épithélium cornéen, notamment des kératites secondaires à une sécheresse oculaire ou des kératites à l’apex d’un kératocône. Le réservoir de larmes étant limité, les lentilles sclérales seront préférées aux lentilles cornéo­sclérales dans les kératites sévères ou les ulcérations cornéennes.

Concepts d’adaptation 

L’adaptation d’une lentille cornéosclérale se fait en 3 étapes : choix du diamètre, choix du rayon ou de la flèche, choix du dégagement aux bords de la lentille. L’analyse de ces 3 caractéristiques permettra la prescription de la lentille la plus adaptée à l’œil du patient.
Le diamètre de la lentille dépend de celui de la cornée. En effet, la lentille doit dépasser le limbe de 1,3 à 1,5 mm sur 360°. Plus la lentille est grande, plus elle est stable et confortable. Plus la lentille est petite, plus elle est facile à poser et à retirer pour le patient.

L’étape suivante est la détermination du rayon ou de la hauteur sagittale de la lentille, qui détermine l’importance du dégagement cornéen. Pour les lentilles cornéo­sclérales, les fabricants conseillent de trouver le rayon de courbure permettant un « affleurement » du point de la ­cornée le plus élevé. Cet « affleurement » permet d’avoir un espace liquidien d’environ 20 à 30 microns entre la lentille et le point cornéen le plus élevé, évitant un contact après plusieurs heures de port. Après la pose de la lentille remplie avec du sérum physiologique et une goutte de fluorescéine, la recherche de cet « affleurement » se fait en lumière bleue fente large (figures 1 et 2). Il est possible de s’aider d’une coupe optique en fente fine lumière blanche passant par le point cornéen le plus élevé pour vérifier la présence d’un fin espace liquidien entre la lentille et la cornée (figure 3).

Ensuite, il convient d’évaluer la zone d’appui de la lentille cornéosclérale sur le limbe et sur la sclère. Ce paramètre est important pour la stabilité de la lentille et le confort du patient. L’objectif est de trouver la lentille dont la périphérie est alignée avec le limbe et la sclère de l’œil du patient. Différentes techniques permettent d’évaluer cette zone. Il est intéressant de regarder en fente fine en lumière blanche l’alignement de la lentille avec le limbe. Il convient de vérifier en lumière blanche fente large l’absence de blanchiment des vaisseaux conjonctivaux, qui nécessiterait l’aplatissement des dégagements dans les quadrants concernés (figure 4). Au contraire, la présence de microbulles d’air sous le bord de la lentille nécessite un resserrement dans ce quadrant. Il est possible de s’aider du push up test. En effet, après l’instillation d’une goutte de fluorescéine, la pression légère de la paupière inférieure permet le passage de fluorescéine sous la lentille.

Il est indispensable de contrôler la lentille cornéo­sclérale après plusieurs heures de port afin de vérifier les paramètres ci-dessus, car la lentille a tendance à s’enfoncer dans la conjonctive. L’examen de l’œil avec de la fluorescéine, après le retrait de la lentille, permet de vérifier l’absence de marquage pathologique qui nécessiterait une modification des paramètres de la lentille.

Conclusion

Les lentilles cornéosclérales restent une excellente alternative dans les échecs d’adaptation en lentilles cornéennes. Leur géométrie augmente la stabilité et le confort tout en conservant une bonne qualité optique. Leur adaptation se fait en 3 étapes. L’OCT de segment antérieur grand champ pourrait, à l’avenir, faciliter cette adaptation (figures 5 et 6).

Pour en savoir plus
Van der Worp E, Bornman D, Ferreira DL et al. Modern scleral contact lenses: a review. Cont Lens Anterior Eye. 2014;37(4):240-50.
DeNaeyer G. Modern scleral contact lens fitting. Contact Lens Spec­trum. 2010;6:20-5.
Meier D. Das cornea-skleral-Profil – ein Kriterium individueller Kontakt­linsenanpassung. Die Kontaktlinse. 1992;10:4-11.

Remerciement à l’assistance technique du laboratoire Menicon (Nicolas Guignon) qui a contribué à l’écriture de cet article.

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