Hémorragie du vitré traumatique : traumatisme, phénomène de Valsalva, syndrome de Terson, et pronostic vital chez l’enfant
Face à un traumatisme oculaire, 2 situations peuvent se présenter à l’ophtalmologiste : le traumatisme à globe fermé par contusion ou le traumatisme perforant. La recherche d’un corps étranger, qui peut être superficiel, bénin ou intraoculaire, mettant en jeu le pronostic visuel est primordiale lors d’un traumatisme.
Traumatisme à globe fermé par contusion
Le traumatisme à globe fermé par contusion est plus fréquemment rencontré chez l’homme de moins de 40 ans. Les phénomènes de compression, d’étirement et d’oscillation peuvent entraîner plusieurs lésions à différents niveaux [1]. L’hémorragie intravitréenne dans ce contexte est due aux tractions exercées sur des vaisseaux rétiniens et est souvent associée à un décollement postérieur du vitré. L’examen du fond d’œil, lorsqu’il est accessible, s’efforce de trouver les déchirures rétiniennes, voire le décollement de rétine. L’échographie en mode B est un bon moyen de diagnostic lorsque le fond d’œil est inaccessible. Elle permet de mettre en évidence d’autres lésions associées telles que des hématomes ou des décollements choroïdiens ou encore la présence d’un corps étranger intraoculaire. Le repos simple est suffisant lorsque l’hémorragie intravitréenne est peu abondante. En revanche, la présence d’un décollement de rétine ou d’une déchirure constitue une urgence chirurgicale par voie de vitrectomie en raison du trouble des milieux ; elle doit être la plus complète possible en aspirant tout le sang contenu dans la base du vitré afin d’éviter la récidive. Le délai de prise en charge chirurgicale dépend de l’état maculaire, idéalement dans les 48 heures lorsque la macula est à plat et dans la semaine lorsqu’elle est décollée. La chirurgie permet également de faire un état des lieux des possibles lésions rétiniennes associées (trou maculaire, contusion rétinienne…). Elle est aussi justifiée dans le cas où l’hémorragie persiste après 4 semaines ou chez le patient monophtalme.
Traumatisme à globe ouvert
Le traumatisme à globe ouvert peut être de 2 types : par rupture, après contusion, ou par lacération, avec ou sans corps étranger intraoculaire. L’examen clinique doit être exhaustif. Les examens induisant une hyperpression sur le globe oculaire sont contre-indiqués. Le scanner est l’examen complémentaire de choix dans le bilan d’une plaie oculaire, tant pour la recherche d’une plaie que d’un corps étranger. Qu’il s’agisse d’un traumatisme à globe ouvert avéré ou suspecté (hémorragie sous-conjonctivale étendue gênant la visualisation de la sclère, hémorragie intravitréenne…), il y a urgence chirurgicale et le bloc opératoire doit être programmé sans délai, dans les 24 heures et idéalement dans les 6 heures. Dans un premier temps, il faut explorer et rétablir la continuité pariétale du globe oculaire et mettre en place une antibioprophylaxie. Un traumatisme de haute énergie entraînera une rupture du globe, le plus souvent au limbe ou sous l’insertion des muscles droits [2]. Une seconde intervention peut s’avérer nécessaire (dans les 7 à 10 jours) afin de restaurer l’intégrité des tissus oculaires et de retirer un éventuel corps étranger [3]. Le délai de cette chirurgie sera adapté à la gravité des lésions initiales et au risque infectieux. L'hémorragie intravitréenne constitue un facteur de risque de la prolifération vitréo-rétinienne après une plaie pénétrante du globe. La vitrectomie est alors indiquée dans les 14 jours si la plaie du globe se situe au-delà des 4 mm du limbe, pour éclaircir les milieux et limiter le risque de décollement de rétine. La vitrectomie doit être réalisée prudemment, elle est soigneuse en regard de la plaie où se situe fréquemment une incarcération vitréenne ou vitréo-rétinienne, et doit être la plus complète possible, en particulier au niveau de la base du vitré [1]. Dans le cas d’un décollement de rétine, le statut maculaire conditionnera le délai : 2-3 jours si la macula est à plat, 5-7 jours si elle est décollée. En présence d’hématomes choroïdiens d’indication opératoire associés (accolement des rétines en kissing sign, douleur intense), il est recommandé d’attendre une dizaine de jours avant d’envisager une chirurgie de drainage.
Phénomène de Valsalva
Ce phénomène, rencontré lors des efforts de toux ou de vomissement ou d’une activité physique intense, est lié à une augmentation brutale de la pression intra-abdominale ou intrathoracique à glotte fermée, conduisant à une augmentation de la pression veineuse transmise aux globes oculaires. Au niveau de l’œil, ce phénomène induit une rupture des capillaires superficiels rétiniens du pole postérieur, provoquant souvent une hémorragie rétro-hyaloïdienne suspendue, en nid de pigeon, au niveau de la macula (figure 1a). La localisation prérétinienne de l’hémorragie écarte tout risque de toxicité hématique maculaire, ce qui permet d’adopter une attitude attentiste. L’OCT constitue une aide précieuse pour localiser le siège de l’hémorragie : dans la rétinopathie de Valsalva, elle se situe entre la limitante interne et la couche des fibres nerveuses. Une hémorragie sous-rétinienne, bien que plus rare, peut également être observée. L’évolution naturelle des hémorragies de Valsalva est favorable dans la grande majorité des cas, avec une régression spontanée par l’ouverture de la hyaloïde postérieure et la libération de l’hématome dans le vitré (figure 1b). Lorsque l’hémorragie persiste après 1 mois d’évolution, une hyaloïdotomie au laser YAG ou Argon peut accélérer la guérison. La vitrectomie, par voie d’abord de 25 ou de 27 G, est réservée au patient monophtalme/récidivant ou après l’échec du laser.
Syndrome de Terson
Le syndrome de Terson correspond à la survenue d’hémorragies intraoculaires (rétiniennes, prérétiniennes et/ou intravitréennes) uni- ou bilatérales au cours d’une hémorragie sous-arachnoïdienne, qu’elle soit d’origine spontanée (le plus souvent par rupture d’anévrysme) ou traumatique. Sa physiopathologie reste controversée, la principale hypothèse étant l’augmentation brutale de pression dans le liquide céphalorachidien, qui diminue le retour veineux à l'origine d'une rupture de la barrière hématorétinienne interne.
Le diagnostic doit être posé le plus tôt possible afin que l’ophtalmologiste puisse proposer une prise en charge adaptée à une réhabilitation visuelle indispensable à une rééducation précoce des séquelles neurologiques [4].
Lorsque le fond d’œil n’est pas accessible, l’échographie en mode B est un outil précieux. Elle permet de rechercher une hémorragie prémaculaire, un décollement de rétine, une prolifération vitréo-rétinienne prérétinienne et conditionne la stratégie thérapeutique.
La résorption spontanée de l’hémorragie intravitréenne peut être très longue, d’autant plus que les sujets sains atteints sont jeunes et souvent indemnes d’un décollement du vitré.
Dans le cas d’une atteinte peu dense ou n’entraînant qu’une baisse modérée de l’acuité visuelle (AV), un traitement conservateur peut être proposé. Une surveillance clinique régulière est alors indispensable afin de dépister précocement une éventuelle complication qui nécessiterait un traitement chirurgical. En l’absence de résorption après 3 à 6 mois de suivi, la vitrectomie doit être envisagée [5].
Si l’atteinte est unilatérale, la vitrectomie doit être discutée après 3 mois de suivi, en l’absence d’évolution spontanément favorable de l’hémorragie intravitréenne. Si elle est bilatérale ou cécitante (patient monophtalme), la vitrectomie doit être proposée rapidement, dans un délai inférieur à 1 mois (figure 2). En cas de complication (prolifération vitréo-rétinienne, décollement de rétine), la chirurgie doit être réalisée en urgence avec un délai adapté au statut maculaire. Plus la chirurgie est effectuée tôt (moins de 3 mois), plus l’AV finale sera meilleure, cela d’autant plus que le sujet a moins de 45 ans [6]. La décision thérapeutique est orientée en fonction de l’examen oculaire, de l’état clinique général et des souhaits du patient. La récupération fonctionnelle peut être limitée par la coexistence d’hémorragies intrarétiniennes ou d’une atrophie.
Chez l’enfant
L’ophtalmologiste a un rôle médico-légal crucial dans l’établissement du pronostic vital et fonctionnel de l’enfant car les hémorragies traumatiques vitréo-rétiniennes peuvent se rencontrer dans certaines situations urgentes et graves de maltraitance, telles que le syndrome du bébé secoué [7]. L’augmentation de la pression intracrânienne provoque une augmentation de la pression veineuse intraoculaire, les veines rétiniennes sont alors rompues. De plus, chez le nourrisson, le cristallin et le vitré sont des structures très solidaires, leurs mouvements antéropostérieurs provoquent une traction importante sur les vaisseaux rétiniens auxquels la hyaloïde postérieure adhère très fortement, ce qui favorise l’apparition des ruptures vasculaires. L’hémorragie intravitréenne chez l’enfant se résorbe beaucoup plus lentement que chez l’adulte en raison du caractère cohérent et non décollé du vitré. Le plus souvent, le vitré ne se décolle pas dans les jours qui suivent la constitution de l’hémorragie ; il existe alors un risque important de traction et de décollement de rétine. Dans le cas d’un décollement rhegmatogène, la prolifération vitréo-rétinienne est présente dans près de 1 cas sur trois et est fréquemment à l’origine des échecs chirurgicaux [8]. La vitrectomie précoce (dans les 7 jours) est donc justifiée devant toute hémorragie intravitréenne dense car celle-ci masque souvent un point d’impact rétinien susceptible de s’organiser et d’occasionner un décollement de rétine secondaire [9]. La persistance prolongée d’une hémorragie intravitréenne expose d’autant plus au risque d’amblyopie chez les enfants les plus jeunes. La chirurgie doit être prudente car le pelage de la hyaloïde postérieure, particulièrement adhérente, risque de provoquer des déchirures rétiniennes, en plus du risque plus important de cataracte iatrogène. La surveillance simple rapprochée est certainement justifiée dans le premier mois lorsque l’hémorragie intravitréenne est peu abondante et permet l’accès au fond d’œil.
Références bibliographiques
[1] Brasseur G. Pathologie du vitré. Rapport de la SFO. Paris : Elsevier Masson, 2003.
[2] Bourges JL. Principales urgences ophtalmologiques. In : Urgences en ophtalmologie. Paris : Elsevier Masson, 2018:219-96.
[3] Manifestations traumatiques du segment postérieur. In : AAO, SFO. Rétine et vitré. Paris : Elsevier Masson, 2018:448 p.
[4] Rahmouni S. La vitrectomie postérieure dans le syndrome de Terson. Thèse d’exercice. 2012.
[5] Gnanaraj L, Tyagi AK, Cottrell DG et al. Referral delay and ocular surgical outcome in Terson syndrome. Retina. 2000;20(4):374-7.
[6] Garweg JG, Koerner F. Outcome indicators for vitrectomy in Terson syndrome. Acta Ophthalmol. 2009;87(2):222-6.
[7] Caffey J. The whiplash shaken infant syndrome: manual shaking by the extremities with whiplash-induced intracranial and intraocular bleedings, linked with residual permanent brain damage and mental retardation. Pediatrics. 1974;54(4):396-403.
[8] Nashed A, Saikia P, Herrmann WA et al. The outcome of early surgical repair with vitrectomy and silicone oil in open-globe injuries with retinal detachment. Am J Ophthalmol. 2011;151(3):522-8.
[9] Dureaun P, Metge-Galatoire F, Caputo G. Traumatologie du segment postérieur. Rapport de la SFO ; 2017.