Gestion de la surface oculaire des patients atteints du syndrome de Gougerot-Sjögren

Le syndrome de Gougerot-Sjögren est une maladie inflammatoire auto-immune qui cible les glandes exocrines. Les glandes salivaires et lacrymales, infiltrées par les lymphocytes T entraînant leur destruction, diminuent leurs sécrétions : il en résulte une xérophtalmie et une xérostomie. Le syndrome de Gougerot-Sjögren peut être primaire ou secondaire, associé à une autre maladie auto-immune : lupus érythémateux disséminé et polyarthrite rhumatoïde le plus souvent, ou périartérite noueuse, maladie de Wegener, sclérodermie. Les femmes sont plus fréquemment atteintes (ratio 9/1).
Identifier les cas difficiles
Les critères diagnostiques ont été revus en 2012. Deux critères sur 3 posent le diagnostic : kératoconjonctivite sévère, biopsie des glandes salivaires avec sialoadénite focale lymphocytaire et des auto-anticorps anti-SSa ou anti-SSb positifs, ou facteur rhumatoïde positif et/ou antinucléaire 1/320.
L’interrogatoire évalue le retentissement dans la vie quotidienne et l’intensité des symptômes (questionnaire OSDI). Celle-ci va guider la stratégie thérapeutique pour proposer un traitement, comme le sérum autologue, contraignant mais efficace.
L’examen physique retrouve une acuité visuelle fluctuante, un clignement fréquent, une rivière de larmes faible ou nulle, des dépôts muqueux, une kératite ponctuée superficielle dense dans l’aire palpébrale, une prise de fluorescéine sur la conjonctive nasale et temporale. Le test de Schirmer valide l’hyposécrétion lacrymale : moins de 5 mm en 5 minutes (ce n’est pas un critère diagnostique).
Traitements disponibles en 2022
Le traitement général est réalisé par le médecin interniste selon l’importance de l’atteinte générale et la présence d’une autre affection auto-immune : corticothérapie générale, parfois immunosuppresseur pour les formes graves, plaquenil®, pilocarpine efficace sur la sécrétion salivaire.
Une collaboration est très importante à établir pour la gestion des cas difficiles et des complications pour optimiser l’immunosuppression.
Substituts lacrymaux
Toujours sans conservateurs, on choisira des substituts lacrymaux de deuxième intention fortement dosés en acide hyaluronique et/ou en osmoprotecteurs.
La pommade vitamine A en application nocturne aide au confort des patients.
L’obturation des 4 méats lacrymaux est à proposer rapidement dans la prise en charge : cela permet de conserver le peu de larmes sécrétées et de maintenir les substituts lacrymaux en place.
Les différentes possibilités sont : les bouchons méatiques en silicone, les prothèses internes pour voies lacrymales résorbables (à renouveler à 6 mois). La pose se fait sous anesthésie locale.
Ciclosporine topique
La ciclosporine collyre 1 mg/ml (Ikervis®) sans conservateurs en unidose a obtenu l’autorisation de mise sur le marché dans le traitement de la kératite sévère chez des adultes présentant une sécheresse oculaire qui ne s’améliore pas malgré l’instillation de substituts lacrymaux. En pratique clinique courante, elle a montré son efficacité et un bon profil de tolérance à la posologie de 1 goutte par jour.
Cependant la Haute Autorité de santé a statué que le service médical rendu par Ikervis® était insuffisant pour justifier une prise en charge par la solidarité nationale dans le traitement de la kératite sévère chez des patients adultes présentant une sécheresse oculaire en dehors des cas associés à un syndrome de Gougerot-Sjögren, et qui ne s’améliore pas malgré l’instillation de substituts lacrymaux. Jusqu’au 1er octobre 2021, Ikervis® était disponible en rétrocession hospitalière pour les patients présentant un syndrome de Gougerot-Sjögren. Depuis cette date, Ikervis® ne bénéficie plus d’un remboursement et la dispensation est possible en pharmacie hospitalière, avec un coût mensuel de 47 euros minimum (plus les frais de dispensation).
La demande d’autorisation temporaire d’utilisation à titre compassionnel pour du Restasis® (ciclosporine 0,05%) peut être effectuée auprès de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé via l’application e-saturne. La posologie est de 1 goutte 2 fois par jour.
Les préparations magistrales réalisées en pharmacie hospitalière de ciclosporine 0,05% à la posologie de 1 goutte 2 fois par jour ou 2% (1 goutte par jour) peuvent être prescrites en alternative.
L’association des substituts lacrymaux à base d’acide hyaluronique, de ciclosporine et de clous bouchons permettent de contrôler la surface chez un nombre important de patients.
Les collyres corticoïdes sans conservateurs et de préférence faiblement dosés en première intention (Softacort® par exemple) sont utilisés en cure courte lors de la phase d’initiation de la ciclosporine topique (4 à 6 semaines) ou lors d’une poussée inflammatoire de la maladie.
Collyres au sérum autologue
Il s’agit d’utiliser le sérum sanguin du patient (autologue) après dilution à 20% comme collyre : le sérum est riche en facteurs de croissance (EGF, NGF, TGF-β) favorisant la cicatrisation épithéliale, ainsi qu’en molécules telles que vitamine A, fibronectine, neuropeptide P, lysozyme…
La posologie usuelle est de 1 goutte 4 fois par jour au long cours. Sa tolérance est très bonne en raison d’un pH et d’une osmolarité proche de ceux des larmes. Il est non conservé, d’où l’importance du respect de la chaîne du froid et d’une bonne hygiène lors de son usage.
Son efficacité clinique est importante, avec une amélioration des symptômes et de la surface oculaire, faisant accepter au patient les contraintes de réalisation (prélèvement sanguin au moins 2 fois par an) et de rétrocession au minimum mensuelle en pharmacie hospitalière.
En effet, le sérum autologue n’a pas de statut réglementaire propre, il est considéré soit comme une préparation magistrale, soit comme un médicament biologique. Sa réalisation nécessite la coopération entre le service hospitalier prélevant le sang, la pharmacie hospitalière pour la préparation du collyre (dilution, mise en flacon, contrôle bactériologique) et la rétrocession (stockage en congélation à la pharmacie, délivrance bimensuelle [2 flacons] ou mensuelle [4 flacons] si un congélateur est disponible chez le patient avec un transport en congélation). Le flacon de sérum se conserve 7 jours après l’ouverture à 4 °C, 15 jours à 4 °C avant l’ouverture, et 6 mois à -18 °C.
Une dizaine de CHU réalisent la préparation du collyre (Paris, Marseille, Nantes, Lille, Rennes, Strasbourg, Bordeaux, Toulouse…), ce qui limite sa disponibilité auprès des patients et le fait réserver aux formes sévères.
Le sérum autologue est contre-indiqué en présence d’une infection VIH, d’une hépatite B ou C chronique, de la syphilis et du virus HTLV 1, en raison des risques d’exposition au sang lors de la préparation.
Un faible nombre de patients ne présente que peu d’amélioration sous sérum autologue, probablement en raison d’une faible concentration en facteurs de croissance dans leur sang.Le statut de préparation magistrale ne permet pas actuellement la fabrication de collyre de sérum hétérologue.
Verres scléraux et sécheresse sévère
L’adaptation en verres scléraux de grand diamètre (type lentille Spot® du laboratoire LOA) peut être réalisée. Le verre scléral maintient un espace aqueux au contact de la cornée et une hydratation maximale avec une amélioration des symptômes et une stabilisation visuelle. L’adaptation nécessite plusieurs visites pour déterminer le choix du verre (forme, puissance) et donner les explications de manipulation et d’entretien au patient. Il faut noter cependant que l’inflammation chronique fibrosant les culs-de-sac palpébraux, les déformations digitales liées à l’inflammation articulaire chronique et l’âge avancé des patients les plus sévères peuvent être des obstacles à la réussite de l’adaptation de verres scléraux.
Complication : la kératolyse centrale aseptique
Il s’agit d’un ulcère cornéen central ou paracentral évoluant très rapidement vers une fonte stromale et une perforation cornéenne de petite taille au fond de l’ulcère. Les bords sont grisâtres, atones ; la cornée est peu inflammatoire, sans néovascularisation, et conserve sa sensibilité.
Ce tableau peut être initial, découvrant la pathologie générale, se produire lors d’un arrêt de l’immunosuppression ou être déclenché par une chirurgie de la cataracte.
Il faudra démarrer ou rééquilibrer le traitement général (corticothérapie générale, voire immunomodulateur) en coopération avec le médecin interniste. En urgence, la réalisation d’une greffe de membrane en multicouche, associée à une corticothérapie locale permet le plus souvent une cicatrisation au prix d’une taie cornéenne centrale. L’usage d’un collyre au sérum autologue est idéalement introduit pour éviter une récidive.
Prévention contre la kératolyse aseptique centrale lors d’une chirurgie de la cataracte
La chirurgie de la cataracte doit être réalisée avec précaution dans le contexte d’un syndrome de Gougerot-Sjögren sévère, sous traitement général optimal lorsque la maladie générale est stable.
Le traitement de la surface oculaire doit être optimal avec, si possible, la mise en route des collyres au sérum autologue avant la chirurgie. Le patient doit être informé du risque de kératolyse et son suivi postopératoire doit être plus rapproché sur les 15 premiers jours, afin de prendre en charge un ulcère débutant avant une perforation oculaire.
En peropératoire, on veillera à limiter les collyres toxiques pour la surface (tétracaïne) et on associera une injection d’anesthésiant intracamérulaire ou une anesthésie sous-ténonienne. La cornée sera protégée par l’application d’un gel visqueux à sa surface en début de procédure.
Le traitement postopératoire sera adapté : les antibiotiques et anti-inflammatoires corticoïdes seront non conservés. Les collyres AINS, même non conservés, sont contre-indiqués. Le sérum autologue est poursuivi en postopératoire.
En cas d’apparition d’un ulcère cornéen dans les premiers jours postopératoires, la pose rapide d’une membrane amniotique peut éviter la survenue d’une perforation cornéenne.
Pour en savoir plus
Pisella PJ, Baudouin C, Hoang-Xuan T. Rapport SFO 2015 : Surface oculaire. Elsevier/Masson, Paris.
Foulks GN, Forstot SL, Donshik PC et al. Clinical guidelines for management of dry eye associated with Sjogren disease. Ocul Surf. 2015;13(2):118-32.
Shtein RM, Shen JF, Kuo AN et al. Autologous serum-based eye drops for treatment of ocular surface disease: a report by the American Academy of Ophthalmology. Ophthalmology. 2020;127(1):128-33.