Hémorragie du vitré du patient diabétique : anti-VEGF ou vitrectomie ?

L’hémorragie du vitré (HDV) est une complication fréquente de la rétinopathie diabétique proliférante (RDP). En l’absence de traitement, une HDV peut se compliquer d’un décollement de la rétine par traction (DRT), d’une fibrose et de cicatrices pouvant entraîner un risque de cécité. Le choix de la stratégie dépendra de la situation individuelle des patients.

Près de la moitié des patients avec une RDP traités dans le Diabetic Retinopathy Clinical Research network (DRCR.net) protocol S ont présenté un épisode d’HDV à 5 ans, que ce soit dans le groupe injections intravitréennes (IVT) d’Anti-Vascular Endothelial Growth Factor (VEGF) ou de panphotocoagulation rétinienne (PPR) [1].
La chirurgie de vitrectomie à la pars plana (VPP), qui implique le nettoyage du sang et du gel vitréen ainsi que la dissection des tissus fibrotiques générant un DRT, est devenue le traitement de référence de l’HDV suite à l’étude Diabetic Retinopathy Vitrectomy Study (DRVS) publiée dans les années 1980 [2]. Elle a démontré un bénéfice significatif de la réalisation d’une VPP précoce dans les 6 mois suivant une HDV non résolutive chez les patients diabétiques de type 1 [2]. L’indication et le délai d’intervention de la VPP ont évolué depuis l’étude DRVS. En effet, le développement des IVT d’anti-VEGF a révolutionné la prise en charge de nos patients diabétiques, et les innovations techniques et technologiques dans la VPP ont également réduit les risques chirurgicaux et le caractère invasif de cette chirurgie. Tout cela a contribué à une indication de VPP plus précoce que la durée traditionnellement acceptée de 3 à 4 mois.
De plus, une autre étude du DRCR.net a montré que les yeux RDP atteints d’une HDV ne bénéficiant pas de VPP et traités par 3 IVT mensuelles d’anti-VEGF étaient plus susceptibles de pouvoir terminer la PPR par résorption du sang sans vitrectomie, présentaient moins de récidives HDV et avaient une amélioration de l’acuité visuelle (AV) moyenne plus importante à 4 mois de suivi par rapport à 3 IVT mensuelles de solution saline. Cependant, les IVT anti-VEGF ne permettaient pas de réduire significativement le taux de recours à la VPP dans le cas d’une HDV non résolutive [3].
Par conséquent, pour les patients RDP avec HDV, les recommandations actuelles soutiennent plutôt la réalisation d’une VPP précoce avec PPR endolaser qu’une période de suivi permettant la résolution spontanée de l’HDV suffisante pour l’administration de la PPR, avec un rôle tout de même limité des anti-VEGF dans l’amélioration de l’HDV pour permettre une réalisation plus précoce de la PPR.

Choix de la stratégie

Il y a un consensus sur 3 situations qui vont influencer fortement la stratégie :
- si l’échographie B identifie un soulèvement rétinien tractionnel, la VPP devra être effectuée rapidement, avec la réalisation d’une IVT anti-VEGF dans les 48-72 heures précédant la chirurgie afin de faciliter la dissection et le saignement peropératoire ;
- si le patient est monophtalme ou actif, avec un travail nécessitant une bonne vision (conducteur, artisan, étudiant…), la chirurgie devra être réalisée précocement afin d’améliorer la vision rapidement ;
- si le patient est connu avec une PPR complète et une bonne AV de l’œil adelphe, un suivi mensuel de la résorption de l’HDV est indiqué, avec la réalisation d’IVT anti-VEGF pour accélérer la résorption (IVT initiale et à 1 mois classiquement personnellement) et d’un complément de PPR au cours du suivi si nécessaire.
Dans les autres cas, aucun consensus n’a été établi afin de déterminer s’il convenait plutôt de privilégier l’option médicale de suivi avec des IVT anti-VEGF, ou chirurgicale précoce par PPV. Cependant, un essai clinique randomisé du DRCR.net, le protocole AB, a tenté de répondre à cette question récemment.

Protocole AB DRCR.net

Le protocole AB est un essai clinique randomisé qui a comparé l’efficacité d’une prise en charge initiale et prolongée par IVT mensuelles d’aflibercept (AFL, Eylea Bayer 2 mg ; groupe IVT) par rapport à une VPP immédiate avec PPR peropératoire (groupe VPP) pour la prise en charge des patients diabétiques et atteints d’une RDP avec HDV [4].
Le groupe VPP a été opéré par VPP dans les 2 semaines qui ont suivi l’inclusion selon la technique habituelle du chirurgien, avec la réalisation d’une PPR peropératoire. Le groupe IVT a reçu 2 IVT mensuelles suivies d’injections mensuelles selon l’examen clinique, avec un régime similaire au protocole T du DRCR.net. Les patients de l’un ou l’autre groupe pouvaient recevoir l’un ou l’autre traitement si le premier traitement échouait (hémorragie vitréenne persistante ou récurrente), ce qui s’est produit dans environ un tiers des cas dans chaque groupe. Au total, 205 patients ont été randomisés et inclus dans le groupe IVT (100 patients) ou VPP (105 patients).

Données du protocole AB

Les auteurs ont observé qu’il n’y avait pas de différence statistiquement significative en termes d’AV moyenne à 6 mois entre le groupe IVT (59,3 lettres [IC 95%, 54,9 à 63,7]) et le groupe VPP (63,0 lettres ETDRS [IC à 95%, 58,6 à 67,3]) (différence ajustée, -5,0 lettres [IC à 95%, -10,2 à 0,3], P = 0,06). L’étude a été conçue pour détecter une différence de 8 lettres d’AV sous la courbe à intervalle régulier à partir du premier mois et jusqu’à 2 ans. Étant donné les larges IC à 95%, l’étude n’était peut-être pas assez robuste ni puissante pour détecter un bénéfice visuel significatif sur le plan clinique en faveur de la vitrectomie, bien qu’il soit possible qu’il n’y ait aucune différence cliniquement pertinente entre les 2 stratégies. Le groupe vitrectomie a montré une restauration plus rapide de l’AV à 1 mois, mais le bras IVT a rattrapé son retard à partir du troisième mois et est resté similaire jusqu’à 2 ans. D’autres résultats d’AV, tels que la proportion de patients ayant une bonne vision (supérieure ou égale à 6,3/10), une mauvaise vision (inférieure ou égale à 1/10), gagné ou perdu 15 lettres ou plus, n’étaient pas significativement différents entre les 2 groupes à 2 ans.
Les autres critères de jugement secondaires étaient très intéressants pour la pratique clinique courante. Tout d’abord, la probabilité cumulée de développer un DRT était plus élevée dans le bras IVT (22% vs 13 % bras VPP). Un résultat attendu étant donné le risque connu de cette complication menaçant la vue après une injection d’anti-VEGF et que la réalisation d’une VPP traite ces zones de décollement de rétine par traction au moment du nettoyage de l’HDV. Cependant, il est à noter que l’AV finale des yeux ayant développé un DRT était similaire à celle des yeux sans DRT. Le développement d’un DRT est le plus souvent rapide après une injection d’anti-VEGF – le temps moyen de progression est de 2 semaines environ –, tandis qu’il a tendance à progresser plus lentement après une PPR. L’ophtalmologiste détecte généralement plus précocement une évolution vers un DRT dès la deuxième séance de PPR et modifie sa prise en charge en conséquence, alors que si un patient a reçu une seule injection d’anti-VEGF et est laissé pendant 4 semaines sans suivi, il peut développer un DRT. Les patients atteints d’un DRT dans le groupe IVT ont donc bénéficié d’une VPP de sauvetage rapide, ce qui n’a pas eu de conséquence fonctionnelle par la suite. Il est donc important de retenir que les patients bénéficiant d’une IVT anti-VEGF initiale doivent être suivis de manière rapprochée dans les 2 semaines suivant l’IVT, avec échographie B si le fond d’œil n’est toujours pas accessible, pour discuter d’une VPP de sauvetage précoce si un DRT se développe.
De plus, deux tiers des yeux du groupe IVT ont évité une vitrectomie au cours des 2 ans, avec en moyenne près de 9 injections au total, alors que les yeux du groupe VPP présentaient une probabilité plus faible de récidive HDV (15% groupe VPP vs 49% groupe IVT) et de la persistance d’une néovascularisation active à 2 ans (3% groupe VPP vs 29% groupe IVT). Environ un tiers des yeux du groupe VPP nécessitaient des IVT d’aflibercept, avec une moyenne plus faible d’environ 3 IVT à 2 ans.
Ensuite, la probabilité cumulée de présenter un œdème maculaire diabétique (OMD) était plus faible dans le bras IVT (8% vs 31% dans le groupe VPP), mais cela n’affectait pas l’AV qui n’était pas différente, corroborant la mauvaise corrélation entre la fonction visuelle et l’épaisseur centrale rétinienne dans l’OMD.
Enfin, il est à noter que le taux de chirurgie de la cataracte et d’endophtalmie à 2 ans était similaire entre les 2 groupes. Cette observation montre bien que la VPP est devenue moins invasive et présente une meilleure tolérance du fait des évolutions techniques des systèmes de vitrectomie.

Conclusion

En dehors des 3 situations cliniques (échographie B avec DRT, monophtalme/actif avec travail nécessitant une bonne vision, PPR complète connue) favorisant l’une ou l’autre des stratégies, le protocole AB ne répond pas de manière formelle à la question de la supériorité d’une stratégie par rapport à l’autre. Cette étude montre qu’une intervention précoce avec l’un ou l’autre des traitements est bénéfique sur le long terme pour nos patients diabétiques présentant une RDP compliquée d’une HDV. Elle ne fournit aucune preuve convaincante pour changer la recommandation actuelle de réaliser une vitrectomie précoce plutôt que des IVT anti-VEGF pour éliminer l’hémorragie vitréenne secondaire à une RDP. La vitrectomie présente un net avantage chez les patients nécessitant une réhabilitation visuelle prompte, avec une amélioration visuelle plus rapide à 1 mois. Le traitement par anti-VEGF est efficace pour réduire transitoirement la néovascularisation, mais il agit peu sur la traction néovasculaire vitréenne – dont la progression doit être surveillé de manière rapprochée –, n’accélère pas le nettoyage de l’HDV, offre peu d’avantages sur l’amélioration de l’AV précoce et est associé à un taux plus élevé de récidive HDV par la suite. Les résultats similaires entre les 2 groupes démontrent l’importance de combiner les 2 interventions et l’utilité de la PPR associée. Une étude de plus grande puissance aurait pu détecter des différences cliniquement significatives et approuver plus fortement une intervention par rapport à l’autre mais nous ne pouvons pas conclure pour le moment.

À retenir
Pour l’instant, la sélection des patients est essentielle pour décider de la stratégie. Ces critères reflètent la pratique chirurgicale réalisée dans le service d’ophtalmologie du CHU de Dijon et peuvent varier selon les écoles.

En faveur d’une vitrectomie précoce
• Nécessité d’une amélioration rapide de l’AV : patient monophtalme, jeune actif avec une activité professionnelle nécessitant une bonne vision (conducteur, artisan, étudiant…).
• Examen clinique :
- HDV sans visibilité du fond d’œil avec DRT à l’échographie B ;
- absence d’antécédent de PPR ;
- Ghost cell syndrome ;
- HDV du jeune avec du sang vieilli et dépigmenté qui ne se résoudra pas spontanément.
• Problème d’adhérence du patient au suivi, en particulier si notion de rétinopathie diabétique évolutive sans PPR.

En faveur d’une IVT d’anti-VEGF initiale
• Patient peu gêné et ne nécessitant pas une amélioration rapide de l’AV : âgé, retraité non actif, avec une bonne AV sur l’œil adelphe.
• Examen clinique :
- HDV avec antécédent de PPR complète ;
- échographie B ne montre aucun argument pour une DRT.
• Patient avec une bonne adhérence au suivi.

Références bibliographiques
[1] Gross JG, Glassman AR, Liu D et al. Five-year outcomes of panretinal photocoagulation vs intravitreous ranibizumab for proliferative diabetic retinopathy: A randomized clinical trial. JAMA Ophthal- mol. 2018;136(10):1138-48.
[2] Early vitrectomy for severe vitreous hemorrhage in diabetic retinopathy: Two-year results of a randomized trial diabetic retinopathy vitrectomy study report 2. The Diabetic Retinopathy Vitrectomy Study Research Group. Arch Ophthalmol.1985;103(11):1644-52.
[3] Diabetic Retinopathy Clinical Research Network. Randomized clinical trial evaluating intravitreal ranibizumab or saline for vitreous hemorrhage from proliferative diabetic retinopathy. JAMA Ophthalmology. 2013;131(3):283-93.
[4] Antoszyk AN, Glassman AR, Beaulieu WT et al. Effect of intravitreous aflibercept vs vitrectomy with panretinal photocoagulation on visual acuity in patients with vitreous hemorrhage from proliferative diabetic retinopathy: A randomized clinical trial. JAMA. 2020;324(23): 2383-95.

Auteurs

  • Pierre-Henry Gabrielle

    Ophtalmologiste

    CHU, Dijon . Eye and Nutrition Research Group, CSGA, UMR 1324 INRA, 6265 CNRS, université de Bourgogne-Franche-Comté, Dijon

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