Gestion des kératotomies radiaires qui dégénèrent
La kératotomie radiaire (KR) est une technique de chirurgie réfractive démyopisante répandue dans les années 1980. Elle se fondait sur des incisons cornéennes radiaires pour modifier la courbure cornéenne. Trente-quarante ans après l’avènement de cette chirurgie, des patients ayant subi cette intervention se présentent à nos consultations et il faut savoir prendre en charge les complications postopératoires telles que le shift hypermétropique tardif ou calculer un implant pour une chirurgie de la cataracte sur ces cornées déformées.
La KR était une option chirurgicale très utilisée dans les années 1980 pour traiter la myopie. Elle a été popularisée par Svyatoslav Fyodorov en Russie en 1974. Des incisions cornéennes profondes (environ 80% d’épaisseur cornéenne) disposées en étoile et centrées sur l’apex cornéen permettaient une augmentation de la courbure périphérique et, par conséquent, un aplatissement central du dôme cornéen avec l’obtention d’une cornée oblate (figure 1). Le nombre d’incisions est variable, allant de de 4 à 16.
Shift hypermétropique post-KR
Des sur- ou sous-corrections étaient fréquentes en postopératoire immédiat, avec une apparition progressive à moyen terme d’une hypermétropisation. L’étude PERK (Prospective Evaluation of Radial Keratotomy, 793 yeux de 435 patients) retrouvait un shift hypermétropique évolutif chez de nombreux patients : +0,21 D par an dans les premières années, avec 43% de patients hypermétropes de plus de 1 dioptrie à 10 ans et un risque qui augmentait avec le degré de myopie traitée. Également, plus de la moitié des patients traités connaissent des fluctuations visuelles diurnes importantes [1].
En topographie cornéenne, on retrouve un aspect typique d’aplatissement central entraînant un profil asphérique oblate (le facteur Q devient positif) (figure 2). Sur la coupe OCT de la cornée, on peut également voir ce « plateau » au niveau du dôme cornéen (figure 3). Cette topographie correspond à une patiente ayant eu une KR il y a plus de 30 ans avec une réfraction résiduelle à +2,25 (-1,50) 40°.
Des lentilles souples, voire rigides, avec un design spécifique pour les KR, sont souvent utilisées pour corriger ces erreurs réfractives résiduelles et fluctuantes au cours de la journée. Dans les déformations extrêmes, les lentilles sclérales sont la seule alternative possible. L’acceptation par les patients n’est pas toujours évidente à distance d’une chirurgie réfractive avec le souhait de ne plus porter de correction.
Pour retrouver une indépendance aux lunettes ou aux lentilles, des options chirurgicales sont également envisageables. Une photokératectomie réfractive (PKR) peut être proposée à une majorité de patients ayant une hypermétropisation secondaire afin de diminuer leur dépendance aux lunettes [2]. Le Lasik est à éviter devant le risque de réouverture des incisions de KR (« mille-feuille ») et d’invasion épithéliale majorée (comblement épithélial important au niveau des incisions stromales de KR). Devant une reproductibilité inférieure de la PKR par rapport à une utilisation sur une cornée native, il peut être intéressant de réaliser le geste de façon unilatérale dans un premier temps et d’ajuster la programmation du deuxième œil. On recommande une utilisation de mitomycine en systématique car le haze est plus fréquent que sur une cornée native.
La mise en place d’un implant phake de type ICL pour corriger l’erreur réfractive est également à considérer chez ces patients.
Astigmatisme irrégulier
Un astigmatisme irrégulier peut survenir à distance de la KR. Il est le plus souvent traité par des lentilles rigides mais une PKR avec ablation topoguidée peut aussi être utile pour la prise en charge de cet astigmatisme irrégulier. Cela permet également de diminuer les aberrations de haut degré afin d’optimiser la meilleure acuité visuelle du patient [3]. La PKR a fait ses preuves avec différentes plateformes laser dans la littérature et permet, en plus du gain visuel, d’améliorer la qualité de vie [4]. Il faut attendre que la réfraction soit stable sur au moins 1 an pour envisager ce traitement. L’utilisation du module transépithélial du laser permet de s’affranchir de la désépithélialisation manuelle et du risque de réouverture des incisions.
Chirurgie de la cataracte après une KR
L’affluence de patients se présentant dans nos cabinets avec un antécédent de KR et nécessitant une chirurgie de la cataracte augmente 40 ans après l’essor de cette chirurgie. Deux problèmes se posent alors : la difficulté d’obtenir une réfraction cible précise en postopératoire et le risque d’altérer l’intégrité cornéenne.
Pour atteindre un équivalent sphérique postopératoire satisfaisant, il est nécessaire d’utiliser un calculateur dédié, comme le calculateur en ligne de l’ASCRS en utilisant mode Prior RK ou la formule Barrett True K disponible sur le IOL 700 [5]. Le calcul reste malgré tout souvent moins fiable qu’après une chirurgie laser du fait de la modification non seulement antérieure de la surface cornéenne mais également postérieure, et parce que les mesures de kératométrie par les topographes ou autoréfractomètres surestiment la puissance cornéenne paracentrale dans le cas d’une KR avec une majoration du risque de shift hypermétropique. Il faut donc viser une réfraction cible myopique (variant de -0,5 à 1,5 D selon les auteurs) prenant en compte la surestimation du pouvoir cornéen total et le shift hypermétropique « naturel » dans les années suivant une KR. Ce shift est souvent inévitable et transitoire dans les 3 mois postopératoires, en lien avec l’hydratation des incisions de KR qui élargissent ces dernières et aggravent l’aplatissement central.
Quelques précautions peropératoires sont nécessaires dans le cas d’une incision de KR pour éviter les déhiscences en postopératoire :
- incisions en cornée claire entre 2 incisions de KR en 2,2 mm ou moins ;
- ne pas hésiter à suturer l’incision ;
- limiter une PIO trop élevée en peropératoire.
Si la topographie met en évidence un astigmatisme régulier, la mise en place d’un implant torique est bien sûr possible.
L’utilisation d’un implant sténopéisant de type IC-8 a montré de bons résultats dans la littérature pour améliorer la qualité de vision de ces patients avec cornée irrégulière et majoration de leurs aberrations optiques de haut degré [6].
Références bibliographiques
[1] Rashid ER, Waring GO 3rd. Complications of radial and transverse keratotomy. Survey Ophthalmol. 1989;34(2):73-106.
[2] Anbar R, Malta JB, Barbosa JB et al. Photorefractive keratectomy with mitomycin-C for consecutive hyperopia after radial keratotomy. Cornea. 2009;28(4):371-4.
[3] Ghoreishi M, Peyman A, Koosha N et al. Topography-guided transepithelial photorefractive keratectomy to correct irregular refractive errors after radial keratotomy. J Cataract Refract Surg. 2018;44(3):274-9.
[4] Colombo-Barboza GN, Colombo-Barboza MN, Colombo-Barboza LR et al. Vision quality questionnaire assessment in patients after topography-guided photorefractive keratectomy for irregular astigmatism secondary to radial keratotomy. Clin Ophthalmol. 2022;16:3491-501.
[5] Dawson VJ, Patnaik JL, Ifantides C et al. Comparison of refractive prediction for intraoperative aberrometry and Barrett True K no history formula in cataract surgery patients with prior radial keratotomy. Acta Ophthalmol. 2021;99(6):e844-51.
[6] Franco F, Branchetti M, Vicchio L et al. Implantation of a small aperture intraocular lens in eyes with irregular corneas and higher order aberrations. J Ophthalmic Vis Res. 2022;17(3):317-23.