Implants phakes : prévention et gestion des complications
Bien que décrits et employés depuis les années 1990, les implants phakes connaissent ces dernières années une recrudescence d’intérêt de la part de la communauté ophtalmologique pour le traitement des amétropies plus ou moins sévères. Afin de réduire d’éventuelles complications, il est important de bien maîtriser et de respecter les indications opératoires.
Placés en chambre postérieure, ces implants, dont les plus connus sont en collamère, permettent de traiter des erreurs réfractives non correctibles par chirurgie réfractive au femto laser ou excimère. Ils étendent donc le champ des indications de la chirurgie réfractive, tout en présentant une balance bénéfices/risques favorable mais leur utilisation n’est pas dénuée de risques. Parmi les possibles complications liées aux implants phakes [1-3] figurent le glaucome par fermeture de l’angle, la dispersion pigmentaire, la décompensation endothéliale ou la cataracte iatrogène. Ces complications peuvent être divisées en plusieurs catégories : photopiques, réfractives, liées au vaulting, hypertonie aiguë, endophtalmie et tardives (endothéliales, cataracte, rétiennes).
Prévention et prise en charge
Complications photopiques
Les symptômes dysphotopiques sont liés au diamètre pupillaire mésopique, au taux de décentrement de l’implant mais aussi à la dimension de son optique (4,9 à 5,8 mm pour l’ICL Staar, selon l’amétropie corrigée).
La dernière version des implants phakes permet d’obtenir un diamètre optique de 4,9 mm pour les amétropies allant de -14,50 à -18,00 D (ICL Staar) ou 6,2 mm pour celles jusqu’à -30,00 D (IPCL Care Group). Il est important de prévenir les patients présentant un diamètre pupillaire mésopique supérieur à 5 mm du risque de halos nocturnes. Cependant, au vu de leurs amétropies importantes, du bénéfice attendu de l’intervention et de l’absence d’une alternative thérapeutique, cet effet secondaire est bien toléré dans la grande majorité des cas.
Devant une plainte pour dysphotopsie précoce, il convient tout d’abord de rassurer le patient car les études montrent que cette dernière diminue rapidement lors des premiers mois.
En cas de symptômes persistants, des collyres agonistes cholinergiques muscariniques peuvent être prescrits pour des situations ponctuelles telles que la conduite nocturne.
Complications réfractives
L’implantation phake présente une excellente prédictibilité du point de vue du résultat réfractif, avec 70 à 98% des yeux opérés qui tombent à ± 0,50 D du résultat attendu selon les études, et 78 à 84% des yeux qui présentent une acuité visuelle non corrigée à 10/10. Cependant, des erreurs réfractives, une rotation de l’implant ou un astigmatisme induit par les incisions peuvent être rencontrés.
Afin de prévenir ces complications, le chirurgien doit s’assurer de la fiabilité des mesures réfractives préopératoires, tant subjectives qu’objectives. Par ailleurs, la rotation de l’implant peut être prévenue par un positionnement peropératoire minutieux, associé à un rinçage rigoureux du viscoélastique présent dans le segment antérieur.
Si l’emmétropie n’est pas atteinte pour une des 3 raisons précitées, une retouche par femto laser ou excimère peut être considérée si la tomographie cornéenne le permet. Devant la rotation d’un implant torique, il a été observé qu’un repositionnement était rarement efficace, l’implant ayant tendance à se remettre dans sa position « préférentielle ». Une retouche laser sur la base de cette nouvelle position semble être donc plus pertinente.
Vaulting
Le vaulting (V) se définit comme la distance entre la face postérieure de l’implant phake et la face antérieure de la capsule cristallinienne (figures 1a et b) :
- V est supérieur à 750 µm : l’implant induit un déplacement antérieur de l’iris. Les risques de blocage pupillaire avec fermeture de l’angle et de dispersion pigmentaire sont significativement majorés ;
- V est inférieur à 250 µm : l’implant est trop proche du cristallin. Le risque de cataracte sous-capsulaire antérieure est accru.
Dans l’idéal, le vaulting doit donc être compris entre 250 et 750 µm. Il se mesure le plus fréquemment à l’aide d’une imagerie du segment antérieur, comme l’OCT-SA.
Différentes formules sont proposées afin de déterminer le sizing de l’implant, telles que celle du fabricant, de Nakamura, de Kim, ou encore des algorithmes d’intelligence artificielle se développant afin d’affiner encore l’évaluation de cette métrique-clef. Bien que la valeur de la distance entre les éperons scléraux prévale actuellement dans les formules de sizing d’implant, certains auteurs évoquent le diamètre interne du corps ciliaire comme le paramètre plus pertinent dans la prédiction du vaulting. Dans le suivi à long terme, l’épaississement progressif du cristallin ainsi que l’épaississement progressif antéropostérieur du corp ciliaire entraînent une diminution du vaulting dans le temps [1]. Enfin, certaines études décrivent la nécessité de considérer le vaulting de manière dynamique et non statique, car l’accommodation et le myosis vont le modifier sensiblement au quotidien.
La prise en charge d’un vaulting sous-optimal dépend du type d’erreur observée :
- V supérieur à 750 µm : si l’excès de vaulting est objectivé en peropératoire, il est possible de réaliser une rotation de l’implant afin de le verticaliser. Cela pourrait diminuer le vaulting jusqu’à 400 µm. S’il est constaté en postopératoire et s’il entraîne une étroitesse de la chambre antérieure associée à un risque de blocage pupillaire, il est nécessaire de procéder à l’échange de l’implant. Il est parfois possible de tolérer un vaulting jusqu’à 1 000 µm sur des chambres antérieures profondes. Une surveillance est alors nécessaire afin de prévenir d’éventuelles complications.
- V inférieur à 250 µm : un sous-vaulting per- ou postopératoire peut nécessiter un retrait de l’implant. Les nouveaux implants phakes contenant un orifice central semblent avoir un risque bien plus faible d’induire une cataracte, et il est parfois possible de surveiller un vaulting de 100 à 250 microns, selon l’âge du patient. Chez un patient jeune, un échange sera plus facilement proposé que chez un sujet de 45 ou 50 ans.
Hypertonie postopératoire
L’hypertonie oculaire postimplantation d’une lentille phake est définie comme une pression intraoculaire supérieure à 21 mmHg et présente différentes étiologies dont va dépendre la prise en charge. Senthil et al. lui associent un taux d’incidence de 5,17% [3] :
- cortico-responder : les stéroïdes prescrits en postopératoire sont la première cause d’hypertonie oculaire postopératoire (63,6%) [3]. Sa présentation clinique consiste en une hypertension modérée sans modification du volume de la chambre antérieure. Sa résolution s’obtient par éviction des corticostéroïdes ou relais par corticoïdes à faible pénétrance et collyres hypotonisants ;
- résidus de produit viscoélastique : c’est la deuxième cause d’hypertonie postopératoire (15% des cas). Elle survient dans les heures qui suivent l’intervention, sans modification du volume de la chambre antérieure. Une injection intraveineuse peropératoire préventive d’acétazolamide associée à un rinçage méticuleux de la chambre antérieure peut diminuer l’incidence de cette complication. Enfin, l’administration d’un collyre ou d’une médication systémique hypotonisants le temps de la résorption du produit est nécessaire à sa prise en charge [3] ;
- bloc pupillaire et fermeture de l’angle : la fermeture de l’angle, associée ou non à un bloc pupillaire, se présente comme une hypertonie postopératoire liée à une diminution importante du volume de la chambre antérieure. Son incidence a significativement diminué avec l’intégration de pores au design des implants phakes, rendant l’iridotomie périphérique préventive non nécessaire.
Indépendamment de la cause de la fermeture de l’angle, son traitement en urgence consiste en l’administration de médications hypotonisantes topiques et systémiques de type acétazolamide ou mannitol, ainsi que la réalisation d’une ou plusieurs iridotomies périphériques [3].
Endophtalmie
Comme dans toute chirurgie intraoculaire, le risque d’endophtalmie aseptique et infectieuse existe et est quantifié à 0,0167% dans la littérature [4].
La prévention de ce risque consiste en un respect rigoureux de l’asepsie lors de la chirurgie, et en l’injection de céfuroxime intracamérulaire en fin d’intervention.
Complications tardives
Endothéliales
La perte endothéliale liée aux implants phakes serait essentiellement en rapport avec le geste opératoire. En fonction des études, elle est estimée entre 5,5 et 8,5%. Le suivi postopératoire au long cours montre que dans le cas des implants à pore central, la perte endothéliale se stabilise progressivement à ses valeurs physiologiques de -0,5% par an, sans modification du polymorphisme et du polymégalisme endothélial [5]. Il semble en effet que le pore central perturbe moins la dynamique de l’humeur aqueuse et réduise l’impact à long terme de l’implant de la chambre postérieure sur l’endothélium cornéen [1]. Enfin, un vaulting trop important semble avoir un impact négatif sur la perte endothéliale liée à l’implant phake.
Cataracte
La cataracte associée à l’implant phake a longtemps été présentée comme sa complication la plus fréquente, comme l’ont rapporté Fernandes et al., qui, en 1995, lui attribuent un taux d’incidence de 5,17% [6]. Cependant, la méta-analyse de Montés-Mico et al. de 2021 tempère ces statistiques en ne trouvant que 0,17% de cataractes sous-capsulaires associées aux implants phakes de dernière génération [1].
Tous les auteurs s’accordent cependant sur ses étiologies :
- geste chirurgical : un traumatisme direct cristallinien lors de l’implantation ou encore une irrigation canulaire agressive à travers le pore de la lentille sont à éviter ;
- vaulting très faible : présentant un contact avec la capsule antérieure ;
- myopie sévère : l’incidence plus élevée de cataracte précoce chez les patients ayant un implant phake peut aussi partiellement s’expliquer par la fréquence élevée de myopes forts dans cette population, bien que ce paramètre soit difficile à prouver [1].
La prise en charge chirurgicale d’une cataracte consécutive à un implant phake est similaire à un cas classique. Les études montrent que le résultat réfractif obtenu sur la base de valeurs biométriques postopératoires n’est pas significativement inférieur à celui obtenu avec un examen préopératoire. Certaines formules de dernières générations, telles que les PEARL-DGS, permettent de prendre en compte la présence de l’implant phake dans le calcul de la puissance de l’implant.
Rétiniennes
Le lien entre les déchirures et décollements de la rétine et l’implantation d’une lentille phake est débattu dans la littérature. Certains auteurs ne démontrent pas de lien de causalité entre ces 2 événements et y voient une évolution naturelle du risque rhegmatogène du myope fort [2]. D’autres suspectent que les mouvements du vitré liés aux variations de volume de la chambre antérieure lors de la chirurgie peuvent générer des tractions vitréo-rétiniennes causant des déchirures rétiniennes et aboutissant à un décollement de la rétine [1].
Une étude récente n’a pas montré un risque accru de décollement de la rétine à 10 ans chez les patients opérés d’implants phakes par rapport à un groupe contrôle de myopes forts (1,77 vs 1,25% respectivement).
En prévention de ce risque, il est nécessaire de réaliser un examen du fond d’œil dilaté rigoureux et, en cas de lésion suspecte, d’en référer à un rétinologue concernant un éventuel traitement laser prophylactique. De plus, certains chirurgiens recommandent de préférer un rinçage manuel à l’emploi de la sonde d’irrigation-aspiration pour le rinçage du produit viscoélastique, afin de minimiser les variations de volume de la chambre antérieure.
Conclusion
Les implants phakes se développent significativement dans l’écosystème des traitements des amétropies et constituent un outil de choix dans l’arsenal du chirurgien réfractif. Le respect de ses indications et recommandations permet de prévenir la majeure partie des rares complications qui y sont associées.
Références bibliographiques
[1] Montés-Micó R, Ruiz-Mesa R, Rodríguez-Prats JL, Tañá-Rivero P. Posterior-chamber phakic implantable collamer lenses with a central port: a review. Acta Ophthalmol. 2021;99(3):e288-301.
[2] Kohnen T, Kook D, Morral M, Güell JL. Phakic intraocular lenses: part 2: results and complications. J Cataract Refract Surg. 2010;36 (12):2168-94.
[3] Senthil S, Choudhari NS, Vaddavalli PK et al. Etiology and management of raised intraocular pressure following posterior chamber phakic intraocular lens implantation in myopic eyes. PloS One. 2016; 11(11):e0165469.
[4] Zhang H, Gong R, Zhang X, Deng Y. Analysis of perioperative problems related to intraocular Implantable Collamer Lens (ICL) implantation. Int Ophthalmol. 2022;42(11):3625-41.
[5] Dejaco-Ruhswurm I, Scholz U, Pieh S et al. Long-term endothelial changes in phakic eyes with posterior chamber intraocular lenses. J Cataract Refract Surg. 2002;28(9):1589-93.
[6] Fernandes P, González-Méijome JM, Madrid-Costa D et al. Implantable collamer posterior chamber intraocular lenses: a review of potential complications. J Refract Surg. 2011;27(10):765-76.